Chaque fois qu’on annonce l’arrivée à Carthage de la belle Giorgia Meloni, la toile tunisienne s’enflamme et ses photos avec notre président de la République inondent les réseaux sociaux, comme pour une star. Pourtant, ses trois allées et retours Rome-Tunis en l’espace de trois mois sont loin d’êtres innocents ! Certains pensent qu’elle nous ne veut pas que du bien.
La prochaine arrivée est annoncée pour ce 17 avril au matin, parce qu’elle sera l’après-midi à Bruxelles où se tiendra la réunion de Conseil européen les 17 et 18, pour décider du sort des relations entre les deux rives de la Méditerranée, car ce conseil entérinera un accord entre États européens sur la sécurité des frontières méditerranéennes de ce continent, « menacées » par ce que certains politiciens européens appellent « l’invasion barbare » ou « le péril noir » s’agissant du flux migratoire venant de l’Afrique subsaharienne. Nous convenons toutefois que la première victime de ce flux est bien notre pays, vient ensuite l’Italie dont les frontières sont les plus proches de nous.
Le tsunami migratoire
Est-ce le hasard qui a fait que juste cette première semaine d’avril 2024, plus de 8 000 migrants africains accostassent sur les rivages italiens en provenance de la Tunisie, c’est-à-dire deux semaines avant la décision attendue du Conseil européen, qui va imposer des sortes de postes frontières pour braquer les expulsés du paradis européen mais sur le sol d’autres pays non européens. Des sortes de no-man’s land, où on maintiendra les Subsahariens, souvent sans papiers officiels, sans ressources et sans revenus pour des séjours illimités, pourvus qu’ils ne restent pas en Europe.
On n’arrête pas un tsunami migratoire avec de telles mesures imaginées par des bureaucrates de Bruxelles. Certains parlent de « durcissement » de la législation européenne en matière de politique migratoire, un euphémisme, alors qu’il s’agit plutôt d’une violation flagrante des droits de l’Homme et des plus élémentaires règles de la charité chrétienne. C’est un précédent dans l’histoire de l’humanité ! L’Occident européen ne croit et n’applique les principes des droits de l’Homme, pourtant universels et reconnus par l’ONU, que quand ils ne rentrent pas en contradiction avec ses intérêts vitaux et ce qu’il considère comme sa « sécurité » .
Nous avons constaté combien il est attaché à ces droits à l’occasion du génocide de Gaza commis par son allié, l’Etat d’Israël.
La décision de l’Union européenne concernant l’installation de ces « zones d’accueil » de centaines de milliers de Subsahariens qui seront parqués comme des bêtes dans ces nouveaux camps de concentration, pour des périodes indéterminées, est une honte qui fera date dans l’histoire de cette Union.
Mais pour que la pilule soit bien avalée par les supposés défenseurs des droits de l’Homme en Europe, on doit passer par des plans comme celui imaginé par la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, intitulé « Plan Mattei » du nom du célèbre fondateur de la compagnie pétrolière italienne, qui consacre 4 milliards d’euros sur quatre ans pour « développer » les pays africains et nord-africains sous formes d’aide au développement, à condition d’accepter sur leurs sols l’installation de ces camps de la honte. En fait, une bagatelle ! La Tunisie figure en bonne place dans ce plan, ce qui explique les multiples voyages de la présidente du Conseil italien en si peu de temps.
Pour mieux comprendre cet « engouement » pour l’Afrique et particulièrement pour notre pays, rappelons que Giorgia Meloni est arrivée au pouvoir grâce à une coalition de l’extrême droite italienne, qui, comme toutes les formations européennes du même genre, prônent un durcissement extrême des politiques migratoires, allant jusqu’à l’expulsion de millions de non Européens, résidant dans ce continent, au détriment des principes universels des droits de l’Homme, des lois régissant les accords entre Etats, et surtout au détriment des différentes économies nationales européennes, qui ont grand besoin de cette main-d’œuvre bon marché et docile, en plus du problème démographique causé par la dénatalité dans ces pays.
Selon plusieurs études sérieuses, l’Europe aurait besoin dans les années qui viennent de près de 30 millions d’ouvriers ou de techniciens et même de médecins, infirmiers informaticiens… Mais les enjeux politiques et notamment la montée de l’extrême droite xénophobe et raciste poussent les partis centristes et même de gauche à durcir leurs positions et glisser vers des attitudes et des politiques anti-immigrés.
L’Italie actuelle est un bel exemple qui illustre ce glissement. C’est donc essentiellement pour être réélue que la belle Giorgia fait du pied à la Tunisie, ainsi que les yeux doux pour nous faire accepter son plan Mattei. Nous ne savons pas jusqu’à maintenant si elle a réussi, car en dehors du fameux Mémorandum entre la Tunisie et l’Union européenne, signé le 16 juillet 2023, rien de concret n’a été fait.
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Un mémorandum n’engage que ceux qui y croient
Nous ne savons rien, par exemple du degré d’exécution du volet énergétique qui devait permettre à la Tunisie (particulièrement la région de Zarzis) de produire et d’exporter de l’hydrogène vert vers l’Italie, et ceci dès février 2024 !
Bien sûr un mémorandum n’est qu’un mémorandum et ne peut en aucun cas remplacer des accords en bonne et due forme négociés et signés ! C’est peut-être la raison de cette visite impromptue le jour même où elle doit assister au Conseil de l’Europe, car Meloni considère l’accord avec la Tunisie comme l’exemple à suivre pour d’autres accords avec d’autres Etats africains.
Mais, restons sceptiques quant aux résultats réels sur le terrain. Déjà les 8 000 migrants qui ont débarqué à Lampedusa venant des rives tunisiennes en disent long sur l’applicabilité de certains accords de type sécuritaire. Sauf que Meloni a besoin de ces accords, car elle affronte, elle et ses amis, les élections européennes de juin 2024, sachant qu’elle a organisé un sommet Italie-Afrique les 28 et 29 juin 2023 à Rome, et la Tunisie était bien représentée par notre président de la République en personne.
Il est clair que l’Italie de Meloni tente de ravir la place qu’occupait jadis la France en Afrique et essaye de devenir le premier interlocuteur européen de l’Afrique. Ses discours anticolonialistes, qui font porter à la France en particulier la responsabilité de la situation du sous-développement dans laquelle se trouvent la majorité des pays africains dits francophones, prouvent cette tendance italienne qui a toujours existé depuis plus d’un siècle et demi. Mais ses accords énergétiques avec notre voisin de l’Ouest prouvent que l’Italie tente sérieusement de se placer comme le principal intermédiaire énergétique, en gaz et en pétrole entre l’Afrique et l’Europe, sans parler de sa présence en Libye.
Mais comme il y a un siècle et demi, lors des fameuses rivalités franco-italiennes pour coloniser à l’époque notre pays, la question de souveraineté reste toujours posée, même sous d’autres formes. Allons-nous céder, même une parcelle de souveraineté, en acceptant ces fameux camps sur notre sol ?
Le discours ultra-souverainiste du président de la République nous pousse à penser le contraire, en plus de l’impossibilité matérielle et logistique d’honorer un tel accord, surtout que notre pays lui-même est assailli périodiquement par des fortes vagues migratoires.
On est loin d’être les seuls, l’Algérie, le Maroc et la Libye subissent les mêmes assauts qui vont d’ailleurs en grandissant. C’est presque une fatalité, due à notre histoire et à notre position géographique, surtout que l’Europe, encore une fois, fait preuve d’aveuglement stratégique, car nous sommes la principale digue qui jusqu’à maintenant la protège sans qu’elle paye le prix adéquat.
Même l’enveloppe annoncée de cent cinquante millions d’euros, lors de la signature de l’accord, reste extrêmement dérisoire. Il revient à la Tunisie officielle de renégocier durement les accords conclus et négocier encore plus durement les accords à venir. Mais il ne faut rien céder sur la question souveraine du territoire car, ce dernier est sacré et non négociable.
Déjà feu BCE avait refusé d’appliquer les accords d’ALECA pour le même motif sachant que son ex-Premier ministre, Youssef Chahed, avait donné son accord à Bruxelles pour avoir, à l’époque, le soutien de l’UE dans sa lamentable course à Carthage.
La signature du mémorandum avec nos partenaires européens ne doit pas nous empêcher de donner la priorité à notre sécurité nationale, car la situation chez notre voisin de l’Est est plus qu’alarmante, et la crise politique qui y sévit depuis la chute de Kadhafi risque de se développer vers des affrontements violents alors que le pays est divisé et risque de l’être encore plus en raison de l’affrontement prévisible entre Américains et Russes, qui va aller en grandissant au fur et à mesure que la guerre en Ukraine évolue vers un possible compromis profitable maintenant aux Russes en raison de leur supériorité militaire sur le terrain. La chose sera d’autant plus sûre si Trump l’emporte les prochaines élections américaines.
La question migratoire subsaharienne sera au cœur du conflit interne libyen. Déjà que Ras Jedir semble devenir un point stratégique pour le contrôle de la partie ouest et cela nous concerne directement. Sans évidement oublier la migration qui afflue du Niger via l’Algérie, qui déjà pose problème à ces deux pays.
Réduire cette question migratoire à des simples accords, ne ce serait-ce qu’avec l’UE, c’est commettre une erreur d’appréciation stratégique. Or plus que jamais nous avons besoin d’une vision stratégique qui prend en compte l’existence de ce danger, car il y va aussi bien de notre sécurité que de notre souveraineté.