La montée de la tension entre l’Iran et Israël ne s’accompagne pas d’un quelconque répit pour les Palestiniens de Gaza, toujours la cible de bombardements, de tirs et d’atteinte à leur dignité. La commission d’un crime de génocide par Israël prend forme sous nos yeux, avec la complicité de puissances occidentales et la passivité coupable de puissances arabes.
Derrière le cynisme qui s’affiche en loi des Etats, c’est la ruine du droit international qui se dessine à Gaza. Pour la majeure partie des sociétés civiles, reste un profond sentiment d’injustice.
L’identification d’un génocide
Selon les conclusions de la rapporteure spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés, « il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant qu’Israël a commis un génocide est atteint » à Gaza. Dans son rapport, Francesca Albanese souligne une série de faits caractéristiques de l’offensive israélienne sur Gaza, qui répondent selon elle à la définition même du génocide.
Rappelons que juridiquement (selon la Convention de Genève de 1948 et le Statut de Rome de 1998), la notion de génocide repose sur un élément matériel (qui consiste en cinq types d’actes, notamment le meurtre, l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale, la soumission à des conditions de vie visant à provoquer la destruction physique) et un élément intentionnel (à savoir la volonté de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel).
Lorsque la rapporteure spéciale des Nations unies pour les territoires palestiniens occupés considère qu’ « il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant qu’Israël a commis un génocide est atteint », c’est une position qui doit être comprise à l’aune de l’ordonnance de l’organe judiciaire onusien, la Cour internationale de justice (CIJ), rendue le 26 janvier dernier. En effet, celle-ci (saisie d’une requête de l’Afrique du Sud contre Israël) avait à la fois reconnu le « risque plausible d’un génocide » et prononcé un certain nombre de « mesures conservatoires ». Et notamment : l’obligation pour Israël de prendre toutes les mesures pour prévenir la commission d’un acte de génocide et la levée de toute entrave à l’aide humanitaire; en outre, Israël doit empêcher la destruction et assurer la conservation des éléments de preuves relatifs à des actes génocidaires et lui soumettre un rapport dans un délai d’un mois sur l’ensemble des mesures adoptées. Or, manifestement, rien ou presque n’a été entrepris en ce sens. Les bombardements indiscriminés à Gaza n’ont pas cessé, l’accès sécurisé et organisé à une aide humanitaire massive n’est pas autorisée, etc.
C’est pourquoi d’ailleurs, suite à une nouvelle saisine de l’Afrique du Sud, la CIJ a indiqué des mesures conservatoires additionnelles (le 28 mars 2024) et a souligné que « les conditions désastreuses dans lesquelles vivent les Palestiniens de la bande de Gaza se sont […] encore détériorées ». Si la décision de la CIJ sur le fond de l’affaire ne sera rendue que dans quelques années, le non-respect de ses mesures conservatoires ne peut que nourrir l’accusation contre Israël pour acte de génocide contre les Palestiniens de Gaza.
Le non-respect de la justice internationale
La décision de la CIJ est juridiquement obligatoire (il ne s’agit pas d’un simple avis), à l’égard d’Israël mais aussi de tous les Etats membres de l’ONU. Toutefois, la CIJ ne dispose pas d’une armée ou police à sa disposition pour contraindre les Etats à respecter ses décisions. Ainsi, l’effectivité de ces dernières dépend avant tout de la volonté des États.
Or, en l’espèce, Israël a décidé de ne pas respecter l’ordonnance de la CIJ. Il faut préciser qu’une responsabilité particulière pèse aussi sur les Etats qui continuent d’exporter des armes vers Israël et qui participent à la commission de violations du droit international humanitaire dans la bande de Gaza. Enfin, la responsabilité du Conseil de sécurité de l’ONU est également engagée. L’article 94 de la Charte des Nations unies stipule en effet que « s’il le juge nécessaire », le Conseil de sécurité « peut faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter l’arrêt » de la CIJ.
Ainsi, après l’échec d’une série d’initiatives en la matière, la première résolution réclamant un « cessez-le-feu immédiat pour le mois du ramadan » devant « mener à un cessez-le-feu durable » dans la bande de Gaza a été adoptée le 25 mars dernier. Un débat existe néanmoins sur le caractère contraignant de cette résolution 2728.
Si l’abstention des États-Unis a permis l’adoption du texte, la première puissance mondiale et principale alliée d’Israël estime que la résolution n’est pas juridiquement contraignante (car formellement, « le cessez-le-feu est demandé » et non « décidé »). De fait, non seulement Israël continue son offensive sur Gaza suivant la même doctrine militaire et politique; mais ses principaux alliés (au-delà de l’évolution de leur discours diplomatique) ne remettent pas en cause la fourniture d’armes nécessaires à la poursuite de cette guerre.