La Banque mondiale dans son « Rapport économique pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord », intitulé « Conflits et dette dans la région », a récemment ajusté ses prévisions de croissance du PIB pour la Tunisie.
En 2024, la croissance devrait atteindre 2,4 %, en baisse par rapport aux 3 % initialement prévus en janvier 2024. Cette tendance devrait se maintenir en 2025, avec une croissance prévue également à 2,4 %. Pour l’année 2023, la Banque mondiale anticipe une croissance du PIB de seulement 0,4 %, soit une révision à la baisse par rapport aux prévisions précédentes de 1,2 %.
En ce qui concerne le déficit budgétaire de la Tunisie, la Banque mondiale prévoit qu’il diminuera en 2024 pour s’établir à 5,6 % du PIB, soit une baisse de 0,8 point de pourcentage.
Ce qui précède nous amène à reconsidérer les paradigmes du redressement économique d’une Tunisie en transition.
Une récession – c’est de cela qu’il s’agit ici – se caractérise par une baisse de la production, des revenus et des dépenses en deçà de leur potentiel. Pour stimuler la production et les revenus, il est crucial de trouver des acteurs prêts à investir.
Cependant, les consommateurs, souvent affectés par une diminution de leur pouvoir d’achat ou des difficultés à rembourser leurs dettes, ne peuvent pas être comptés comme sûrs pour augmenter leurs dépenses. Il serait donc préférable que les entreprises prennent le relais en investissant.
Malheureusement, le contexte économique déprimé ne favorise pas non plus une augmentation des dépenses de leur part.
Il semble donc que nous devions apprendre à vivre avec la récession, voire même à l’accepter. Après tout, n’est-ce pas nous qui l’avons provoquée?
Souvent, la réduction des dépenses et l’austérité sont présentées comme des remèdes à cette crise économique. Les gouvernements sont donc appelés à réduire leurs dépenses et leurs emprunts pour favoriser une croissance saine, sans compromettre la richesse des générations futures.
Bien sûr, les dépenses gouvernementales sont trop élevées, et il est nécessaire d’interrompre le gaspillage des ressources pour réduire la fiscalité de manière significative et productive.
Cependant, ces mesures ne suffiront pas à briser le cercle vicieux de la récession. Réduire les dépenses gouvernementales et redistribuer ces économies aux contribuables pour stimuler la demande ne favorisera pas directement l’élément crucial qu’est la demande globale.
L’amélioration de notre situation financière individuelle dépendra de l’augmentation de nos revenus ou de la diminution de nos dépenses. Cependant, nos problèmes personnels ne sont pas les mêmes que ceux auxquels la société est confrontée.
En effet, pour la société, la demande globale équivaut exactement à la dépense globale. De sorte que si nous réduisons nos dépenses pour améliorer notre situation, le revenu global de la société baissera du fait de notre décision de dépenser moins.
De même, si nous voulons augmenter nos dépenses sans accroître nos emprunts, nous devrons puiser dans nos économies. Il est donc inévitable que, pour que la consommation de la société progresse sans aggraver ses emprunts, l’épargne soit sollicitée. Il serait contre-productif de plaider pour une augmentation de cette épargne.
Bien sûr, une économie en transition devra reposer sur des bases saines comme l’épargne. Mais actuellement, elle entrave la résolution de notre problème immédiat en freinant la demande globale au sein de nos économies. Keynes avait bien identifié ce paradoxe de la frugalité : promouvoir l’épargne dans les conditions actuelles ne fera qu’accentuer la récession.
Les défis de la société ne sont donc pas les mêmes que les nôtres, tout comme les mesures à long terme pour assainir et consolider nos économies ne sont pas les mêmes que celles qu’il convient d’adopter aujourd’hui pour éviter que la récession ne se transforme en dépression. En fait, certaines décisions visant à améliorer notre situation à long terme ne font qu’aggraver la situation actuelle.
Tous nos efforts doivent donc être dirigés vers une augmentation de la demande globale. Dans cette optique, les Pouvoirs Publics devront être fortement sollicités et augmenter leur endettement pour stimuler la demande et la consommation. Cela peut nécessiter de puiser dans nos économies personnelles ou d’accroître notre endettement individuel.
Ces deux moteurs de la demande – et de la croissance – seront ensuite remplacés par les exportations et les investissements des entreprises. Ce qui permettra aux gouvernants de réduire leur endettement en réduisant leurs dépenses et en augmentant leurs recettes fiscales grâce à la croissance.
À ce stade, les mesures de relance fiscale ne seront plus qu’un lointain souvenir.
* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)