Pour le président de la République Tunisienne, Kaïs Saïed, la récente visite de Giorgia Meloni en Tunisie était l’occasion de lui rappeler de vive voix que notre pays ne deviendra pas « un pays de transit ou d’installation » et qu’il n’est pas question que la Tunisie fasse office de poste frontière avancé de l’Europe.
Giorgia Meloni, qui a désormais son anneau de serviette à la table présidentielle au palais de Carthage, est arrivée mercredi 17 avril 2024 à Tunis. Elle n’y est même pas restée deux heures, montre en main, avant de s’envoler pour Bruxelles
La présidente du Conseil italien était accompagnée pour l’occasion de son ministre de l’Intérieur, Matteo Piantedosi, de la ministre de l’Enseignement supérieur, Anna Maria Bernini et du vice-ministre des Affaires étrangères, Edmondo Cirielli. Elle a rencontré le président de la République, Kaïs Saïed; avant de se rendre à Bruxelles pour participer à la réunion du dernier Conseil européen programmée pour les 17 et 18 avril 2024, avant les élections européennes de juin prochain.
A noter que la présidente du Conseil italien n’est pas arrivée les mains vide. En effet, trois accords de coopération ont été signés entre la Tunisie et l’Italie à l’occasion de cette visite éclair. A savoir : un mémorandum d’entente entre le ministère de l’Université et de la Recherche italien et son homologue tunisien; un accord prévoyant un appui de 100 millions d’euros au budget de l’État tunisien pour soutenir l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables; enfin, une convention financière relative à l’octroi d’une ligne de crédit de 55 million d’euros en faveur des PME tunisiennes.
Douce musique
D’autre part, au terme des entretiens avec son homologue tunisien, Giorgia Meloni a affirmé que les liens entre l’Italie et la Tunisie se fondent sur une nouvelle « vision » qui repose « sur l’égalité et l’intérêt mutuel ». De même qu’elle ajoute que la Tunisie « ne peut en aucun cas constituer un point d’arrivée pour les migrants venant du reste de l’Afrique ». Enfin, elle a exprimé sa « gratitude » à l’égard des Tunisiens « pour leur collaboration et leur effort louable dans la lutte contre les trafiquants d’êtres humains ». Des paroles qui sont allés droit au cœur du maitre de Carthage!
Calculs politico-politiciens
Pourquoi cette visite, la quatrième en un an? Selon les observateurs de la vie politique romaine, à la veille des élections européennes à l’issue desquelles elle espère que l’extrême droite sortira renforcée afin de mieux peser sur les décisions européennes, le déplacement de Giorgia Meloni à Tunis vise à mettre la dernière main à son projet de coopération migratoire. D’autant plus que tout porte à croire et il n’est pas exclu qu’elle conduise personnellement la liste de son parti Fratelli d’Italia aux élections du Parlement européen.
Rappelons à ce propos que le Pacte sur la migration et l’asile- qui a été adopté en février 2024 par la Commission des libertés civiles au Parlement européen et qui devra entrer en vigueur en juin prochain après l’approbation du Conseil européen- a entériné le principe que la gestion des demandes d’asile revient aux premiers pays de transit des migrants, en vertu du règlement de Dublin.
Dans ce cadre, Rome œuvre pour que la Tunisie devienne un pays de rétention des éventuels migrants qu’ils soient des nationaux ou des Africains sub-sahariens. Ainsi, en devenant le poste frontière avancé de l’Europe, les autorités tunisiennes procéderaient à toutes les formalités de contrôle des migrants en situation irrégulière.
Rome fait miroiter le Plan Mattei
En contrepartie, la Tunisie devrait être un pays pilote dans le « Plan Mattei pour l’Afrique ». Et ce, dans un esprit de coopération « non paternaliste et non prédatrice, mais paritaire », selon l’expression de la dirigeante italienne.
Pour rappel, Enrico Mattei, (29 avril 1906 – 27 octobre 1962), le fondateur mythique d’Ente nazionale idrocarburi (ENI) plaidait en faveur d’un « modèle vertueux » de collaboration et de croissance entre l’Union européenne, l’Afrique du Nord et les nations africaines. Rompant ainsi avec le modèle d’exploitation hérité du colonialisme.
A titre d’exemple, cet homme d’Etat, Démocrate-chrétien de l’aile gauche, aura conclu à l’époque des accords avec la Tunisie et le Maroc, à qui il a offert un partenariat à 50/50 pour l’extraction du pétrole, très différent des formes de concession normalement proposées par les grandes compagnies pétrolières. À l’Iran et à l’Égypte, il a proposé, en plus, que les investissements risqués de la prospection seraient entièrement à la charge d’ENI. S’il n’y avait pas de pétrole découvert, le pays n’aurait pas à débourser un dollar. En 1957, ENI était déjà en concurrence avec des géants comme Esso ou Shell et finançait les nationalistes algériens contre l’État français dans la guerre d’Algérie.
Le niet de Kaïs Saïed
Mais c’était sans compter sur la volonté du président de la République Kaïs Saïed de ne pas laisser se dicter de décisions de l’étranger. Ainsi, dans un communiqué de la présidence paru au terme de la visite du Premier ministre italien, le locataire du palais de Carthage a réitéré une fois de plus son refus que la Tunisie devienne « un pays de transit ou d’installation » des migrants d’autres pays d’Afrique. « En tant que pays basé sur la loi, la Tunisie ne peut pas accepter une situation d’illégalité sur son territoire », a-t-il encore martelé.
Pour rappel, le 20 juin 2023, Kaïs Saïed avait déclaré à Gérald Darmanin et à Nancy Faeser, les ministres français et allemand de l’Intérieur, que la Tunisie « n’avait pas vocation à être le garde-frontière de l’Europe; ni une terre de réinstallation pour les migrants rejetés ailleurs ».
Soulignons enfin que, dans le contexte de la visite de la Première ministre italienne, Georgia Meloni, en Tunisie, le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) a mis en garde, dans un communiqué mardi 16 avril 2024, que Meloni ne considère la Tunisie que comme un « point frontalier avancé nécessitant le renforcement de la répression pour arrêter les flux migratoires vers l’Italie, quel qu’en soit le coût humain, et qu’elle utilise aujourd’hui comme un atout électoral en Italie et en Europe pour promouvoir le succès du modèle de coopération avec la Tunisie dans la lutte contre l’immigration ». A méditer.