Comment tolérer un système financier dont la taille dépasse les capacités de production de l’économie ? Comment s’étonner que les liquidités excessives, incapables de se loger dans une économie aux habits armures trop étroites, aillent se nicher dans des marchés financiers, faisant le bonheur des spéculateurs financiers ?
Ce scénario répétitif à souhait trois décennies, d’un crédit subitement moins généreux met en péril la bulle de l’endettement massif, entraînant un effondrement boursier difficilement contenu, dont les effets nocifs se répercutent sur l’activité économique et sur de chômage devenu excessif, érigés en victimes expiatoires.
Après l’euphorie d’une libéralisation financière mal engagée depuis les années 90, suivie par une transition démocratique chaotique depuis 2011, vient une récession qui se propage sur l’ensemble des secteurs économiques, tandis que les Pouvoirs Publics volent au secours d’un système financier autrefois champion des produits sophistiqués via des crédits subventionnés pour des investissements non rentables et souvent sans garanties réelles.
De telles constructions financières ne sont-elles que des châteaux de cartes donnant aux investisseurs et/ou aux spéculateurs l’illusion de la richesse ? Comment appréhender de tels instruments de financement, qu’il est pratiquement impossible – même aujourd’hui – de les valoriser de manière fiable ?
L’État-providence, encore pour les investisseurs, peut-il soustraire ces pratiques financières toxiques aux affres d’une croissance naguère jugée bienfaisante ? Dans quelle mesure, l’hémorragie d’un système financier toujours administré, sera stoppée avec l’argent du contribuable ? Dans quelle mesure le destin du citoyen moyen sera-t-il de sauver le spéculateur ?
Il est en effet écrit que les Pouvoirs Publics dépenseront sans compter dès lors qu’il s’agira de stabiliser le système financier, tandis qu’au même moment, les ménages (c’est-à-dire nous, vous…) devront subir des réductions drastiques de leur budget. Qui aura le cran de brider un système financier de moins en moins corrélé à l’activité économique réelle ?
La générosité étatique et les taux d’intérêt ridiculement gérés entretiennent ainsi les tendances autistes des banques qui sortent indemnes de la crise actuelle, car ces océans de liquidités, qui gonflent artificiellement leurs capitalisations boursières, compensent très largement leurs actifs pourris. Les états financiers des banques cotées l’attestent. Les statistiques de la BCT (Banque Centrale de Tunisie) et de la BVMT (Bourse des Valeurs Mobilières de Tunisie) ne souffrent en effet nulle autre interprétation.
Nos gouvernants successifs depuis trois décennies, ont ainsi offert au système financier un parachute en or massif, tandis que les acteurs de l’économie réelle se débattent dans leur triste réalité.
La machine devenue incontrôlable : car, alors même que l’activité économique ralentit dangereusement et que le chômage augmente, les indices boursiers (TUNINDEX, TUNINDEX20, et leurs Indicateurs Sectoriels) enregistrent des progressions insensées et des plus chaotiques depuis trois 2020. L’unique obsession de nos gouvernants ayant été d’inonder le système sans distinction, en priant pour que la stabilisation financière perdure.
Nos gouvernants seraient devenus de parfaits illusionnistes : la preuve ? C’est ce qui ressort des dernières prévisions de la Banque Mondiale et du FMI pour la Tunisie. Et en réalité, cette rémission via une « fin de récession » pour 2025, est qualifiée d’illusoire tant que des réformes structurelles crédibles et que la corruption soit endiguée d’une manière drastique.
Quand les réalités d’un quotidien qui voit le citoyen moyen lutter pour conserver son niveau de vie, son pouvoir d’achat ou tout simplement son emploi perdurent, alors, l’expansion du système financier toxique devra impérativement être freinée, car il est aujourd’hui elle empiète sur l’économie réelle et sur ses cycles d’activité.
Les crises financières, notamment transitionnelles, se suivent et se ressemblent. Elles ont une capacité de nuisance évidente sur les entreprises et sur l’emploi.
Le capitalisme livré à lui-même est par nature instable. De plus, c’est dans ses phases de prospérité, notamment néo-libérales, qu’il est le plus dangereux, car ces périodes sont propices aux prises de risques excessives. Et l’économie tunisienne ne peut durablement tanguer par la faute d’un système financier intrinsèquement instable.
A SUIVRE…
* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS, Psd-
Fondateur de l’Institut Africain d’Economie Financière (IAEF-ONG)