Zohra Zarrouki, une artiste passionnée, consacre depuis 14 ans de sa vie à promouvoir l’art de l’Ebru en Tunisie. Son engagement remarquable a été récompensé par une reconnaissance nationale et une diffusion accrue de cet art dans le pays. ( vidéo pour voir la démarche artistique)
L’Ebru, qu’est-ce que c’est exactement ? Selon l’UNESCO, il s’agit d’un art traditionnel turc consistant à créer des motifs colorés en déposant des pigments sur de l’eau additionnée de substances grasses, puis en transférant ces motifs sur du papier. Cet art ancien, remontant à plus de mille ans, trouve ses origines au Japon sous le nom de Suminagashi, puis s’est propagé en Turquie et en Iran via la route de la soie.
Zohra Zarrouki, la seule artiste spécialisée dans l’Ebru en Afrique et dans le monde arabe, explique que peindre sur l’eau nécessite une connexion particulière avec cet élément. Pour étayer ses propos, Zohra cite l’islamologue et docteur en civilisation arabo-musulmane, Ghofrane Hseini. Ce dernier souligne avec justesse l’importance capitale de l’eau dans différentes civilisations et religions à travers l’histoire. Dans la religion des Sabéens-Mandéens, par exemple, l’eau est vénérée comme sacrée, symbolisant l’essence même de leur foi. Cette croyance en la sacralité de l’eau se retrouve également dans le judaïsme, où elle est associée à la présence divine dès le récit de la Genèse. De même, dans le christianisme, l’eau revêt une importance capitale en tant que moyen de purification par le baptême, un sacrement fondamental pour les fidèles orthodoxes et catholiques.
L’ancienne religion égyptienne témoigne également d’un profond respect pour l’eau, avec la vénération du Nil comme source de vie. De même, dans la mythologie grecque, la fleur de lotus est un symbole puissant, émergeant des eaux chaotiques et représentant la naissance et la régénération. Enfin, dans l’islam, l’eau est considérée comme l’origine de la vie, jouant un rôle crucial dans les rituels de purification et dans l’abreuvement des croyants.
« Cette perspective met en lumière l’universalité de la symbolique de l’eau à travers différentes cultures et époques, soulignant son importance spirituelle et rituelle dans l’imaginaire humain », conclut-elle.
Pour parfaire sa maîtrise de cet art, Zohra a poursuivi des études universitaires en Turquie pendant six ans, notamment au Centre de Recherches sur l’Histoire, l’Art et la Culture islamiques (IRCICA). Son travail a été reconnu par le ministère des Affaires culturelles qui a acquis deux de ses tableaux en 2009 et 2023, marquant ainsi une reconnaissance officielle de l’Ebru en Tunisie. Malgré cette reconnaissance, Zohra souligne les difficultés matérielles rencontrées par de nombreux artistes en Tunisie, notamment le manque de ressources pour la pratique de cet art.
En dépit de ces défis, Zohra Zarrouki s’efforce de transmettre son savoir en organisant des formations dans tout le pays, visitant ainsi chaque gouvernorat tunisien. Elle enseigne également au Centre culturel turc à Tunis depuis novembre 2023. Son engagement dépasse les frontières nationales, puisqu’elle représente la Tunisie lors d’événements culturels et artistiques dans plus de 16 pays, et a remporté plusieurs prix nationaux et internationaux.
Cependant, des obstacles persistent, tels que l’importation de matières premières depuis la Turquie et le manque de soutien financier adéquat de la part des autorités pour les artistes plasticiens tunisiens. Zohra espère que la situation s’améliorera à l’avenir. Elle souligne également l’absence d’un marché de l’art développé en Tunisie, ce qui rend la commercialisation des œuvres encore plus difficile.
Malgré ces défis, Zohra Zarrouki prévoit de marquer l’histoire en organisant la première exposition d’Ebru dans le monde arabe le 5 octobre 2024, mettant en avant toutes les techniques de cet art avec des œuvres inédites. Son dévouement et sa détermination continuent d’inspirer et de propager la beauté de l’Ebru bien au-delà des frontières tunisiennes.