A son arrivée à Tunis hier lundi 22 avril pour participer aux travaux du mini-sommet tripartite, le président Tebboune a réaffirmé encore une fois le soutien de l’Algérie à la Tunisie en s’écriant : « Que dieu protège la Tunisie […] Nos cœurs sont toujours avec le peuple tunisien et avec mon frère Kaïs […] La Tunisie peut être impactée mais ne tombera pas […] La Tunisie restera debout ! » L’axe Alger-Tunis est né. Et le Maroc?
La nature a horreur du vide. Le monde évolue, les défis géopolitiques modèlent un monde nouveau en pleine mutation où les nations n’ont d’autre choix que de s’unir dans des regroupements régionaux à l’image de la CEDEAO (la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) ou encore du Conseil de coopération du Golfe. A moins d’affronter, seul et isolé des mastodontes comme les 27 pays de l’Union européenne. Alors qu’en est-il du sommet tripartite de Tunis?
Mort encéphalique
S’agit-il dans les faits de relancer la construction maghrébine sans le Maroc et la Mauritanie? Force est de constater que depuis l’indépendance des pays maghrébins, le rêve ambitieux de l’intégration des cinq pays- en l’occurrence le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie- dans un ensemble régional, est plongé dans un coma encéphalique. Un chiffre qui résume l’état des lieux dans l’UMA, cette coquille vide créée il y a 35 ans. Et au sein de laquelle les échanges commerciaux ne dépassent guère les 3 % contre 47 % d’échanges inter-UE!
Pour rappel, l’UMA avait été fondée à Marrakech en 1989 avec l’ambition de renforcer les liens politiques et économiques entre le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie, la Tunisie et la Libye sur le modèle de la Communauté européenne, future Union européenne. Mais des tensions récurrentes entre Rabat et Alger ont fait capoter ce rêve. Ainsi, le dernier sommet entre dirigeants maghrébins remonte à 1994.
En effet, l’affaire du Sahara occidental empoisonne depuis des lustres les relations entre Alger et Rabat. Riche en ressources minières et aux eaux très poissonneuses, ce territoire désertique est contrôlé en majeure partie par le Maroc, mais revendiqué par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l’Algérie. Pour sa part, l’ONU considère qu’il s’agit d’un « territoire non autonome ».
Face à ce blocage, faut-il pour autant baisser définitivement les bras ou, par pragmatisme, passer à une autre dynamique maghrébine concrétisée par la création d’une « nouvelle entité maghrébine » dont le locomotive sera l’axe-Alger Tunis? Quitte à amputer cet espace régional de l’un des pays fondateurs, le Maroc en plus de la Mauritanie. Laquelle hésite manifestement à franchir le Rubicond à cause de sa promiscuité géographique avec le puissant voisin marocain.
Des solutions concrètes
C’est dans cet esprit que s’inscrit le mini-sommet tripartite entre le président de la République, Kaïs Saïed, son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune et le président du conseil présidentiel libyen, Mohamed Younes El Menfi. Sachant que cette initiative a été prise en marge du 7ème Sommet du Forum des pays exportateurs de gaz (Gecf), tenu à Alger. Et durant lequel les trois dirigeants ont convenu de tenir des réunions tripartites régulières. La première a été programmée en Tunisie.
La montagne a-t-elle accouché d’une souris? Au contraire. Car, il convient de rappeler que la Communauté européenne, future Union européenne, est née 18 avril 1951 sur la base du plan Schuman. Six pays ayant signé un traité pour mettre en commun la gestion de leurs industries du charbon et de l’acier.
Ainsi, d’après la « Déclaration du sommet consultatif de Tunis entre la Tunisie, l’Algérie et la Libye » exposée hier lundi 22 avril 2024 par le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, les trois dirigeants ont traité concrètement en priorité les dossiers sécuritaires, notamment de la protection de la sécurité de leurs frontières contre la migration irrégulière. Mais aussi le volet économique, particulièrement les investissements conjoints dans des secteurs prioritaires comme la production de céréales et de fourrage, le dessalement de l’eau de mer; ainsi que le projet d’interconnexion électrique entre les trois pays. Sans omettre de surmonter les difficultés entravant la circulation des marchandises, d’accélérer les procédures de circulation des personnes et d’établir des zones de libre-échange entre eux.
Enfin, sur le plan politique, les dirigeants des trois pays ont également exprimé leur attachement « à l’indépendance de la décision nationale, à un système international multipartite, au rejet total des ingérences étrangères dans les affaires libyennes et au soutien des efforts visant à organiser des élections pour préserver la sécurité et la stabilité de ce pays. Tout en soulignant le rôle central des pays voisins de la Libye dans le soutien de l’autorité politique dans le processus de stabilisation, de sécurité et de reconstruction ».
Une nouvelle entité contre le Maroc?
Faut-il pour autant voir dans cette nouvelle entité « une alliance maghrébine contre le Maroc», selon l’expression de la presse marocaine qui dénonce une manœuvre « destinée à faire croire que l’Algérie n’est pas isolée dans son voisinage »? Sachant que ni le Maroc, ni la Mauritanie n’ont été conviés à cet évènement.
Le président algérien Abdelmajid Tebboune s’en défend quand il a assuré lors d’une interview télévisée début avril que « ce bloc n’est dirigé contre aucun autre État » et que « la porte est ouverte aux pays de la région » et « à nos voisins de l’Ouest ».
L’idée de l’Algérie est de « combler ce vide », renchérit le chef de la diplomatie algérienne, Ahmed Attaf. « Combler le vide ne signifie pas créer une alternative à ce qui existe. Car l’UMA existe mais elle est dans le coma, toutes ses institutions n’ont pas été dissoutes, les conventions ne sont plus en vigueur vu les circonstances, mais elles sont là », a-t-il encore argué.
Et de conclure : «E en attendant le retour de l’UMA à la vie, devons-nous nous résigner à rester dans cette situation ? »
A première vue, l’argument serait irréfutable.