1er janvier 1863. 22 avril 2024. Washington. Londres. Proclamation d’émancipation des esclaves. Expulsion des refugiés. Pour vous faciliter la compréhension, il s’agit là de dates et de faits.
Présentée ainsi, on vous l’accorde, la chose n’est pas aisée à comprendre.
Le 1er janvier 1863, le président Abraham Lincoln proclamait l’émancipation des esclaves en Amérique. Ce qui entraîna, quelques années plus tard, le départ d’une bonne partie d’entre eux vers l’Afrique, plus précisément un coin perdu de l’Afrique de l’Ouest qui, lui, échappa au partage du continent en 1884 à Berlin entre puissances coloniales (France, Allemagne, Belgique, Portugal, Espagne, etc.). Ce coin perdu sera dénommé “Libéria“. C’était pour l’Histoire.
Le 22 avril 2024, un fait presque similaire s’est déroulé au Parlement anglais. Ce jour là, les députés de sa majesté ont voté un projet de loi autorisant le gouvernement à expulser des migrants (africains et autres) vers Kigali, la capitale rwandaise. Le deal stipule que Kigali recevra, entre contreparties, « des sommes substantielles ».
Rappel des faits
« Annoncé il y a deux ans par le gouvernement conservateur de Rishi Sunak (lui-même d’origine indienne, ndlr) et présenté comme une mesure-phare de sa politique de lutte contre l’immigration clandestine, ce projet vise à envoyer au Rwanda les demandeurs d’asile arrivés illégalement sur le territoire, peu importe leur pays d’origine ».
Il est précisé que le texte adopté par les parlementaires britanniques est adossé à un « nouveau traité entre Londres et Kigali, qui prévoit le versement de sommes substantielles au Rwanda en échange de l’accueil des migrants.
Il vise à répondre aux conclusions de la Cour suprême britannique, qui avait jugé “le projet initial illégal“ en novembre 2023, comme le rappellent nos confrères de francetvinfo.fr.
Cependant, le “bât blesse“ quelque part, et c’est dommage. En effet, « la loi définit le Rwanda comme un pays tiers sûr » … après le génocide de 1994. Certes, mais aux prix de quoi? Car si ce pays se targue d’être comme l’un des plus stables du continent africain, les accusations qui pèsent sur son président, Paul Kagamé, sont lourdes : « Il gouverne dans un climat de peur, étouffant la dissidence et la liberté d’expression ». Encore “dommage“, car la communauté internationale ne voit en lui que celui qui a mis fin au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.
Désormais rien ne s’oppose à l’expulsion des migrants irréguliers vers Kigali – déjà 2 200 places ont été réservées à cet effet. D’ailleurs, le Premier ministre, Rishi Sunak, avait assuré dans la matinée du 22 avril (c’est-à-dire avant le vote des députés) lors d’une conférence de presse que son gouvernement était « prêt à expulser des demandeurs d’asile vers le Rwanda d’ici dix à douze semaines, une fois la loi adoptée ».
Et comme l’on pouvait s’y attendre, l’opposition travailliste, les associations d’aides aux migrants, le chef de l’Eglise anglicane et même le Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme ont fortement critiqué le projet de loi. Amnesty International France le qualifie d’ «infamie sans nom ».
Selon les chiffres disponibles, 45 000 personnes clandestines étaient recensées au Royaume-Uni en 2022; un chiffre tombé à 30 000 en 2023. Et au cours des trois premiers mois de l’année 2024, ce chiffre aurait augmenté de plus de 20 % par rapport à 2023.
Pour notre part, nous pensons que les futures expulsions vont engendrer plusieurs problèmes d’ordre humain et même politique. Demain, ne soyez pas étonné de retrouver certains des futurs expulsés dans les zones de combat que mènent le petit pays (Rwanda) au Congo RD, au Mozambique, en Angola… Comprendre par là qu’ils serviront de chair à canon dans les affrontements. Le cas échéant, quelle sera la responsabilité du gouvernement britannique?