Qu’y a-t-il de commun entre investissement étranger qui bat de l’aile et souveraineté alimentaire en souffrance pour qu’ils soient regroupés sous une même bannière du Forum de l’Economiste Maghrébin? En apparence pas grand-chose, sinon qu’ils souffrent d’un mal chronique qui endommage et abîme le présent et interfère lourdement sur le futur proche et lointain du pays. En fait, entre ces deux questions, les rapports de causalité sont quasi mécaniques. Ils procèdent d’une même réalité et relèvent d’une même vision globale.
Il est beaucoup plus aisé de concevoir et de mettre en œuvre des politiques publiques à l’effet d’assurer notre souveraineté alimentaire quand le flot des investissements est à son apogée, quand il y a du grain à moudre à l’envi, de quoi remplir les caisses de l’Etat. Il faudra alors que tous les moteurs de la croissance soient allumés. Et d’abord, le premier d’entre eux, celui de l’investissement étranger, qui véhicule transfert de technologie et ressources financières.
Le taux d’investissement est à son plus bas historique, à peine 15% du PIB. Il était à 25%, quoiqu’en recul, en 2010.
La question au cœur du débat public de la sécurité-souveraineté alimentaire n’est pas sans rapport avec le recul des investissements, en panne ou en stand-by depuis plus d’une décennie. Le taux d’investissement est à son plus bas historique, à peine 15% du PIB. Il était à 25%, quoiqu’en recul, en 2010. On est bien loin des pays émergents où ce taux culmine à plus de 30% de leur PIB, avec pour corollaire une croissance forte, durable et inclusive.
Les investissements extérieurs suivent la même pente que les investissements locaux en hibernation. Ils participent dans tous les cas de figure à notre souveraineté-sécurité alimentaire en atténuant l’impact du stress hydrique dont les effets se font lourdement sentir, notamment au niveau des grandes cultures. Les images hideuses d’interminables files d’attente faisant à longueur de journée le siège des boulangeries et des grandes surfaces ne disparaîtront pas de sitôt.
Il importe de résorber au préalable notre dépendance énergétique, fort coûteuse en devises. La voie était toute tracée : recourir aux énergies renouvelables dont on disait qu’elles étaient sans limite.
Au nombre des défis auxquels nous sommes confrontés, il nous faut faire face aux pénuries d’eau, en raison de la persistance de la sécheresse à laquelle il va falloir s’habituer, pour assurer la sécurité de nos assiettes. Il importe de résorber au préalable notre dépendance énergétique, fort coûteuse en devises. La voie était toute tracée : recourir aux énergies renouvelables dont on disait qu’elles étaient sans limite. Résultat des courses : le pays manque d’eau et de ressources financières pour en produire davantage sans s’enfoncer plus encore dans la spirale infernale de la dette à laquelle, d’ailleurs, il ne peut prétendre, fût-ce à des taux très élevés, sans l’aval et sans que soit levée l’hypothèque du FMI. L’effet combiné de la sécheresse avec son cortège de baisse de la production nationale, la poursuite de la guerre russo-ukrainienne qui a fait exploser les cours des céréales et des carburants et la modicité – simple euphémisme – de nos réserves de change sur fond de crise des finances publiques lèvent le voile sur notre vulnérabilité, portée désormais à son paroxysme.
Notre sécurité alimentaire s’est fissurée. D’où l’impérieuse nécessité de traduire dans les faits notre souveraineté alimentaire au moyen de politiques publiques à l’effet de redéfinir, repenser et revitaliser nos filières et chaînes de valeur agricoles aujourd’hui laissées en jachère, mais sans lesquelles il ne peut y avoir de salut.
Quand l’économie a du mal à sortir la tête de l’eau, qu’elle est sans aucun relief, avec un encéphalogramme plat (0,4% de croissance), tout devient compliqué et difficile à mettre en marche. C’est dans la croissance que se dissolvent et se résolvent les problèmes. L’ennui est que celle-ci est grippée. L’économie est en récession, à cause des hésitations, des appréhensions, du peu d’engagement et de l’absence de motivation et d’enthousiasme des investisseurs.
Exprimés en dollars ou en euros, ils ont reculé de 2010 à 2023 de près de 50%. En réalité, les pertes seraient beaucoup plus importantes qu’il n’y paraît s’ils avaient maintenu leur trajectoire d’avant 2010.
Dans ce contexte peu amène, l’investissement direct étranger (IDE) a une tonalité particulière. Il met à jour et à niveau notre appareil productif, fait monter de plusieurs crans le curseur de l’innovation et de l’efficacité économique, participe à l’image et à la notoriété du pays dans le monde. Il nous fait de surcroît l’économie d’une aggravation de l’endettement, devenu le principal frein des investissements.
Nous avons perdu la bataille – mais pas la guerre – des IDE avant même de l’avoir engagée. Exprimés en dollars ou en euros, ils ont reculé de 2010 à 2023 de près de 50%. En réalité, les pertes seraient beaucoup plus importantes qu’il n’y paraît s’ils avaient maintenu leur trajectoire d’avant 2010. A lui tout seul, le manque à gagner nous aurait permis d’éviter toute cette montagne de dette. Nous avons perdu sur tous les plans : moins d’investissements, de croissance, d’emplois et de revenus d’impôts, en même temps que nous avons raté le train de la transition écologique et énergétique qui aurait donné corps et chair à notre souveraineté-sécurité alimentaire.
Il y aura, si cela venait à se confirmer, suffisamment d’énergie pour combler nos déficits en eau via le dessalement d’eau de mer et le recyclage des eaux usées. Un seul mot d’ordre : libérer les investissements pour que le pays retrouve sa place et son rang dans les écrans radars des multinationales pourvoyeuses d’IDE, de quelque origine qu’elles soient dans le nouveau contexte géopolitique
Tout n’est peut-être pas perdu si la machine des investissements reprend de plus belle, notamment dans les énergies renouvelables. L’objectif de 30% à l’horizon 2030 reste à notre portée. Avec en prime, si le projet ELMED venait à se réaliser dans les temps, la possibilité de faire de la Tunisie un pays exportateur d’hydrogène vert. Il y aura, si cela venait à se confirmer, suffisamment d’énergie pour combler nos déficits en eau via le dessalement d’eau de mer et le recyclage des eaux usées. Un seul mot d’ordre : libérer les investissements pour que le pays retrouve sa place et son rang dans les écrans radars des multinationales pourvoyeuses d’IDE, de quelque origine qu’elles soient dans le nouveau contexte géopolitique.
On doit pouvoir monter en gamme en attirant des investissements à forte intensité technologique et à forte valeur ajoutée, s’ouvrir davantage sur le monde sans complexe et sans tabou, en plaçant l’innovation au cœur d’un nouveau modèle de développement. En repensant et en réinventant notre façon de produire, de consommer, notre système alimentaire et de circulation. Un modèle qui serait à la fois la réaffirmation de notre souveraineté alimentaire et de notre réarmement industriel et technologique. Ce sont ces questions et bien d’autres encore qui seront débattues tout au long du Forum de l’Economiste Maghrébin dans son édition 2024, la 25ème à ce jour.
Cet édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n° 893 du 24 avril au 8 mai 2024