La campagne des élections européennes (dont le scrutin est prévu en France le 9 juin prochain) est bel et bien lancée. Ses enjeux revêtent une acuité et un intérêt particuliers, eu égard au contexte de « désoccidentalisation du monde » dans lequel ce scrutin s’inscrit. Des guerres en Ukraine et à Gaza, au spectre d’un retour de Trump à la Maison Blanche, la question de l’avenir de l’Europe s’impose dans la campagne des élections européennes. Une question qui tend à reformuler l’idée de puissance, notamment en termes d’autonomie stratégique. Des mots forts, mais dont le sens et la portée interrogent.
La marginalisation de l’Europe
Le système international moderne est né en Europe avec l’hégémonie de puissances qui se sont partagé la carte du monde. Les Européens se sont imposés au centre de la carte du monde. Cette représentation procède de la concentration des grandes puissances dans un espace à partir duquel se sont construits des empires transcontinentaux.
L’hégémonie des impérialismes européens (britannique, français, espagnol, portugais et néerlandais) à partir du XVe siècle s’était alors traduite par une répartition spatiale du monde et par la diffusion d’une représentation euro-centrée du monde. Ce temps est révolu. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les puissances européennes ont perdu leur statut ou primat.
L’hégémonie des impérialismes européens (britannique, français, espagnol, portugais et néerlandais) à partir du XVe siècle s’était alors traduite par une répartition spatiale du monde et par la diffusion d’une représentation euro-centrée du monde
La désoccidentalisation du monde se traduit d’abord par une « provincialisation » de l’Europe. Le coût multidimensionnel des deux guerres mondiales puis les vagues de décolonisation ont consacré un mouvement de déclin.
Celui-ci résulte d’une combinaison d’éléments structurels de diverses natures :
- la fin de l’hégémonie des Etats-Unis s’accompagne d’une montée de la rivalité avec la Chine ;
- la mondialisation économique s’est elle-même traduite par un glissement du pivot des relations internationales de la zone transatlantique vers la zone transpacifique ;
- l’entrée dans une phase de transition systémique, sans puissance hégémonique ni directoire capable d’imposer sa volonté face à des crises et conflits récurrents, persistants, y compris aux portes de l’Europe ;
- une crise de la mondialisation économique : non seulement une vague de néo-nationalisme (y compris dans les démocraties occidentales) se traduit par une défiance à l’endroit du libre-échange, mais l’interdépendance économique a montré de facto toutes ses limites.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Européens ont perdu leur primat. Les vagues de décolonisation, puis la mondialisation économique de la fin du XXe siècle se sont accompagnées d’une marginalisation de l’Europe. Les puissances européennes sont essentiellement des puissances moyennes ou régionales. Celles-ci ne sauraient rivaliser avec les puissances mondiales et leurs capacités globales.
Reste le projet collectif que représente l’Union européenne (UE). Si l’origine de celui-ci ne procède pas d’une volonté de puissance, la nouvelle donne internationale et régionale commande un véritable « sursaut géopolitique ». Il en va de la place du Vieux continent dans le siècle.
Sous l’influence du président Macron, l’« indépendance stratégique » s’est imposée dans le langage européen. Si la notion charrie l’idée de « souveraineté européenne » et l’enjeu de la défense européenne, elle inclut plus largement la problématique des chaînes d’approvisionnement dans des domaines stratégiques
Vers un sursaut ?
Une nouvelle donne qui a nourri une prise de conscience politique de la situation de dépendance stratégique des Européens. Au-delà de sa capacité d’attractivité et de sa « puissance à diffuser des valeurs, le caractère exceptionnel des crises sanitaires (pandémie de Covid-19) et sécuritaires (suite à l’agression russe contre l’Ukraine) a révélé la problématique des chaînes d’approvisionnement dans des domaines stratégiques où les Européens se trouvent en situation de dépendance et donc de risque et de vulnérabilité.
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Partant, le découplage et la réindustrialisation ont fait irruption dans les débats stratégiques, avec en toile de fond la résurgence du thème de la souveraineté (alimentaire, énergétique, militaire, etc.). Sous l’influence du président Macron, l’« indépendance stratégique » s’est imposée dans le langage européen. Si la notion charrie l’idée de « souveraineté européenne » et l’enjeu de la défense européenne, elle inclut plus largement la problématique des chaînes d’approvisionnement dans des domaines stratégiques où les Européens se trouvent en situation de dépendance et donc de vulnérabilité : matières premières, ressources énergétiques, numérique …
Or, l’« autonomie stratégique » se heurte à des obstacles politiques. Une part non négligeable des Etats européens est encore rétive au concept et à ce qu’il implique. Ils conçoivent en particulier leur sécurité à travers le principe cardinal d’une alliance entre les Etats-Unis et l’Europe conçue dans le cadre de l’OTAN. L’implication américaine aux côtés de l’Ukraine vaut avertissement pour une Chine tentée d’envahir Taïwan.
L’Europe s’alignera-t-elle pour autant sur son traditionnel allié stratégique ? Quelle est la stratégie pour laquelle optera la doctrine de l’UE au sujet de la Chine : le partenariat, la concurrence ou la rivalité systémique ?