Dans le vaste univers des réseaux sociaux, émerge une voix singulière qui conjugue passion littéraire et présence numérique : Zeyneb Hammi. Cette enseignante de français et créatrice de contenu littéraire sur Instagram , qualifiée avec justesse de « instabookeuse », se démarque par son engagement vibrant en faveur de la littérature, attirant une communauté de plus de 22 000 abonnés avides de découvertes littéraires. À travers ses critiques, ses recommandations et ses escapades culturelles, Zeyneb Hammi érige un pont entre les mots et le monde virtuel, façonnant ainsi un espace d’échange et de partage pour les amoureux des livres. Interview.
Zeyneb Hammi, vous êtes une instagrameuse qui se démarque. On pourrait même dire que vous êtes une « instabookeuse ». Très populaire sur Instagram et reconnue dans les cercles littéraires, vous partagez avec votre communauté de plus de 22 000 abonnés des critiques de livres, des bons plans pour l’achat de livres, des escapades littéraires et culturelles. Quelle est l’origine de cette réussite?
Je donnerai une réponse prévisible mais qui me représente tellement : la passion est l’origine de toute réussite. Si je n’avais pas cet engouement pour la littérature et les mots, probablement mon influence n’aurait pas de poids. J’étais convaincue un jour, en 2018, que Instagram pourrait être un canal de partage pour les lecteurs et les futurs lecteurs et je pense que le nombre d’abonnés mais surtout l’engagement réel et les retours ont confirmé cela. J’en suis fière après toutes ces années. C’est la spontanéité et la passion pour les livres qui ont tracé mon chemin sur Instagram parce que réellement la littérature existait bien avant moi. Je voulais uniquement la rendre plus accessible.
Sur Instagram et TikTok, il y a plusieurs phénomènes et personnalités qui diffusent un contenu sans rapport avec la culture et la lecture. Ce contenu est souvent considéré comme futile, sans valeur ajoutée pour l’internaute, pourtant certains influenceurs gagnent une grande notoriété et suscitent la controverse. Quelle est votre opinion à ce sujet? Vous considérez-vous comme un rempart contre cette vague de médiocrité, vous et les autres membres du club de lecture?
Je pense qu’il faut de tout pour faire un monde. Cette réponse je ne l’aurais pas donnée il y a deux ans quand j’avais énormément de réserves par rapport à certains contenus abrutissants et qui nourrissent la médiocrité. Actuellement, je vois les choses d’un autre œil. Certes, il y a toujours des contenus qui me révoltent et qui, à mon sens, sous-estiment l’intelligence de certains abonnés mais le contenu futile ou vide aura toujours des abonnés qui le cherchent, qui le réclament et c’est la règle du jeu. Il faut être conscient de cette médiocrité pour pouvoir la remplacer par autre chose de plus constructif, plus influençant dans le bon sens. Personne ne sera en mesure de contrecarrer cette vague de bassesse qui nous entoure sur les réseaux sociaux mais il y a de nombreux créateurs de contenu qui sont en train de faire de leur mon mieux pour minimiser « les dégâts » si j’ose dire, en proposant un contenu inspirant et diversifié en rapport avec la culture et cette force de résistance ne doit jamais disparaître.
Vous êtes également la fondatrice d’un club de lecture appelé Book club avec Zeyneb Hammi au café culturel Biblio Thé. Pouvez-vous nous parler de cette nouvelle initiative et de ses objectifs? En général, quel est le rôle de ces clubs dans la promotion de la lecture chez les adolescents et les jeunes?
Mon club de lecture est un projet qui vient de naître. L’idée m’est venue en tête après avoir remarqué qu’il y a énormément de personnes qui s’intéressent aux romans et qui lisent régulièrement sans qu’il y ait un cadre qui les réunit. Je voulais surtout que l’échange virtuel avec les lecteurs de transforme en échange réel. La première rencontre était un hommage à la littérature palestinienne et c’était émouvant. Le club de lecture est une rencontre mensuelle, chaque dernier dimanche du mois, où nous essayons de parler d’une œuvre déjà lue pendant tout le mois. J’annonce la lecture sur mon Instagram et nous nous rencontrons pour confronter nos avis et partager nos impressions de lecture. Le public du Book club est hétérogène d’où son originalité. Peu importe la spécialité, l’âge ou le background de la personne, le plaisir du partage reste indescriptible. Les clubs de lecture permettent au lecteur de sortir de sa bulle et de voir comment l’œuvre littéraire se multiplie en fonction des lecteurs et de leurs expériences. C’est toute la magie des mots. Dans ce même ordre d’idées, je tiens à souligner le rôle crucial que fait le club Massart dans la promotion de la lecture, j’ai assisté à ce club et j’avais moi-même consacré un cycle à Kafka. Les clubs de lecture façonnent aussi nos choix de lecture.
Les statistiques, notamment celles du cabinet de sondage d’opinion Emrhod Consulting, dressent le portrait d’un Tunisien qui lit très rarement. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que ce sujet est abordé dans leurs sondages. Citons quelques chiffres du sondage réalisé lors de la dernière foire du livre du 22 au 27 avril 2024, auprès de 912 Tunisiens dans les 24 gouvernorats : seulement 12 % des personnes interrogées affirment avoir acheté un livre au cours des 12 derniers mois, 19 % affirment avoir lu un livre pendant la même période, 65 % estiment que les Tunisiens se détournent de plus en plus de la lecture. Face à ces chiffres, peut-on être optimiste quant à l’avenir de la lecture en Tunisie?
Franchement, les statistiques me laissent perplexe. J’ai tendance à les croire surtout que la culture n’est pas une priorité pour la majorité écrasante et l’invasion des réseaux sociaux a creusé encore plus la fossé entre le Tunisien et la culture livresque. Cependant, quand je vois les queues interminables lors de la foire du livre chaque année, ça me réjouit. Je me dis qu’il ne faut jamais perdre espoir. Je reste optimiste car il y a des lecteurs passionnés, des maisons d’édition qui s’investissent corps et âme pour l’avenir du roman et cela me rassure un peu.
Il est indéniable que les prix des livres sont en hausse, ce qui s’ajoute aux problèmes de pouvoir d’achat des Tunisiens. Même les bouquinistes augmentent les prix des livres d’occasion, la lecture devenant ainsi de plus en plus difficile. Ne pensez-vous pas que cela constitue un obstacle à la lecture? Auriez-vous des solutions à proposer aux autorités compétentes à ce sujet?
Je le dis sincèrement : avoir une bibliothèque chez soi est devenu un luxe avec la hausse étonnante des prix car, comme vous le dites, même les bouquinistes proposent des livres dont les prix ne sont pas abordables et cela est désolant. Les étudiants n’ont pas les moyens de se permettre un roman à 40 dinars. Les nouvelles parutions sont proposées à des prix exorbitants. Le recours au PDF devient par moment une obligation (même si je ne l’encourage pas). Je ne pense pas pouvoir apporter des solutions car le problème touche plusieurs domaines surtout avec la crise d’approvisionnement du papier et les frais des douanes appliqués à chaque livre qui vient de l’étranger. Les réductions sauvent parfois la situation, on trouve de temps à autre des joyaux chez les bouquinistes, mais j’avoue que la hausse des prix a compliqué la tâche à ceux et celles qui veulent lire.
Quel est votre avis sur le paysage littéraire tunisien?
Le paysage littéraire tunisien est mouvementé et assez coloré dans le sens où différents styles coexistent. Il y a une diversité remarquable dans les thématiques et dans les plumes. Cette diversité est capitale pour que le lecteur puisse trouver des livres qui le représentent et auxquels il peut s’identifier. Beaucoup d’efforts doivent encore être faits des différents acteurs du livre pour que la situation globale s’améliore, mais je reste optimiste malgré les moments de doute que je vis parfois.
Quelques initiatives émanant du secteur privé viennent booster le monde littéraire, comme le Prix de la Fondation Abdelwaheb Ben Ayed de littérature, le « Prix FABA de littérature », qui en est à sa quatrième édition, et Le Comar d’or, qui a fêté sa 28ème édition ce mois-ci. D’une manière générale, le secteur privé en fait-il assez dans le cadre de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE) pour soutenir la culture en général et le livre en particulier? La culture a-t-elle besoin du secteur privé?
La culture a grandement besoin du secteur privé puisque l’Etat n’est pas en mesure de propager l’activité culturelle à grande échelle ni d’assurer sa pérennité. Le constat est bien désolant et il lui faut des alternatives, celles-ci émanent parfois du secteur privé et je dirai tant mieux. Les prix littéraires encouragent les écrivains et gratifient leurs œuvres, les poussent à produire plus, à se trouver dans un esprit compétitif dont ils ont besoin parfois. Le secteur privé, à mon sens, lance des initiatives louables pour soutenir la culture, nous fait découvrir des auteurs émergents ou peut-être permet à d’autres d’avoir plus de visibilité. Il me semble que c’est un hommage vivant important aussi bien pour l’auteur que le lecteur.
Pour conclure, un dernier mot?
Je vous remercie pour la qualité des questions posées et pour l’intérêt que vous avez pour la culture et la littérature. J’espère que les gens prennent toujours du plaisir à se délecter des mots et à les apprécier.