Quel rôle pour les nouveaux consortiums de recherche dans la transformation digitale et industrielle en Tunisie?
Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique (MESRS) vient de lancer un appel à candidatures pour la formation de consortiums de recherche. L’objectif est de stimuler les laboratoires de recherche universitaires leaders dans leurs domaines respectifs à collaborer avec des partenaires éminents du secteur socioéconomique, afin de conduire des activités de recherche et développement sur une période de 4 ans, renouvelable, avec pour ambition de devenir des pôles d’excellence et des foyers d’innovation reconnus nationalement et internationalement.
Dans cette optique, le MESRS allouerait un budget conséquent d’environ 2 millions de dinars pour chaque mandat et pour chaque projet.
Ce deuxième appel à projets retient quatre thèmes prioritaires, principalement axés sur l’écologie et la technologie, s’inspirant de l’expérience de la création des consortiums de recherche en investigation clinique dans le domaine de la santé lancés en 2015 et du décret n° 2009-644 du 2 mars 2009, fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement des laboratoires, des unités et des consortiums de recherche.
Le nouvel appel, accessible sur le site : http://www.mes.tn/, dont la date limite de dépôt en ligne, en deux étapes, est fixée pour le 30/05/2024, cible en priorité les domaines suivants :
- Sécurité hydrique et énergétique
- Économie durable des zones côtières
- Transition digitale et industrielle
- Climat et transition écologique.
Ce projet vise à promouvoir une recherche interdisciplinaire et collaborative, favorisant ainsi l’émergence de solutions innovantes pour les défis contemporains, tout en renforçant le lien entre le monde de la recherche et le secteur socioéconomique. Un tel appel pourrait-il conduire au changement d’un état d’esprit et catalyser la coopération entre recherche et industrie ?
Transition industrielle…
Prenons comme exemple l’un des thèmes essentiels, à savoir la transition digitale et industrielle, qui joue un rôle crucial tant dans l’innovation que dans l’économie.
Par exemple, la transition industrielle du secteur des matériaux tels que l’extraction, la transformation et la valorisation des matériaux rares et critiques, ainsi que la maîtrise des procédés sur les nanomatériaux et leurs multiples applications, peuvent représenter un des leviers significatifs pour l’industrie minière et chimique en Tunisie. Cette transition pourrait impliquer des synergies entre une industrie qui cherche à se relever des précédentes crises et les laboratoires concernés au profit des secteurs porteurs vitaux agricoles et des matériaux pour l’électronique en amont.
Dans le domaine de l’électronique et de la microélectronique, qui est en pleine mutation à l’échelle mondiale, avec un contexte de relocalisation et de protectionnisme industriel, l’émergence des véhicules électriques, de la conduite assistée, de la démocratisation de l’aérospatial, de la robotique, des drones, des nouveaux modes industriels d’Industrie 5.0, ainsi que de l’Internet des objets (IoT) et des systèmes embarqués communicants autour de la future 6G, présentent d’importantes opportunités de développement et des défis de positionnement aussi bien scientifiques qu’industriels.
… et transition digitale
En ce qui concerne la transition digitale, nous pouvons identifier au moins trois secteurs prometteurs : les jumeaux numériques (Digital Twin), l’intelligence artificielle et la technologie quantique.
Les jumeaux numériques représentent une opportunité majeure pour modéliser virtuellement divers secteurs économiques, incluant le transport, la distribution, l’agriculture, l’énergie, l’environnement, ainsi que les services sociaux comme la santé ou l’éducation. Ils offrent la capacité de générer des données massives et interopérables, tout en intégrant des technologies de pointe telles que la blockchain pour renforcer la sécurité et la traçabilité ainsi que l’intelligence artificielle pour optimiser les opérations sectorielles, réduire les dysfonctionnements et proposer de nouveaux services numériques innovants.
Lire aussi : Tunisie : lancement du premier réseau national global de Blockchain
L’intelligence artificielle, en particulier générative, en conformité avec la stratégie nationale sur l’IA, pourrait devenir une locomotive technologique pour plusieurs activités en Tunisie, sous réserve d’un accès aux données, d’une attention à l’interopérabilité, à la cybersécurité et à une évaluation éthique des divers projets, afin de garantir la confiance des parties prenantes, tant des commanditaires que des consommateurs.
Ses applications dans des domaines porteurs tels que le développement informatique, la médecine, la finance, la culture et le tourisme et bien d’autres secteurs de services seront très bénéfiques.
Vivement une synergie entre recherche et industrie
Il convient également de mentionner un autre domaine à la frontière de la science, mais qui évolue rapidement grâce à la nanotechnologie qu’est la technologie quantique, avec ses quatre axes d’activité : les capteurs quantiques, l’informatique et la simulation quantique, la communication quantique et le cryptage quantique.
En effet, la Technologie Quantique, dans le cadre des grands programmes stratégiques internationaux, contribue dès maintenant à façonner le futur numérique en mobilisant les scientifiques des disciplines fondamentales et appliquées. La Tunisie pourrait mettre à profit ses ressources scientifiques, sa jeunesse fervente de savoir et de découvertes pour bâtir sa propre stratégie et essayer de contribuer à la révolution quantique mondiale à travers un positionnement géostratégique et attirer d’importants programmes et fonds internationaux.
L’approche présentée dans ce papier n’est pas exhaustive mais vise seulement à offrir des pistes et à stimuler la réflexion, les échanges et la collaboration entre les laboratoires de recherche et les industries nationales, ainsi qu’avec les clusters spécialisés très actifs dans les différents technopôles du pays.
Il est évident que les enjeux dépassent sans nul doute les capacités des systèmes de recherche et d’innovation et le programme des consortiums offert, mais c’est une nouvelle opportunité pour réfléchir ensemble et pour imaginer le futur, expérimenter de nouvelles approches avec des programmes accessibles permettant d’évoluer aussi bien au niveau des méthodes que des résultats, à moyen terme, vers un avenir de coopération et un meilleur équilibre de la synergie entre le monde de la recherche et celui de l’industrie.
Prof. Kamel BESBES
Universitaire, CRMN