Après avoir livré, sans état d’âme, des armes parmi les plus puissantes de son arsenal conventionnel et sans tenir compte de leurs effets dévastateurs sur Gaza, l’administration américaine et à sa tête Joe Biden a décidé d’en suspendre la livraison à l’armée de l’occupation israélienne. Surplus d’humanité ou charité chrétienne? Que nenni.
Qui l’eût cru? L’administration américaine vient de franchir un pas inédit dans sa relation étroite mais oh combien complexe avec l’Etat hébreu. Est-ce la fin du soutien inconditionnel des États-Unis à Israël? Plutôt une tentative désespérée pour Biden de freiner la fuite en avant meurtrière de son encombrant protégé, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou.
Une opération « inutile »
En effet, une fois n’est pas coutume, les Américains ne soutiennent pas Israël qui se prépare à mener une opération militaire terrestre massive contre la population palestinienne à Rafah; alors que l’ONU dit craindre un « bain de sang ». « Nous ne pourrions pas soutenir une opération militaire majeure à Rafah et nous ne le ferions pas », a averti le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, lors d’une interview accordée à NBC dimanche 12 mai.
« Aller à Rafah, surtout en l’absence d’un plan pour les civils, risque de causer de terribles dommages aux civils et de ne pas résoudre le problème ». Ainsi argue le chef de la diplomatie américaine. Et de s’interroger : « Que se passera-t-il le lendemain de la fin de la guerre à Gaza? Même si Israël menait une opération massive à Rafah, il resterait des milliers d’armes du Hamas. Nous avons vu le Hamas revenir dans les zones qu’Israël a déjà nettoyées dans le Nord, même à Khan Younès. »
Cela-dit, poursuivait Antony Blinken, comme pour se rattraper de vouloir lâcher le plus proche allié de Washington dans la région, « en même temps, nous partageons l’objectif d’Israël de faire en sorte que le Hamas ne puisse plus gouverner Rafah, que la ville soit démilitarisée et qu’Israël attrape ses dirigeants ».
L’aveu de Joe Biden
De toute évidence, le diplomate américain s’aligne sur la position du président Joe Biden, qui, il y a à peine une semaine, aura menacé de suspendre la livraison de certaines armes, dont des obus d’artillerie, si Tsahal lançait une opération à Rafah. Et ce, suite à la publication par le département d’État d’un rapport concluant qu’il était « raisonnable » d’estimer qu’Israël avait violé le droit international à Gaza.
Ainsi, il aura fallu 34 904 morts, selon le dernier bilan du ministère de la Santé du Hamas, pour que le locataire de la Maison Blanche reconnaisse enfin que des civils avaient été tués à Gaza par des bombes fournies par les Etats-Unis.
« Je l’ai dit clairement à Bibi (le surnom de Benyamin Netanyahou) et au cabinet de guerre : ils n’auront pas notre soutien s’ils vont dans les centres de population. S’ils entrent à Rafah, je ne leur livrerai pas les armes qui ont toujours été utilisées contre des villes ». C’est ce que Joe Biden a révélé dans un entretien à CNN, diffusé mercredi 8 mai au soir, confirmant dans la foulée la suspension, la semaine précédente, d’une livraison d’armes « offensives » à l’armée israélienne engagée depuis sept mois dans une guerre génocidaire dans la bande de Gaza.
Mais de quoi s’agissait-il? De 1 800 bombes de 2 000 livres (907 kg) probablement des MK-84, considérées comme l’une des munitions les plus destructrices utilisées par l’armée américaine et de 1 700 « petites » bombes de 500 livres (226 kg).
Une arme terrifiante
En service depuis le début des années 1970, les bombes MK-84 ont été utilisées par l’armée américaine au Vietnam puis, avec parcimonie, en Irak et en Afghanistan en raison de leur effet dévastateur dans les zones urbaines.
Contenant plus de 400 kg d’explosifs, ces bombes de 4,5 mètres de long génèrent un immense cratère et envoient des milliers de fragments qui s’éparpillent dans toutes les directions. Rien ni personne ne peut y survivre dans un rayon de 350 mètres.
A noter selon, les indiscrétions du Washington Post, que la livraison d’armes suspendues la semaine dernière n’est qu’une goutte d’eau : près de cent livraisons d’armes avaient déjà été organisées en six mois, soit un véritable pont aérien.
De plus, le 24 avril, Joe Biden a signé une loi, votée au Congrès, qui accordait 15 milliards de dollars d’aide supplémentaire à Israël. Sur cette somme, 5 milliards étaient destinés aux trois systèmes de défense antimissile de l’Etat hébreu. Cette aide s’ajoute à une aide régulière et gratuite à Israël depuis de nombreuses années. Elle est évaluée à plus de 3,5 milliards de dollars par an, selon des chiffres officiels. Par ailleurs, ce sont aussi les États-Unis qui financent et fournissent en partie l’équipement du « Dôme de fer », le très coûteux bouclier d’Israël contre les roquettes tirées de Gaza ou du Liban.
Calcul électoral
Au final, si la suspension des livraisons d’armes était clairement un signe de tension palpable dans les relations entre Washington et Tel-Aviv, il n’en demeurerait pas moins que le la réticence américaine à fournir plus de ces terrifiantes bombes à l’armée israélienne n’est pas due à des impératifs d’ordre éthique mais à la pression croissante exercée sur Joe Biden par le flanc gauche du Parti démocrate qui s’inquiète des conséquences de l’alignement aveugle des Etats-Unis sur les résultats de l’élection présidentielle de novembre. Voici la morale de l’histoire.