On peut qualifier ce débat de match amical entre deux professeurs en économie qui se connaissent bien. Discuter de l’inflation offre des points de vue relativement proches qui se complètent, chacun apportant une analyse économique complète. Ce qui donne tout son sens à ce débat entre deux universitaires du monde de l’économie : Rached Bouaziz, universitaire et ancien doyen de la FSEG de Nabeul, et Skander Ounaïes, professeur à l’Université de Carthage, ancien conseiller économique au Fonds souverain du Koweït (KIA). Ce face-à-face met l’accent sur la nature de l’inflation. De quelle inflation parle-t-on?
Rached Bouaziz se concentre sur les déterminants actuels de l’inflation, en soulignant que celle-ci est largement due à une inflation par les coûts. Cette hausse est principalement causée par l’augmentation des prix des matières premières et des coûts du transport international, exacerbée par la dépendance du pays à l’importation de ces matières premières essentielles à la production. Il précise dans ce contexte : « Étant importateurs de matières premières nécessaires à la production, nous sommes particulièrement touchés. En matière d’inflation par la demande, il faudrait peut-être la décomposer en trois parties : consommation privée, investissement privé et dépenses publiques. »
L’ancien doyen de la FSEG de Nabeul met ainsi l’accent sur la demande intérieure composée de trois parties : consommation privée, investissement privé et dépenses publiques.
Il note que la consommation privée et l’investissement privé ne sont pas les principaux moteurs de l’inflation, en partie à cause des taux d’intérêt élevés qui freinent les dépenses du secteur privé. En revanche, ce sont les dépenses publiques qui maintiennent une pression sur la demande intérieure.
Tout comme il souligne aussi que le potentiel de production du pays a diminué au cours des dix dernières années; et ce, en raison de la baisse des investissements publics et privés. Ce qui contribue à la rareté des produits sur le marché et à l’inflation.
De plus, il mentionne le phénomène d’auto-alimentation de l’inflation, où une première vague d’augmentations de prix entraîne des augmentations ultérieures par d’autres agents économiques cherchant à compenser la perte de pouvoir d’achat.
Pour sa part, Skander Ounaïes critique le manque d’investissement public depuis 2019, le qualifiant de pratiquement constant en termes réels. Il évoque entre autres le livre d’Alain Lipietz, « Crise et inflation », pour souligner la nécessité d’un nouveau modèle de développement économique.
Par conséquent, Skander Ounaïes s’interroge sur la viabilité du modèle actuel et comment le financer ou le changer. Il souligne que l’inflation est un déséquilibre social et économique, comme il l’a également évoqué lors de son analyse.
En ce qui concerne la dette publique, il estime que depuis 2021, elle tourne à pratiquement 80 % du PIB de la dette publique, dont les deux tiers sont en devises et un tiers en dinars. Tout en ajoutant qu’elle a pratiquement doublé depuis 2011 jusqu’à l’automne 2023.
D’où la question : quel est son impact? A cette interrogation, il répond : aucun. Car précise-t-il, il n’y a pas d’augmentation de la dette publique, du moment que l’on ne voit pas de nouveaux hôpitaux, autoroutes, universités, piscines olympiques… Où va cet argent? « Ce qui fait qu’il alimente une consommation improductive », poursuit-il.
Sur un autre volet, le deuxième indicateur, M. Ounaïes conclut que « le service de la dette va exploser ». Car il a doublé par rapport à 2023.
In fine, il conclut que pour le service de la dette, » il faut débourser 2 milliards de dollars. Si ces 2 milliards de dollars ne sont pas disponibles, on risque de se retrouver en situation de défaut. »
Cet article n’est qu’un extrait du Match du mois qui sera disponible dans le prochain numéro du Mag de l’Economiste Maghrébin.