Quelques centaines, selon les agences de presse, de Tunisiennes et de Tunisiens ont manifesté, dimanche 19 mai, dans l’artère principale de la ville de Tunis pour dire leur colère contre les ingérences étrangères dans les affaires de politique intérieure tunisienne. Cette manifestation se veut être un soutien au président de la République.
On ne peut que saluer leur initiative, si les appels via les réseaux sociaux, pour descendre massivement dans la rue n’avaient pas été accompagnés souvent par des accusations de « trahison » à l’égard d’autres citoyens tunisiens, qui eux pour la plus part (quelques centaines aussi) avaient manifesté une semaine avant, pour appeler à libérer les « prisonniers politiques » et aussi à amender ou suspendre le fameux décret, dit 54. Des slogans et des mots d’ordre qualifiant ceux qui se définissent comme « défenseurs des droits de l’Homme » de « traîtres » et de suppôts de l’Occident impérialiste furent scandés,
Tout ça montre qu’on ne sait pas en Tunisie encore utiliser les marges de liberté encore existantes, presque 14 ans après une supposée révolution démocratique. Cette logomachie nous provient de l’Orient et ne faisait nullement partie du lexique politique tunisien. Elle dérive du lexique religieux qui, lui, accuse les contradicteurs de kafir, impie, et surtout du lexique nationaliste arabe, du temps de Nasser et du parti Baath. Mais la « révolution » est passée par là et les repères idéologiques ont bien changé.
Droit d’ingérence et néo-colonialisme
Suite à la publication d’un court communiqué du ministère français des Affaires étrangères à propos de l’affaire de l’avocate Sonia Dahmani et la « situation des droits de l’Homme en Tunisie », suivie par un bref communiqué de l’Union européenne sur le même sujet, le président de la République, Kaïs Saïed, a ordonné au secrétaire d’État de convoquer les ambassadeurs des pays concernés pour certainement protester contre ce qu’en Tunisie on considère comme une ingérence dans nos affaires intérieures. Ce qui est une attitude logique et diplomatiquement justifiée. Tout pays souverain aurait agi de la même façon indépendamment de la nature de la question invoquée. Sauf qu’en Tunisie, on avait pris l’habitude depuis 2011 de s’aplatir devant de telles attitudes provenant des pays amis.
L’ingérence dans nos affaires intérieures était devenue, pendant plus de dix ans, une pratique courante, renforcée par l’essaimage dans notre tissu social et politique de réseaux d’associations financées et dirigées par des pays et des organismes étatiques étranger. Ce n’est pas un hasard si une des premières lois qui furent abolies après la chute de l’ancien régime fut la loi sur les associations. Un décret autorisant même le financement direct par des Etats étrangers ces associations, qui, à l’origine, étaient à but non lucratif, fut édité au Journal officiel. Le seul État qui était écarté de ‘cette faveur » était Israël. Jusqu’à l’écriture de ces lignes, ce décret est encore en vigueur ! Alors pourquoi s’étonner que la situation perdure alors qu’il aurait suffi de faire voter une loi ? Depuis plus de trois ans on parle d’un projet de loi qui continue à voyager entre les bureaux d’une bureaucratie et d’autres institutions qui « étudient » et réétudient » la question. Pourtant, nombreuses furent les occasions où le chef de l’Etat lui-même avait vilipendé cette situation où il est question de souveraineté nationale et de « financements » étrangers qui comme on le sait passent par la Banque centrale dans une totale légalité.
Mais la question est loin d’être simple, car il ne suffit pas seulement de voter une loi pour couper court à toute ingérence directe ou déguisée dans nos affaires intérieures. Car l’État tunisien est signataire d’un tas d’accords internationaux sur la question des droits de l’Homme et des libertés politiques et civiques, et à notre connaissance, aucun de ces accords n’a été jusqu’à maintenant dénoncé, y compris sur le TPI (Tribunal pénal international).
La signature de ces accords, et ceci pour touts les États du monde, signifie que ces États ont consenti à céder une partie de leurs souverainetés conformément à ce qu’on désigne par le « droit international ». Ainsi est faite la communauté internationale du moins depuis la création de l’ONU. Les principes et les règles qui régissent cette organisation sont dites universelles et applicables à tous ses pays membres. Le nôtre aussi !
Mais les grandes puissances n’appliquent ces principes que quand leurs intérêts les y obligent. Le conseil de sécurité a toujours été la bras séculier de l’ONU, comme pour la guerre contre l’Irak au nom du « droit d’ingérence humanitaire ». D’où la politique des deux poids et deux mesures. L’exemple le plus frappant est l’attitude des pays occidentaux devenus le chantre de ces droits, eux qui, pour la plus part, ont colonisé, opprimé et tué des millions de personnes et continuent à le faire, surtout les USA. Il n’ y a qu’à suivre leurs attitudes à l’égard de l’État sioniste qui commet un génocide à Gaza, tuant en quelques mois trente-six mille personnes, femmes, enfants, bébés et vieillards, rasant complètement des villes entières, massacrant d’une façon barbare des innocents sous prétexte de lutte contre le terrorisme.
Alors qu’ Israël continue son génocide, sans qu’aucun des pays européens ne lève le petit doigt, l’UE et notre amie la France se sont fondues de communiqués, sur la situation « des droits de l’Homme » en Tunisie. Nous ne justifions pas là, cette situation qui se délabre de jour en jour, mais nous disons qu’elle doit être réglée politiquement entre Tunisiens. N’est-ce pas ce que disaient alors ceux qui sont en prison « pour complot contre l’État » surtout les islamistes quand ils étaient au pouvoir ? Comment résoudre entre Tunisiens cette question ? En militant politiquement et en essayant de respecter les lois du pays et la justice de ce même pays, qu’ils avaient sous leur ordre.
Rappelons la célèbre phrase du fameux ministre de la Justice, El Bhiri: « Ils n’ont qu’à s’adresser à la justice », bien sûr après avoir mis sous ses bottes cette dernière en limogeant plus de 80 grands juges.
En effet, pendant toute une décennie, des ministres, des pd-g, des militants, des policiers, étaient sous les verrous pour la seule appartenance à l’ancien régime. Le cercle vicieux, dans lequel la Tunisie s’est engouffrée depuis 2011 continue. La seule solution pour le casser sera un jour une amnistie générale et un combat politique et non seulement juridique de tous les jours.
La souveraineté nationale c’est quoi ?
Bien sûr nous n’allons pas inventer la roue, car la souveraineté nationale est apparue, dans l’histoire, avec l’apparition des Etats. Sauf qu’après la Seconde Guerre mondiale, en prévision de la division du monde en deux grands pôles, l’humanité tout entière et surtout les grandes puissances ont créé l’ONU et donc la légalité internationale, avec son fabuleux arsenal de règles du droit dit international, qui est loin d’être toujours juste. La création de l’Etat d’Israël a été décidé par l’ONU. Paradoxalement cet Etat n’a jamais respecté ni l’organisation ni le droit international, car depuis protégé par les grandes puissances militaires.
La souveraineté nationale a depuis changé de sens, elle correspond désormais au respect des Etats, et de leurs politiques intérieures et extérieures, mais dans le cadre de la loi internationale et les conventions signées volontairement et souverainement par ces États. L’État qui ne respecte pas ses engagements ne respecte pas du coup sa propre souveraineté. Ceci sur le plan théorique. Quant au plan pratique, tous les Etats du monde sont amenés un jour ou l’autre à enfreindre ces lois. C’est pour ça qu’on a inventé les tribunaux internationaux. Les USA et Israël n’ont jamais pour leur part reconnu ces instances, mais pas la Tunisie qui a adhéré à ces conventions surtout après la « révolution ».
Mais la souveraineté est aussi économique, culturelle et surtout militaire et sécuritaire. Pour cela, il faut avoir les moyens financiers et la capacité d’imposer aux autres sa vision de la souveraineté. Il convient donc, pour mieux asseoir sa souveraineté, se donner les moyens pour la défendre et la préserver.