La présidence du gouvernement a publié, mercredi 22 mai 2024, un communiqué dans lequel elle a annoncé une initiative législative pour mettre fin aux lourdes sanctions pénales et financières imposées par le fameux article 411 de Code du commerce relatif aux chèques.
Nous allons nous arrêter sur les chiffres divulgués et qui concernent le nombre de personnes incarcérées à cause de ces chèques. Il s’agit de 496 personnes, qui ont émis 11 265 chèques. Une simple opération de calcul nous donne, qu’en moyenne, chaque accusé a signé 23 chèques.
Autre statistique importante révélée par la Banque centrale : sur le premier trimestre 2024, 1,47 % des chèques émis ont été rejetés. Le phénomène n’est donc pas si répandu qu’on le pense.
Ce que nous avons compris du communiqué de la présidence du gouvernement est que le chèque sans provision ne sera pas totalement décriminalisé. Il faudra plutôt s’attendre à des peines allégées, ce qui demeure essentiel. L’utilisation des chèques comme moyen de garantie sera interdite (ce qui est actuellement le cas) et il ne pourra servir qu’en tant que moyen de paiement au comptant.
Effet contagion
Revenons aux chiffres cités plus haut. Les 1,47 % de chèques rejetés au premier quart 2024 sont équivalents à 89 964 papiers, un nombre qui dépasse de loin celui des chèques concernés par des actions judiciaires. Cela prouve que la majorité absolue des chèques rejetés finit par être régularisée dans le premier délai pour provisionner le compte.
Le problème est dans le monde des affaires. Dès qu’un commerçant fait défaut dans le règlement d’un fournisseur, ce dernier divulgue l’information à grande échelle et les chèques de garantie donnés un peu partout sont versés en même temps, ouvrant les portes de l’enfer devant le pauvre émetteur de ces papiers.
C’est un effet contagion créé par le mécanisme de chèques de garanties. Même si nous gardons l’article 411 dans sa formulation actuelle et nous appliquons rigoureusement l’interdiction de la pratique des chèques de garanties pour toutes les parties concernées, le nombre d’affaires judiciaires va mécaniquement chuter.
Impact de la nouvelle loi
Rendre le chèque moins contraignant va donc impacter l’exploitation, du moins durant les premiers mois.
Il y aura davantage d’exigence de payer en cash toute la marchandise ou des livraisons conditionnées, non pas par la présentation du chèque, mais plutôt par son encaissement effectif. Dans tout cela, il ne faut pas oublier que les transactions en liquidité qui dépassent les 3 000 dinars tunisiens sont interdites. Ce qui va poser d’énormes problèmes au niveau pratique. Les cycles d’exploitation seront rallongés d’au moins une journée en moyenne.
Les statistiques montrent que sur le premier trimestre 2024, 11,51 % des lettres de changes ont été rejetées, soit 48 342 traites. Leur montant global est de 637,551 MTND contre 732,717 MTND pour les chèques sur la même période
Par ailleurs, le recours aux lettres de change ne serait pas privilégié. Les actes de recouvrement prennent du temps et la liberté du tiré n’est pas en péril. De plus, les statistiques montrent que sur le premier trimestre 2024, 11,51 % des lettres de changes ont été rejetées, soit 48 342 traites. Leur montant global est de 637,551 MTND contre 732,717 MTND pour les chèques sur la même période. Ce n’est donc pas un moyen plus sûr et qui a la confiance des commerçants.
Boom des crédits bureau?
A notre avis, les vraies personnes qui vont profiter de cela seront les crédits bureau. Le décret-loi n°2022-2 du 4 janvier 2022 portant organisation de l’activité du renseignement de crédit a instauré ce business. Il s’agit principalement de traiter les informations sur le crédit des personnes physiques et morales, en vue d’évaluer leurs capacités à honorer leurs engagements financiers.
C’est le moment ou jamais de se lancer dans ce créneau. Il faut désormais une sorte de mécanisme capable d’instaurer un minimum de confiance entre les opérateurs économiques. Avoir un spécialiste qui atteste de la qualité de signature d’un opérateur est crucial.
Toutefois, connaissant les Tunisiens, c’est loin d’être gagné. Certes, le marché finira par trouver les moyens pour assurer les transactions à terme, même si cela nous paraît compliqué. Probablement, la pratique des chèques de garantie va continuer, discrètement, mais limitée aux parties qui se connaissent déjà jusqu’au jour où un incident aura lieu.