Hasard du calendrier ou signe prémonitoire à valeur de mise en garde et d’avertissement, l’annonce par la BERD d’une révision à la baisse de la croissance, pour angoissante qu’elle soit, vient à point nommé, en son heure. Elle est si grave et si inquiétante qu’elle devrait faire baisser de plusieurs crans les tensions sociopolitiques hautement inflammables, qui font craindre le pire. Les oracles des temps modernes ne laissent planer aucun doute : le PIB n’augmentera au mieux que de 1,9% en 2024 et de 2% en 2025, soit 0,6% moins que prévu. Et très en deçà de ce qu’il faut pour briser le cercle vicieux de la récession, du chômage, de l’inflation, de l’endettement et de la pauvreté qui sévit et se propage.
Pour rappel : tous les pays de la région, bien que moins bien pourvus en capital humain que nous le sommes, sont à des niveaux de croissance beaucoup plus élevés. Ces prévisions de croissance, si elles se confirment, ne sont pas du genre à restaurer la cohésion et la paix sociales. Et l’on ne voit pas à l’horizon l’ébauche de perspectives qui seraient moins compromettantes pour l’avenir. Les récents chiffres de l’INS ne sont pas pour nous rassurer, tant s’en faut. L’économie tunisienne est quasiment à l’arrêt, en état de mort cérébrale. Elle n’aura progressé que de 0,2% au cours du 1er trimestre 2024. Le spectre de la récession de 2023 plane de nouveau sur le pays. Il y a en la matière péril en la demeure pour ne pas envenimer davantage une situation proche de la déflagration.
On peut à chaque instant en perdre la maîtrise et le contrôle. Il y aurait tout à craindre de cette dérive, au risque de fracturer le pays et de le maintenir dans un état de trouble et d’instabilité qui sonnera pour toujours le glas de l’investissement, de la croissance et de la concorde nationale.
Les crispations et les querelles inutiles sèment les germes de la division, de la désunion et de la discorde, à un moment où le pays a le plus besoin d’unité, de sérénité, d’apaisement et d’union sacrée. L’issue des transitions politique et économique en dépend. Méfions-nous des vents déchainés de la discorde. On peut à chaque instant en perdre la maîtrise et le contrôle. Il y aurait tout à craindre de cette dérive, au risque de fracturer le pays et de le maintenir dans un état de trouble et d’instabilité qui sonnera pour toujours le glas de l’investissement, de la croissance et de la concorde nationale. L’hypothèse annoncée de croissance molle, atone, sans aucun relief et sans création de richesse et de valeur, loin de couvrir l’équivalent du service de la dette, ajoute à notre hantise de voir nos entreprises, grandes et moins grandes, déposer les armes, se déconnecter et sceller pour toujours leur décrochage de l’économie mondiale.
Durant toute une décennie, nous avons beaucoup souffert du jeu pervers de politiques venus de nulle part, qui n’hésitaient pas à se servir du pays plus qu’ils ne voulaient le servir. Ils ne cherchaient qu’à satisfaire leur cupidité, à asseoir leur pouvoir et leur domination. Nous avons aujourd’hui l’obligation, ne serait-ce que morale, de résister à la tentation du démon numide qui nous poursuit à travers les âges. Le dialogue, plutôt que l’affrontement qui coupe le pays en deux et l’expose au tourbillon de l’incertitude et, plus grave encore, au danger de l’inconnu. Il faut, dans l’immédiat, avant qu’il ne soit trop tard, rétablir les canaux de la concertation avec les principaux acteurs politiques, la société civile, les corps intermédiaires, les professions libérales, les syndicats en tout genre et les médias tétanisés par la menace du décret 54, peu compatible du reste avec l’esprit et la lettre de la nouvelle Constitution voulue par le Président de la République Kaïs Saïed lui-même.
Personne ne gagne d’un raidissement, d’une radicalisation du discours et d’une action politique et sociale au mépris de toute volonté consensuelle.
Il n’est aucun dérapage sémantique, aucune entorse aux lois du marché, à la déontologie, aux valeurs morales et à l’éthique professionnelle qui ne soient solubles et qui ne trouvent solution dans une volonté partagée d’écoute, de dialogue et de concertation. Toute autre attitude ne saurait, sans risque de chaos, résoudre les conflits inhérents à la vie politique et sociale. Personne ne gagne d’un raidissement, d’une radicalisation du discours et d’une action politique et sociale au mépris de toute volonté consensuelle. On a davantage besoin d’un pacte de confiance et d’un contrat social et poli- tique, plutôt que de voir ressurgir les relents de la lutte des classes d’une autre époque. Gardons-nous de toute dérive qui aboutit, par la force des choses, à la montée du mur de l’argent en guise de réaction ouverte ou larvée, avec les conséquences à son plus bas historique, sur la croissance en berne, sur le chômage, véritable bombe à retardement et sur la pérennité de nos entreprises et de notre économie menacées de décrochage et de marginalisation.
L’enjeu électoral est tel qu’il libère la parole souvent jusqu’ à l’abus et l’excès, et entretient une certaine agitation politique. Sinon, cette élection ne sera pas ce qu’elle est.
L’élection présidentielle en vue, étape phare de la vie politique de la nation, suscite, ici comme ailleurs dans les démocraties abouties, les convoitises et aiguise les appétits des uns et des autres. Elle est propice aux jeux d’influence, aux grandes et petites manœuvres politiques et jusqu’aux alliances parfois contre-nature. L’enjeu électoral est tel qu’il libère la parole souvent jusqu’à l’abus et l’excès, et entretient une certaine agitation politique. Sinon, cette élection ne sera pas ce qu’elle est. L’essentiel est qu’elle ne soit pas ternie par des animosités répréhensibles sanctionnées par la loi. Rien ne doit transgresser les limites qu’impose l’Etat de droit, d’un côté comme de l’autre, pour ne pas abîmer et remettre en cause nos acquis démocratiques.
La démocratie a besoin de respiration. Ni trop, ni pas assez.
Cet edito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 895 du 22 mai au 5 juin 2024