Et si, en prévision de l’élection présidentielle prévue théoriquement en octobre 2024, était confié à Kamel Fekki et Malek Ezzahi- respectivement anciens ministres de l’Intérieur et des Affaires sociales- récemment limogés par le président de la République, des fonctions éminentes, mais dans l’ombre?
Pour une surprise, c’en fut une. A une tardive heure, dans la nuit de samedi à dimanche 26 mai 2024, les internautes en mal de sommeil sont tombés sur un communiqué émanant de la présidence de la République. Lequel annonçait le limogeage du ministre de l’Intérieur, Kamel Feki, considéré jusque là comme un proche du chef de l’État, ainsi que de son homologue à la tête du département des Affaires sociales, Malek Ezzahi, qui était au demeurant l’ex directeur de la campagne électorale du président Kaïs Saïed en 2019. Dans ce remaniement, ils ont été remplacés séance tenante par Khaled Nouri et Kamel Maddouri. Le premier occupait le poste de gouverneur de l’Ariana, alors que le second était PDG de la Caisse nationale d’Assurance-Maladie (CNAM).
Dans la foulée, Sofien Ben Sadok, un magistrat auprès de la Cour de cassation est nommé secrétariat d’Etat à la sécurité auprès du ministre de l’Intérieur. Les trois hommes ont aussitôt prêté serment devant le président de la République au palais de Carthage.
Remaniement surprise
Un énième mini-remaniement ministériel effectué par le maître de Carthage? Pas si simple, car il s’agit de deux compagnons de route de la première heure et de fidèles parmi les fidèles qui avaient la confiance et l’oreille du Président.
Alors comment expliquer que le chef de l’Etat se sépare de ces deux piliers du régime; alors que quelques mois nous séparent de la date de l’élection présidentielle, dont la date d’ailleurs n’a toujours pas été fixée?
Comme d’habitude, aucune information officielle n’est venue éclairer nos lanternes sur les raisons exactes de ce limogeage surprenant surtout à la tête d’un ministère régalien. Mais pour les observateurs politiques avertis qui savent déchiffrer les énigmes de Carthage, il suffit de suivre le faisceau d’indices « tabaa el ghorza kanek khayyat », selon le délicieux dicton tunisien, pour comprendre la logique sous-jacente de ce limogeage.
Climat de tension
Car, il convient de rappeler à cet égard que ce mini-remaniement intervient dans un climat de tension alimenté par les craintes d’une dérive autoritaire. Laquelle est décriée d’ailleurs par l’Union européenne, les Etats-Unis et la France qui ont exprimé leur « inquiétude » et leur « préoccupation ». S’attirant ainsi le courroux du président de la République qui y voit « une ingérence étrangère inacceptable ».
L’ancien ministre de l’Intérieur, Kamel Fekki a-t-il été en haut lieu considéré responsable de la vague d’arrestations qui a touché ces deux dernières semaines des avocats et des journalistes? Et notamment l’arrestation musclée de l’avocate et chroniqueuse Sonia Dahmani par des agents de sécurité cagoulés ayant pris d’assaut la Maison de l’avocat, suivie par la journée de colère observée par les avocats? Sans parler de la manifestation organisée le vendredi 24 mai 2024 où des slogans virulents furent lancés scandés contre le régime; alors que l’intervention des forces de sécurité a été quasi inexistante? En clair, le premier flic de la Tunisie a-t-il été écarté en signe d’apaisement dans la perspective du prochain scrutin présidentiel? Or, tel ne semble pas être le cas, bien au contraire.
Des signes qui ne trompent pas
En effet, il est de coutume qu’un Premier ministre, un ministre ou un haut responsable apprenne sa disgrâce par le biais de la presse. Or, ultime honneur, les deux ministres furent reçus en plein weekend à Carthage par le maître des lieux en présence du chef du gouvernement pour leur signifier leur sort. Sachant que l’ancienne formule utilisée par Bourguiba et Ben Ali, selon laquelle le responsable limogé « sera appelé à d’autre fonctions » n’est pas de mise sous le règne de l’actuel locataire du palais de Carthage.
Ainsi, il est permis d’en déduire que, eu égard à la proximité idéologique et aux liens personnels qui unissent ces deux homme évincés au Président, ce traitement exceptionnel s’apparente plus à un entretien d’au revoir qu’à celui d’un adieu.
Il s’agit, de toute évidence, d’un signe clair que ces deux personnalités très actives lors de la campagne électorale du président Kaïs Saïed en 2019, et les seules figures politiques du gouvernement Hachani, seraient appelées à d’autres fonctions en leur qualité de cheville ouvrière dans la prochaine campagne électorale du chef de l’Etat qui s’annonce politique par essence. Or, pour éviter d’être soupçonnés d’utiliser les moyens de l’Etat lors de la campagne électorale, il faut qu’ils se « déchargent » de leur la fonction exécutive. Et si s’était le cas?