Ne boudons pas notre plaisir : les modifications qui concernent les chapitres 410 et 411 du Code de commerce relatif aux chèques sans provision tendent à protéger à la fois l’émetteur du chèque et le bénéficiaire ; tout en tenant les banques pour responsables de l’émission de chèque sans provision.
Les chiffres sont effrayants : selon les chiffres de l’Institut national de la statistique (INS) et rien qu’en 2024, près de 90 000 chèques ont été rejetés au premier trimestre 2024, pour plus de 730 millions de dinars, soit mille chèques rejetés par jour au cours des trois premiers mois de l’année. Cela aurait permis aux banques d’engranger neuf millions de dinars via les préavis pour chèques impayés.
Pis, selon un sondage effectué par l’Association tunisienne des petites et moyennes entreprises (ANPME) sur la situation financière des PME, plus de 90% des patrons de ce genre de sociétés sont poursuivis pour des chèques sans provision. 67,5% sont condamnés à de la prison ferme avec exécution immédiate.
Enfin, les statistiques du ministère de la Justice indiquent que jusqu’en avril 2024, 496 personnes sont actuellement incarcérées pour ce délit, dont 292 condamnées et 204 en détention provisoire. Ces personnes sont impliquées dans un total de 11 265 affaires de chèques sans provision.
Plus de 90% des patrons de ce genre de sociétés sont poursuivis pour des chèques sans provision. 67,5% sont condamnés à de la prison ferme avec exécution immédiate.
Anomalies
Qui est responsable de ce fléau qui frappe durement une part non négligeable de notre tissu économique et qui endeuille des familles entières ? Les liberticides articles 410 et 411 du code du commerce relatifs au chèque sans provision qui prévoient une peine d’emprisonnement de cinq ans pour chaque chèque sans provision émis ; alors que selon les juristes, les traités internationaux interdisent formellement que des personnes soient emprisonnées pour non-respect d’un engagement contractuel.
Une approche complète
C’est dans ce contexte que le président de la République, Kaïs Saïed, a tenu, lundi 27 mai 2024, une réunion consacrée à la finalisation des amendements des dispositions du Code de commerce relatifs au chèque sans provision. Et ce en présence du chef du gouvernement, Ahmed Hachani, des ministres des Finances et de la Justice, respectivement Sihem Nemsia et Leila Jaffel, et du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Fethi Zouhair Nouri.
A l‘issue de cette réunion, un communiqué publié par la présidence de la République précise que le chef de l’État a insisté pour que le projet de loi déposé auprès de l’ARP soit s’inscrit dans le cadre d’une « approche complète ». Laquelle consiste à protéger à la fois l’émetteur du chèque et le bénéficiaire tout en tenant les banques pour responsables de l’émission de chèque sans provision.
D’une part, le même projet de loi propose le mécanisme de la « médiation » comme outil de résolution des litiges avant de passer par le processus pénal. Sachant que les poursuites judiciaires ne pourront être engagées que par le bénéficiaire du chèque.
D’autre part, il introduit le cumul des peines sur demande de la personne condamnée pour chèque sans provision et la réduction de la durée d’emprisonnement. Ainsi, le texte propose de faire passer la peine à dix ans de prison dans les cas où celle-ci dépassait initialement les vingt ans de prison et de la diviser par deux si celle-ci était inférieure à vingt ans. La suspension de la peine sera prononcée pour les détenus honorant leurs engagements financiers. Ces dispositions auront un effet rétroactif et permettront aux personnes concernées de reprendre leurs activités et de régulariser leur situation.
Outre le mécanisme de la médiation qui permettrait de résoudre les litiges avant de passer par le processus pénal, ce texte ambitionne de protéger à la fois l’émetteur du chèque et le bénéficiaire tout en tenant les banques – et c’est une avancée considérable -, pour responsables de l’émission de chèque en bois
Enfin, le projet soumis à l’approbation des parlementaires propose également la mise en place de plateformes électroniques permettant au bénéficiaire de vérifier instantanément et gratuitement la provision disponible couvrant le montant du chèque auprès de la banque.
Qu’y-a-t-il de nouveau dans ce nouveau texte qui vient d’être approuvé par le conseil des ministres puis validé par la présidence de la République avant d’être adressé à l’ARP pour approbation ?
Il faut reconnaître que ce projet de loi est équilibré dans l’ensemble. Car, outre le mécanisme de la médiation qui permettrait de résoudre les litiges avant de passer par le processus pénal, ce texte ambitionne de protéger à la fois l’émetteur du chèque et le bénéficiaire tout en tenant les banques – et c’est une avancée considérable -, pour responsables de l’émission de chèque en bois.
De plus, si la peine privative de liberté n’a pas été supprimée, la suspension de la peine est automatiquement prononcée pour les détenus ayant honoré leurs engagements financiers lors de leur incarcération.
Le casse-tête des chèques antidatés
Toutefois, il convient de rappeler qu’à l’origine, le chèque est un moyen de payement ordinaire. Il s’agit d’un document écrit par lequel une personne, appelée le tireur, ordonne à sa banque, le tiré, de payer une somme précise à une autre personne ou entité, le bénéficiaire. Bref, c’est un moyen de paiement utilisé dans les transactions financières et les paiements entre particuliers, permettant ainsi de transférer des fonds sans avoir recours à l’argent liquide.
Or, sous nos cieux, et bien que c’est strictement interdit par la loi, il est courant pour certains de nos concitoyens – qui veulent acquérir un bien mais qui ne peuvent le payer comptant – de recourir aux chèques antidatés ; une opération certes illégale mais acceptée par la majorité des commerçants qui vendent à crédit avec ces fameux chèques antidatés comme garantie.
Certes, la mise en place de plateformes électroniques permettant de vérifier instantanément la disponibilité de la somme pour laquelle le chèque a été émis est une excellente initiative. Mais à quoi sert-elle dans le cas précis où le commerçant sait pertinemment que le client ne dispose pas de la somme nécessaire à l’achat ?