De part et d’autre des ruelles de la vieille ville de Tunis, ou « el-Medina » comme les Tunisiens se plaisent à l’appeler, se dressent les échoppes proposant des vêtements traditionnels tunisiens ainsi que les articles nécessaires au pèlerinage et la Omra.
Ces commerces, dont certains sont établis depuis près d’un siècle, sont principalement situés à Souk el-Attarine et le long de la rue de la mosquée Zitouna.
Ils attirent de nombreux Tunisiens qui se préparent chaque année pour accomplir le pèlerinage, à l’instar du « Haj Thameur », un ingénieur de 56 ans résidant dans l’un des quartiers de Ben Arous, dans la banlieue sud de la capitale. Il partira pour La Mecque le 7 juin prochain en compagnie de son épouse.
Le journaliste de l’agence TAP a accompagné Thameur dans sa visite dans les boutiques de la vieille ville pour se procurer les habits réservés au pélerin et d’autres essentiels du voyage, notamment la boutique « Erraïes » dont le propriétaire a déclaré « vendre les habits traditionnels pour hommes et femmes et les articles nécessaires pour la Omra et le pèlerinage depuis près de 90 ans ».
Le coût des articles de pèlerinage et de Omra pour hommes, a-t-il poursuivi, varient entre 30 et 60 dinars, selon la qualité du tissu.
Quant aux articles pour femmes, ils ont un coût plus élevé, soit à partir de 120 dinars.
Sur les habitudes vestimentaires des Tunisiens à cette grande occasion, un des commerçants interviewés, affirme que la plupart des pèlerins préfèrent porter la Jebba traditionnelle.
Les vêtements du Hajj, Jebba ou autres, proposés dans les commerces de Souk El Attarine et ceux situés sur la Rue mosquée zitouna sont tous fabriqués en Tunisie, assure un autre vendeur.
Le coût du Hajj pour l’année en cours s’élève à 19 mille 970 dinars par pèlerin.
Selon le ministère des Affaires religieuses, cette année le nombre de candidats au Hajj s’est élevé à 217 333. Le quota de la Tunisie pour cette année est estimé à 10 982 pèlerins.
Selon le ministère, le coût du Hajj pour la saison 1445/2024 englobe deux tarifs; les frais d’hébergement et les frais des services fixés par la Société des Services Nationaux et des Résidences, soit au total 16 mille 400 dinars, en plus des frais du billet d’avion fixé à 3570 dinars par la Compagnie aérienne nationale « Tunisair ».
Le ministère de tutelle explique la hausse du coût du pèlerinage, qui est passé de 7475 en 2013 à 11710 en 2018, par l’augmentation des frais du voyage et du taux de change du riyal saoudien, la hausse des tarifs hôteliers en plus de l’instauration de nouvelles taxes en Arabie saoudite.
Préparer son pèlerinage: Les traditions restées les mêmes :
La vieille ville et ses nombreux mausolées et la grande place située en face de la « Zaouia Sidi Medien » évoquent des souvenirs sur la préparation pour le pèlerinage pendant l’époque hafside et husseinite.
L’historien Abdessattar Amamou qui s’intéresse au patrimoine oral et immatériel de la Tunisie évoque l’organisation de chants d’éloge au prophète Mohammed (Madih) appelés « Tachwiq » ordonnée par le gouverneur du pays pendant la période husseinite et qui marque le démarrage des préparatifs pour le Hajj.
Et de poursuivre que cette période de préparatifs commence juste après la fin des fêtes de l’Aïd. Elle est généralement accompagnée des préparatifs des habitants de la régence pour participer aux caravanes de pèlerins qui entreprennent un long et périlleux voyage à travers des itinéraires bien établis vers le Hijaz.
D’après certaines références historiques, les caravanes en partance pour le Hijaz se regroupaient en face de la « Zaouia Sidi Medien », à Bab Jedid, dans la partie sud de la ville de Tunis. A l’époque, les caravanes venant d’Algérie et du Maroc attendaient les caravanes de pèlerins tunisiens venant des régions nord et nord-ouest jusqu’au grand départ. Elles attendaient parfois plusieurs jours avant de recevoir l’ordre du départ qui venait du « représentant officiel » de la régence à l’époque, qui recevait un « mandat officiel » du sultan ou du régent.
Le « représentant officiel » était aussi en charge de la cagnotte du Hajj (al-Sorra al-Charifa). Selon Abdessattar Amamou, cette cagnotte représentait les sommes collectées, les dons, les revenus des biens habous ou Wakfs qui allaient être données aux personnes dans le besoin pendant la saison du Hajj. Une partie de la cagnotte était offerte au Grand Chérif de la Mecque pour l’entretien des deux saintes moquées de la Mecque et de Médine, selon l’historien et conteur.
De nombreuses sources historiques rapportent l’existence du « Tachwiq » et d’ « al-Sorra al-Charifa » dans plusieurs pays, dont le Maroc, la Palestine, la Syrie, l’Egypte et le Soudan. Il y avait même des registres de gestion des fonds collectés, a précisé Abdessattar Amamou.
Plusieurs Tunisiens ont eu l’honneur ou la charge de la « Amanat al-Sorra al-Charifa », a-t-il dit. Le dernier en date était Ali Belkhodja, qui a occupé cette fonction pendant 30 ans. Il était mufti de la Médina de Tunis et Imam de la Mosquée « Saheb al-Tabâa » pendant plusieurs décennies. A l’époque, cet « Amin » rencontrait le Chérif de la Mecque en tant que représentant du gouverneur de la Tunisie et participait à la cérémonie de remplacement du revêtement de la Kaaba.
Selon Amamou, en Tunisie aucun gouverneur n’a accompli le Hajj pendant son règne, à l’exception de Mustapha Bey qui suivait le courant hanafite.
« Mustapha Bey avait mandaté Cheikh Brahim Riahi, un des savants tunisiens, pour accomplir le pèlerinage en son nom et a pris en charge tous les frais », a-t-il poursuivi, affimant que le bey a trouvé la mort avant le retour de Brahim Riahi des lieux saints.
Selon l’encyclopédie tunisienne publiée par « Beit al-Hikma », le Cheikh Brahim Riahi a effectué le pèlerinage en 1836, au nom de Mustapha Bey, et a enseigné pendant une courte période à l’université d’Al-Azhar (en Egypte) avant de rentrer en Tunisie le 13 octobre 1837, peu après la mort de Mustapha bey et l’accession de son fils Ahmed au trône.
Des visites, des coutumes et des lettres :
Abdessatar Amamou a cité les coutumes liées au Hajj que les habitants de la médina de Tunis avaient pris l’habitude d’observer dont la visite du mausolée de Sidi Mehrez Ben Khalaf (né en 951 – décédé en 1022) avant et après le pèlerinage.
Les pèlerins de la médina de Tunis emportaient avec eux pendant leur long périple des aliments qui ont tendance à durer longtemps tels que les « banadhej, Bsissa et plusieurs variétés de pain dont le pain d’orge ».
Parmi les coutumes bien connues pratiquées par les familles tunisiennes et les responsables des Waqfs et des Mausolées (écoles religieuses), « celle qui constitue à offrir de la nourriture aux pèlerins lors de leur passage sur le chemin vers Makkah ». Les familles tunisiennes leur confiaient également leurs salutations à transmettre au Prophète et leur demandaient de prier pour eux dans les lieux saints, ajoute Abdessattar Amamou.
L’historien a aussi affirmé que les pèlerins tunisiens emportaient avec eux des lettres écrites par des membres de la famille du pèlerin, ou par ses connaissances ou ses voisins, mises dans des enveloppes que le pèlerin emportait avec lui. Ces messages sont lus devant la tombe du Prophète dans le Raouda Charifa à Médine.
Les pèlerins empruntaient des routes terrestres vers les lieux saints. Puis, avec le développement des moyens de transport maritime, certains ont commencé à prendre des bateaux qui les amenaient à la ville d’Alexandrie en Égypte, avant de poursuivre leur voyage par voie terrestre vers le Hijaz.
Les bateaux de pèlerins suivaient également des itinéraires maritimes traversant le canal de Suez jusqu’en 1967. Par la suite, des vols aériens sont apparus, transportant les pèlerins tunisiens par avion vers les aéroports saoudiens.
Avec TAP