La nécessité de verdir les politiques monétaires dans la région arabe pour favoriser la transition vers des économies plus durables sur le plan écologique, a été soulignée par Moez Labidi, économiste, conseiller auprès de la Direction de l’Institut Arabe de Planification.
Dans sa récente note d’analyse intitulée « Les banques centrales et le changement climatique : Politiques monétaires pour réaliser la transition environnementale dans la région arabe », Labidi estime que les menaces liées au changement climatique n’ont pas encore eu la place qu’elles méritent dans l’agenda politique des banques centrales arabes, bien que la région arabe soit l’une des régions les plus vulnérables au monde face aux risques climatiques.
« Ces dernières années, de nombreuses banques centrales de par le monde ont pris conscience des risques financiers liés au climat. Deux facteurs expliquent ce renversement de tendance. D’une part, la stabilité financière ne pourrait être soutenable à long terme sans un verdissement du système financier existant. D’autre part, la stabilité des prix reste difficile à atteindre compte tenu des nouvelles menaces inflationnistes potentielles générées par une nouvelle ère d’inflation, que ce soit en raison des risques physiques (inflation climatique : impact des perturbations des chaînes d’approvisionnement, des températures élevées et de la pénurie d’eau sur les prix des denrées alimentaires) ) ou des risques découlant de la transition énergétique (inflation verte et inflation fossile) ».
L’inflation verte regroupe les pressions inflationnistes générées par le coût de l’effort pour accélérer la transition vers une économie-bas-carbone. L’Inflation fossile, historiquement associée à l’inflation générée par les tensions géopolitiques (chocs pétroliers des années 1970 et de la guerre russo-ukrainienne…), couvre désormais, aussi, l’inflation qui résulte de la montée en puissance des politiques climatiques qui renchérissent le prix des énergies fossiles.
Région arabe : Le verdissement de la politique monétaire handicapée par l’étroitesse de la boîte à outils des banques centrales
Labidi souligne que les autorités monétaires pourraient recourir à plusieurs instruments pour accélérer la transition verte. Il s’agit, entre autres, de l’adoption de taux d’intérêt préférentiels destinés à la transition écologique, du contrôle sélectif de crédit, du verdissement des réserves obligatoires, de l’ »assouplissement quantitatif vert » favorisant les « obligations vertes » au détriment des actifs liés à l’industrie des combustibles fossiles qualifiés « d’obligations brunes ». Il s’agit, en outre, de la modulation des exigences de fonds propres (abaisser les exigences de fonds propres pour les « prêts verts » et les augmenter pour les « prêts bruns »), le verdissement de la Politique prudentielle…
Selon lui « plusieurs conditions doivent être remplies à cet égard : Des émissions d’obligations vertes, un marché obligataire secondaire dynamique, un secteur bancaire résilient, un » plan de transition » clair et crédible, une marge de manœuvre budgétaire confortable, une économie peu dépendante des énergies fossiles, la disponibilité de données granulaires, une « boîte à outils » des instruments de la politique macro-prudentielle bien équipée, etc… » .
Il estime ainsi que « le verdissement de la politique monétaire dans la région arabe est handicapée par le manque de richesse de la boîte à outils des instruments à la disposition des banques centrales. Le manque de profondeur du marché obligataire appauvrit la boîte à outils, ce qui limite l’efficacité du verdissement de la politique monétaire ».
« Seuls quelques pays arabes sont présents sur le marché des obligations vertes. C’est le cas des Émirats arabes unis (première » obligation verte » d’entreprise dans la région MENA/ 2017) et de l’Égypte (première « obligation verte » souveraine dans la région MENA/2020). D’autres pays ont été amenés à émettre des « obligations vertes » uniquement sur leur marché domestique, comme le Maroc (2018) et le Liban (2018). Cependant, jusqu’à présent, toutes ces émissions obligataires n’ont pas servi à verdir la politique monétaire, dans la mesure où les banques centrales de ces pays n’ont pas eu recours à l’assouplissement quantitatif vert ou à une nouvelle réglementation favorisant les » obligations vertes » lors des opérations de refinancement au guichet de la banque centrale ».
Pistes à suivre
L’économiste pense, ainsi; que les banques centrales arabes devraient revoir leurs mandats traditionnels, en tenant compte de l’augmentation des risques liés au climat. A cet égard, seule une combinaison de différentes mesures et incitations monétaires, prudentielles et fiscales peut faire la différence entre une transition environnementale réussie et une transition ratée.
« La mise en œuvre de réformes structurelles reste cruciale pour améliorer la marge de manœuvre budgétaire afin de rendre plus accessible le financement de la transition environnementale. Le développement du marché obligataire local dans la région arabe pourrait jouer un rôle important en stimulant l’émission d’obligations « vertes » et en soutenant le verdissement des politiques monétaires et macro-prudentielles ».
Il est aussi indispensable d’améliorer la résilience du secteur bancaire pour garantir l’efficacité de la politique monétaire. Les banques centrales ont à ce titre un rôle crucial à jouer dans la formation des professionnels du secteur financier aux risques liés au climat et à la finance verte.
Les banques centrales devraient, aussi, adopter l’approche de l’empreinte environnementale (empreinte carbone et empreinte eau) pour améliorer l’efficacité du verdissement des politiques monétaires et macro-prudentielles. Soulignant l’importance du rôle des banques centrales pour renforcer la résilience climatique. L’expert considère que « la résilience climatique reste la meilleure garantie pour la sécurité énergétique et alimentaire et la soutenabilité de la dette ».
Avec TAP