Très récemment, l’INS (Institut National de la Statistique) a publié les chiffres de l’indice des prix à la consommation pour le mois de mai.
« En mai 2024, le taux d’inflation reste inchangé à 7,2 %. Cette stabilité est due d’une part à : l’accélération du rythme d’augmentations des prix des produits alimentaires (9,7 % au mois de mai 2024 contre 9,2% au mois d’avril 2024); et d’autre part à la décélération du rythme d’augmentation des prix du groupe de l’habillement et des chaussures (9,5 % au mois de mai 2024 contre 9,7 % au mois d’avril 2024). Ainsi que les prix du groupe « restaurant, cafés et hôtels » (10,2 % au mois de mai 2024 contre 10,4 % au mois d’avril 2024) ».
Cet indice prétend mesurer l’évolution des prix en Tunisie, une notion abstraite dans un pays en transition démocratique de près de 12 millions d’habitants qui voit son pouvoir d’achat fondre comme beurre au soleil.
En mai, le IPC global a augmenté de 7,2 % par rapport à l’année précédente. Tandis que le IPC- le taux d’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires et énergie)- se replie légèrement à 6,8 % contre 6,9 % le mois dernier. Globalement, l’inflation des prix est en décélération, mais elle a été plus élevée que prévu (ciblage à 3 %).
« Inflation sous-jacente et inflation des produits encadrés :
Le taux d’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires et énergie) se replie légèrement à 6,8 % contre 6,9 % le mois dernier.
De leur côté, les prix des produits libres (non encadrés), ils augmentent de 8 % sur un an. Les prix des produits encadrés augmentent quant à eux de 4,6%.
En outre, les produits alimentaires libres ont connu une hausse de 10,6 % contre 3,6 % pour les produits alimentaires à prix encadrés ».
En réaction à ce communiqué, les prix de l’immobilier ont explosé, les cours des actions ont stagné (?) et les analystes des médias financiers, visiblement choqués, ont exprimé leur crainte que la baisse des taux d’intérêt tant attendue par les opérateurs soit encore reportée.
Pour ceux qui voient dans ce communiqué un coup du « sort » et un revers sur le chemin de la reprise économique, il est crucial de comprendre que l’inflation est une caractéristique structurelle, et non une déviance de la politique monétaire suivie depuis 2014. Elle est soutenue par les lobbys politico-financiers dominants et considérée par les dirigeants successifs comme un « mal nécessaire » à la transition démocratique; voire même, le moyen de financer les dépenses publiques tout en limitant l’impact de l’augmentation rapide de la dette.
Pour autant, les économistes estiment que lorsqu’un indicateur devient un objectif, il perd de sa fiabilité en tant qu’indicateur. Autrement dit, lorsque l’atteinte d’un objectif quantifiable devient la principale préoccupation de l’action publique, cet indicateur est susceptible de manipulations. C’est le cas de l’IPC, un indicateur conçu par les dirigeants tunisiens depuis 1990.
Cependant, ce « mal nécessaire » n’est pas assuré de réussir. Malgré les manipulations évidentes de l’IPC pour sous-estimer l’inflation, la vérité finira par éclater, entraînant des conséquences inattendues.
Alors même que l’IPC révèle que le dinar perd continuellement de son pouvoir d’achat depuis 20412 au niveau international.
Un mal pernicieux.
Alors que notre pays entre dans une nouvelle année électorale, il est crucial de souligner l’impact moral pernicieux de l’inflation.
Avec la persistance de l’inflation, les agents économiques favorisent les gratifications immédiates au détriment de la préparation à long terme, un phénomène connu sous le nom d’augmentation de la préférence temporelle.
Ce comportement a des répercussions tangibles sur la société. Les dirigeants actuels semblent favoriser cette situation où une société caractérisée par une forte préférence pour le présent, des programmes de redistribution des richesses chaotiques et des élections tendues est plus susceptible de voir augmenter le crime et la violence.
Les auteurs décrivent l’inflation comme le « terrorisme du néolibéralisme ». Une affirmation qui se révèle juste. L’inflation, largement encouragée par les lobbys, constitue une menace pour la prospérité de la classe moyenne, qui est pourtant essentielle à l’expansion et au développement de toute société.
Les prix à la consommation continuent de croître à un rythme plus de deux fois supérieur à l’objectif de la BCT (3 %). Bien que la BCT affiche publiquement une volonté de combattre l’inflation, en réalité, ne cherche-t-elle pas à réduire la valeur réelle de la dette publique, principale cause de l’inflation?
Les médias rapportent des nouvelles contradictoires influençant la BCT : des signaux de récession (faiblesse du marché des produits, du travail, de l’emploi, diminution partielle ou totale des heures travaillées dans le secteur privé, etc.), contre des indicateurs inflationnistes (hausse des prix à la consommation, de l’immobilier, etc.).
Tout se paie…
La science économique demande une subordination totale de la morale, un prix à payer pour garantir la croissance économique et la réduction de la pauvreté. L’augmentation de la productivité et du pouvoir d’achat ne peut se réaliser sans une régression de la morale traditionnelle.
Les principes de solidarité, sur fond de « Aimez-vous les uns les autres » sont abandonnés au profit de l’omnipotence du marché. Les anciennes divinités ont été remplacées par l’efficience des marchés, dont le dogme enseigne que le marché reflète en permanence le juste prix dans un contexte où toute valeur est échangeable.
Aussi la dette est devenue structurellement nécessaire à l’évolution de nos sociétés dans une économie « globale ». Le lien entre dette et culpabilité a été rompu, voire inversé, car aujourd’hui, on se sent coupable de ne pas avoir assez de dettes.
À titre d’exemple, même les pauvres doivent avoir leurs dettes, sous forme de microcrédit. Marx avait compris depuis longtemps que la dette était le levier absolu utilisé par le capital comme instrument de contrôle, tout comme Ghandi mettait en garde contre les dangers de la technologie.
Autant d’éléments qui suggèrent que l’économie tunisienne nécessite non pas une gestion draconienne des taux d’intérêt mais des réformes structurelles pour restaurer les mécanismes économiques et financiers et contrôler l’inflation et ses déterminants et en tout premier lieu la dette publique.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)