Alaya Bettaieb, ancien directeur général de Smart Capital, a pris part à un panel organisé lors du TIF (12 et 13 juin 2024). A cette occasion, il a évoqué les perspectives sur les défis et opportunités pour les startups en Tunisie, notamment l’existence d’obstacles liés aux transactions en devises étrangères.
Dans ce cadre, il a fait état des stratégies à même d’améliorer l’accès aux marchés internationaux et le rôle important de la diaspora tunisienne dans le soutien financier, le transfert de technologies et l’accès aux talents.
Selon vous, pourquoi l’Europe a choisi d’investir dans des startups tunisiennes? Quelles sont les critères et les motivations qui orientent ces décisions d’investissement?
Alaya Bettaieb : L’écosystème des startups en Tunisie connaît une croissance notable, mais il existe un écart entre la création des fonds d’investissement et les besoins des startups. Depuis la labellisation des startups en 2019 jusqu’à la mise en place du Fonds des fonds arabe en 2021 (ANAVA, ndlr) et qui ne deviendront opérationnels qu’en 2023, l’absence de fonds d’investissement locaux a freiné le développement des startups, même si leur nombre a augmenté.
Le gouvernement tunisien a promulgué des lois pour soutenir cet écosystème. Mais les fonds d’investissement ne suivent pas toujours rapidement, entraînant ainsi des contraintes financières pour les startups.
Un autre défi majeur est la réglementation stricte autour du financement, notamment le code des changes et la nécessité d’obtenir l’autorisation de la Banque centrale pour les transactions en devises étrangères. Cette contrainte entrave le développement des fonds d’investissement locaux et internationaux et limite, par conséquent, les opportunités de financement pour les startups tunisiennes; malgré l’existence de lois et un “investor’s guide” visant à encourager les investissements. Sachant que les fonds spécialisés ne bénéficient pas de suffisamment de soutien fiscal explicite et tangible. Ce qui décourage les investisseurs.
Il y a également la difficulté pour les startups à recruter des talents internationaux, particulièrement dans des domaines de haute technologie comme l’intelligence artificielle ou la FinTech. Les contraintes réglementaires rendent difficile l’embauche et le paiement d’experts étrangers en devises. Ce qui limite la capacité des startups à accéder aux compétences nécessaires pour leur croissance. Cette situation est exacerbée par l’incapacité de payer les talents en euros ou en dollars, souvent une exigence pour attirer les meilleurs experts internationaux.
D’ailleurs, la Banque centrale de Tunisie travaille actuellement à la révision de ses lignes directrices pour faciliter les investissements européens dans les startups tunisiennes. Cette initiative vise à clarifier les législations tunisiennes et à identifier les moyens de surmonter les obstacles réglementaires existants.
Pour pallier ces limitations, il existe des initiatives telles que la plateforme EuroQuity, permettant aux startups tunisiennes de pitcher devant des investisseurs européens. Cela offre une alternative en attendant la mise en place complète des fonds locaux, facilitant ainsi l’accès au financement étranger. Cependant, des obstacles subsistent, notamment la lenteur administrative et la nécessité de clarifier les avantages fiscaux pour encourager les investissements spécialisés.
L’objectif de cette démarche est de permettre aux startups tunisiennes de bénéficier des mêmes opportunités que leurs homologues européens en ayant accès à une audience mondiale d’investisseurs. Cette opportunité a été rendue possible grâce au financement de l’Union européenne et à la collaboration avec Expertise France.
Vous avez mentionné que l’accès au marché est un défi majeur pour les startups tunisiennes. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour améliorer cet accès? Et comment cela pourrait transformer l’écosystème des startups en Tunisie?
Le travail effectué par Smart Capital vise principalement à donner accès à la finance et à faciliter l’acquisition de technologies pour les startups tunisiennes. Mais l’accès au marché est tout aussi crucial.
Pour améliorer cet accès, il faut mettre en place des programmes de « soft landing », demandés par de nombreuses startups, qui peuvent les aider à identifier et pénétrer de nouveaux marchés, notamment en Europe et en Amérique. Ces programmes offriraient des opportunités pour tester des produits sur des marchés porteurs et faciliteraient les collaborations internationales.
Il y a également la nécessité d’un soutien accru de la part des coopérations internationales, telles que celles avec l’Union européenne, la GIZ et d’autres partenaires, pour financer des initiatives permettant aux startups tunisiennes de se positionner sur des marchés étrangers. Ce soutien permettrait aux startups de lever des fonds plus facilement, de recruter des talents internationaux, et de bénéficier d’expertises diversifiées.
Vous avez souligné le rôle crucial de la diaspora tunisienne dans le financement et le développement des startups locales. Pouvez-vous développer sur cette contribution?
La diaspora tunisienne joue un rôle majeur dans le développement de l’écosystème des startups en Tunisie. Dès 2016, elle a été un élément clé de la Task Force qui a réfléchi à un modèle pour les startups technologiques en Tunisie, apportant des benchmarks et des idées innovantes de l’étranger.
La diaspora aide non seulement à introduire de nouvelles technologies et approches, mais aussi à recruter des talents internationaux et à fournir des compétences spécifiques nécessaires pour les startups tunisiennes.
Elle joue également un rôle important dans l’accès aux marchés et aux financements, en facilitant les connexions internationales et en apportant une expertise précieuse en matière de gestion et de levée de fonds.
De plus, la diaspora peut investir directement dans les startups et les aider à accéder à des marchés étrangers, offrant ainsi des opportunités de croissance significatives.
En somme, la diaspora tunisienne est une ressource inestimable pour le développement des startups en Tunisie, contribuant de manière significative au financement, à l’accès aux marchés et à l’enrichissement de l’écosystème technologique local.
Propos recueillis par Karim Chaabane