Quoi qu’en dise Brassens dans sa complainte sur l’Orage, bien que j’appartienne à « un pays où jamais il ne pleut», depuis presque cinq années successives, «je n’ai plus baissé les yeux; consacré mon temps à contempler les cieux; à guetter les stratus, à lorgner les nimbus, à faire les yeux doux aux moindres cumulus »….
Car je me demande ce qui a pu nous arriver depuis ce fameux printemps arabe – que les Occidentaux mettent entre guillemets – initié sur l’avenue H. BOURGUIBA avec 10 ans de Ennahdha venue butiner dans notre économie, suivie d’une série d’années où les nuages semblent éviter soigneusement nos cieux.
La pluie, ce phénomène naturel que nos météorologues traquent en guettant le moindre cumulus, développent des modèles de plus en plus perfectionnés pour prévoir plusieurs jours à l’avance quand et comment elle va tomber, et que d’autres essaient de provoquer, a malheureusement décidé de nous bouder depuis quelques temps! S’est-elle associée à tous ceux qui ont mal vu la manière pacifique avec laquelle nous avons fait prendre l’avion à ZABA? L’Occident, méfiant envers ce bout d’Afrique, a-t-il créé l’anticyclone des Açores pour nous faire tant de tort? Et tutti quantti. Car ce « blocage météorologique » empêche les nuages d’arroser notre pays et nous assurer en cette ressource si nécessaire : l’eau ..
L’eau. Cette ressource vitale à l’étymologie si particulière comme nous avons pu le constater car elle intègre la première lettre de l’alphabet «a» que l’on retrouve avec double sonorité dans «maman»; et ce, aussi dans presque toutes les langues : maa en arabe, water en anglais, aqua en italien, wasser en allemand, вода en russe, vatten en suédois, air en indonésienn etc., et que c’est pratiquement le premier son qui sort de la bouche d’un nouveau-né !
La pluie et ce pays vieux de 3 000 ans ont toujours eu des relations bien particulières aussi bien dans l’espace que dans le temps, relations qui ont été étudiées et décortiquées par les experts depuis la nuit des temps, et d’une manière encore plus détaillée depuis les années 1900. Ainsi, ce petit pays par essence agricole de par sa situation géographique, ressemble à un microcosme agro-hydro-climatologique avec un nord neigeux et un sud désertique et des microclimats qui font qu’on peut y récolter aussi bien des olives, des dattes, des pistaches, des fraises, des cerises, que des cultures maraîchères et annuelles tout au long de l’année surtout depuis que la géothermie s’en est mêlée.
On y récolte suffisamment de blé les années où la pluviométrie le permet dans ce pays dont la composante agricole couvre plus de 60 % de sa superficie répartis entre forêts, terres cultivables et périmètres irrigués.
La pluie, toujours la pluie, reste le moteur de l’économie; malgré un potentiel non négligeable de nappes souterraines dont certaines sont à des profondeurs, ou dans d’autres pays où on trouve du pétrole!
Et heureusement que depuis l’indépendance, une stratégie idoine et bien réfléchie a permis d’identifier et de mobiliser pratiquement toutes les ressources en eau par la création d’une série d’ouvrages appropries.
A cela, l’utilisation de toutes les ressources hydriques a été structurée aussi bien pour les besoins humains, industriels qu’agricoles.
Tous les chiffres concernant toutes ces informations sont disponibles dans le détail et pratiquement région par région et même plus. Les personnes intéressées peuvent y accéder facilement sur les nombreux sites appropriés, et même l’IA rappelle que « La Tunisie fait face à des défis importants en matière de gestion des ressources en eau, exacerbés par les cycles de pluie et de sécheresse ».
On peut retrouver toutes les données et informations dans cette multitude de notes et rapports d’experts qui fleurissent depuis que l’on subit cette sécheresse, qui semble se complaire dans ce pays réputé accueillant. Et c‘est incroyable le nombre d’experts en «water scarity» qui se sont mis à pulluler ces temps-ci et qui publient à tour de bras des rapports ou sont soit critiqués le fonctionnement de l’administration, soit suggérées et décrites des solutions miracles. Alors que les gestionnaires de cette si rare ressource passent des nuits blanches à essayer d’assurer une impossible desserte équitable!
Et ce ne sont pas les stratégies mises en place qui manquent et qui sont relatives aux mesures d’adaptation et de gestion de la ressource. Là aussi l’IA a son mot à dire puisqu’elle propose d’assurer :
– « La gestion intégrée des ressources en eau GIRE** : amélioration de l’infrastructure de stockage et de distribution de l’eau, ainsi que des pratiques d’irrigation plus efficaces;
– **La réutilisation des eaux usées traitées** : pour l’irrigation agricole et d’autres usages non potables;
– **Le développement de cultures résistantes à la sécheresse** : promouvoir l’utilisation de variétés de plantes moins gourmandes en eau ».
Tout cela parce que « la Tunisie est confrontée à un équilibre délicat entre les périodes de pluie et de sécheresse, avec des défis importants pour la gestion durable de ses ressources en eau. Les efforts continus en matière de politique, d’innovation technologique et de sensibilisation sont essentiels pour atténuer les impacts de ces cycles naturels exacerbés par le changement climatique ».
Maintenant que l’on sait tout sur tout, que manque-t-il à tout cela? A-t-on épuisé les recherches de solutions et faut-il jeter l’éponge au risque de crever de soif comme ces pauvres hères qui traversent le Sahara à pied dans l’espoir d’arriver à un Occident paradisiaque?
Alors encore une fois, je me suis aventuré dans les dédales de l’IA pour chercher à en savoir plus sur ce qui se passe dans d’autres pays pour ce qui concerne la gestion de ladite ressource.
Aux USA depuis 1972, le CLEAN WATER ACT protège la qualité de l’eau et la gestion fédérale de l’eau est essentiellement assurée par l’Agence de Protection de l’Environnement (EPA) et le Bureau of Reclamation du ministère de l’intérieur.
La RUSSIE dispose de 20 % des ressources mondiales en eau régies par le WATER CODE datant de 2006. Le ministère des Ressources naturelles et de l’Environnement et l’Agence fédérale de l’eau assurent la gestion de la ressource et des infrastructures associées. Une autre agence fédérale est responsable de sa surveillance sanitaire et épidémiologique.
En CHINE, la WATER LAW date de 2002 et a été précédée par la Water Pollution Prevention and Control Law (1986). Le ministère des Ressources en eau (Ministry of Water Resources, MWR) et le ministère de l’Écologie et de l’Environnement en assurent la gestion à l’échelle nationale ; des commissions spécifiques gèrent les grands bassins versants.
En CORÉE DU SUD, se sont développées la Loi sur la Gestion des Ressources en Eau et la Loi sur l’Eau Potable qui servent d’assise au fonctionnement du ministère de l’Environnement (MOE) et du K-water (Korea Water Resources Corporation).
En AFRIQUE DU SUD, le National Water ACT date de 1998, et le Water Services Act en 1997. L’eau est gérée par Department of Water and Sanitation (DWS) et Catchment Management Agencies (CMAs), et à l’échelle locale, les municipalités sont responsables de la fourniture des services d’eau et d’assainissement. Ce pays nous ressemble vu qu’elle est classée comme un pays aux ressources en eau limitées, avec une disponibilité d’eau par habitant parmi les plus faibles au monde.
En TUNISIE, le Code des eaux date de 1975, et l’eau est gérée par le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche dont dépend la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (potable urbaines et rurales) “SONEDE“ ; les eaux usées urbaines sont gérées par l’Office national de l’assainissement (ONAS) qui dépend du ministère de l’Environnement. Le ministère de l’Agriculture compte plus de 150 directions générales dont deux ou trois s’occupent de l’eau.
Cette analyse – qui peut être encore plus détaillée à l’échelle mondiale – montre que:
– Yous les pays ont défini un code ou une loi de l’eau et le code tunisien compte parmi les plus anciens;
– Dans la majorité des pays, l’eau est gérée par une structure spécifique ou qui dépend d’un ministère de l’Environnement. Les USA ont ajouté une composante “sécurité“ avec le bureau of reclamation dont les publications font référence à l’échelle internationale. Seule en Tunisie l’eau est gérée par le principal utilisateur de cette ressource:
– Dans tous les pays ou presque, la notion de GIRE est quasi-systématique, le développement de la réutilisation des eaux épurées d’actualité, et la notion d’économie associée au changement climatique qui semble causer des perturbations profondes aussi bien dans la disponibilité que de la qualité de cette ressource vitale.
A l’échelle de la Tunisie, ou en est-on?
Comme nous l’avons cité précédemment, la Tunisie s’est équipée d’infrastructures hydrauliques en amont et en aval. Lesquelles, malgré leur âge, assurent un coefficient de couverture de plus 80 %. Malgré cela, le pays souffre de cette série d’années sèches et aussi du mode de gestion de la ressource qui impacte sérieusement le rendement de l’ensemble du système comme nous avons pu le constater et qui nous a amenés à faire quelques suggestions et commentaires:
– A/ A l’image de la majorité des pays de la planète, il y aurait lieu de créer une structure indépendante qui gérerait cette ressource. Cela demanderait une série de tâches qui commencerait par l’inventaire et le point des structures, organismes publics et privés qui gèrent d’une manière directe et indirecte cette ressource qu’elle soit de surface, souterraine, épurée, minérale, etc. On sera sidéré du nombre qui, d’après une approche préliminaire, peut frôler la centaine et plus si on va au niveau des GDA et des AIC !
La pauvre goutte de pluie qui s’échappe de l’emprise de l’anticyclone sus nommée en attrape le tournis qu’elle ne sait pas où ni comment tomber chez nous avec le risque de se retrouver dans un dédale administratif ou elle risque de s’évaporer avant d’atteindre ses objectifs! Et ce d’autant plus que l’infrastructure hydrique est très développée si on compte les barrages, les forages autorisés et clandestins, les stations d’épuration et les milliers de km de réseau d’alimentation en eau potable et ceux de collecte des eaux usées.
B / En attendant cette décision structurelle qui s’impose à long terme, il y a lieu, à moyen terme, de prendre des mesures simples et pratiques à mettre en œuvre et surtout accepter le principe que notre pays appartient dorénavant au climat quasi-désertique et que la sécheresse est devenue structurelle et le manque de pluviométrie et la pénurie d’eau une hypothèse voire une donnée de base et qui demande une adaptation du code de l’eau et toute la législation associée et aussi une approche de management de la ressource basée sur l’économie et la protection de l’environnement.
Pour ce, nous avons pris quelques exemples:
– Vu le développement de l’urbanisme, il y a en Tunisie au moins 2 millions de chasses d’eau qui fonctionnent et dont beaucoup voire la majorité fuient comme on peut le constater régulièrement, particulièrement dans les lieux publics… Un calcul simple montre qui si une armée de plombiers réparent ces chasses et qu’elles ne fuient plus, on pourrait assurer l’alimentation en eau potable d’un village de 10 000 à 20 000 personnes! Cela donnerait du travail à des centaines de plombiers qui assureraient la maintenance des réseaux des usagers alors que celle des 30 000 km de réseaux nationaux gagnerait à être sous-traitée à des entreprises spécialisées et permettraient de réduire le fameux coefficient de perte.
– Si la pluie nous joue des tours, l’évaporation est toujours là et atteint trois mètres d’eau par an: ainsi, sur un hectare de plan d’eau, il s’évapore au moins les besoins de cinq hectares de périmètres irrigués. Ett ce, dans un pays où le liège pousse naturellement et où l’ensemble des plans d’eau à l’air libre devrait être supérieur à 10 000 ha; faites le calcul…
– Il est triste de voir les rejets des stations d’épuration côtières contaminer des plages dans des régions arboricoles parce qu’il a une sorte de blocage socio-psychologique dans l’utilisation de cette ressource abondante et disponible tout le temps qui permettrait de développer des milliers d’ha arboricoles.
Pour conclure ce énième papier consacré à cette ressource et qui, nous l’espérons, pourrait attirer l’attention de qui de droit, nous voudrions insister sur le fait que, comme tous les domaines sensibles qui relèvent de la sécurité nationale, il faudrait bien qu’on finisse par admettre qu’il s’agit d’un DOMAINE STRATEGIQUE qui impacte profondément aussi bien la vie économique, sociale que politique. Faut-il rappeler que l’un de nos Premiers ministres avait déclaré à l’époque que « la pluie a voté pour moi ».
IBTISSEM