En cas de victoire aux législatives, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, entend interdire aux binationaux d’occuper les postes « stratégiques » de l’Etat. Une mesure juridiquement anticonstitutionnelle et moralement choquante.
Chassez le naturel, il revient au galop. Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella qui se voit déjà à Matignon après les législatives- où le parti de Marine Le Pen est donné favori devant la coalition du Nouveau Front populaire- remet sur le tapis une mesure choc de l’extrême droite. Et ce, en distinguant les « nationaux français » des « binationaux », afin d’interdire des emplois « sensibles » et « stratégiques » de l’Etat aux personnes ayant la double nationalité.
A l’origine, une mesure antisémite
Il faut remonter aux années 1930 pour retrouver la mise en place de restrictions pour les personnes naturalisées. À cette époque, les Français nés à l’étranger ayant acquis la nationalité plus tard, ont été interdits pendant les dix ans qui suivaient leur naturalisation d’accéder à la médecine, aux métiers d’avocat ou d’officier ministériel. Le but était d’empêcher les médecins juifs ou les avocats juifs d’exercer en France.
À la Libération, ces lois ont pour la plupart disparu. Le droit d’accès au vote et à certains emplois de la fonction publique pour les naturalisés leur resteront temporairement interdits jusque dans les années 1970.
Sachant qu’aujourd’hui dans l’Hexagone, près de 5 millions d’emplois dans les secteurs public et privé demeurent fermés aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne, selon un rapport du Défenseur des droits.
Postes « stratégiques »
« Oui, je vous confirme que les postes les plus stratégiques de l’État seront réservés aux citoyens français et aux nationaux français », a déclaré Jordan Bardella lors d’une conférence de presse tenue hier lundi 24 juin aux salons Hoche à Paris. Et ce, juste après une prise de parole similaire du député et porte-parole Rassemblement National Sébastien Chenu, lundi matin, sur TF1. Ce dernier précisant que cette mesure passera par « une loi organique et un décret ».
« Pour une raison très simple, a-t-il détaillé, c’est qu’il y a des postes stratégiques liés aux secteurs de la sécurité ou de la défense qui sont des secteurs par définition stratégiques. Les réserver aux citoyens français, c’est aussi un moyen parmi d’autres de se protéger de tentatives d’ingérence qui pourraient être orchestrées par des États étrangers ».
En effet, dans l’esprit du premier ministrable Bardella, cette mesure constitue « un moyen parmi d’autres de se protéger de tentatives d’ingérence qui pourraient être orchestrées par des États étrangers à l’égard des intérêts français ». Il assure, en revanche, ne pas vouloir remettre en cause la binationalité, une mesure longtemps portée par sa patronne Marine Le Pen avant d’avoir été abandonnée lors de la présidentielle en 2022.
« Est-ce qu’aujourd’hui on imagine des franco-russes travailler au ministère des Armées? », a raillé l’ancienne-tête de file du Rassemblement national aux élections européennes, en évoquant le contexte ukrainien.
Préférence nationale
Pour rappel, le RN veut inscrire dans la Constitution la « préférence nationale », notamment en matière d’emploi ou de logement social. Ainsi, la proposition de loi référendaire, de nouveau défendue par Marine Le Pen en janvier dernier propose « d’interdire l’accès à des emplois dans l’administration, des entreprises publiques et des personnes morales chargées d’une mission de service public aux personnes qui possèdent la nationalité d’un autre État ».
Cela-dit, il convient de préciser qu’à l’heure actuelle, la binationalité n’empêche pas l’accès aux emplois de la fonction publique. Toutefois, certains métiers, dits « de souveraineté », étant liés aux fonctions régaliennes de l’État- à l’instar de la défense, du budget, de la sécurité, ou encore de la diplomatie- sont réservés aux Français, qu’ils soient en théorie détenteurs ou non d’une seconde nationalité. La décision de classer un poste parmi les emplois de souveraineté est laissée à l’appréciation de l’employeur, le plus souvent le ministre en personne. « 3,3 millions de Français pourraient demain se voir interdire l’accès à un emploi », selon les estimations de la CFDT.
Déchirure
Mais, selon des professeurs de droit, une telle mesure qui rompt avec le principe d’égalité est impossible à mettre en œuvre sans une révision de la Constitution. Car, viser les personnes qui détiennent une autre nationalité est totalement inconstitutionnel et ouvre par conséquent le recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme ou le Conseil d’État.
« Si vous ne pouvez pas accéder à des emplois publics, c’est dire que vous êtes moins Français que les autres. Cela déchirerait la France, le tissu social et déclencherait des discussions atroces sur qui est plus Français »», résume Gwénaële Calvès, professeure en droit public à Cergy-Pontoise.
Une déchirure surtout pour les Maghrébins en possession d’une double nationalité et dont il est inconcevable de renoncer à leur nationalité d’origine, tant l’attachement au droit du sang demeure très fort.