Plus de mille pèlerins ont trouvé la mort lors du Hajj de cette année 2024 de l’ère chrétienne; officiellement en raison de la hausse imprévue de la température (jusqu’à 50° C) à l’ombre. Pourtant ce n’est pas par manque d’infrastructure, puisque le site sacré de La Mecque a connu depuis quelques années des travaux et des aménagements pharaoniques, pour pallier à tous les imprévus.
Le Royaume saoudien s’évertue en effet à transformer les Lieux saints en véritables cités gigantesques à l’américaine dotées de tous les moyens. Et ce pour donner une image « moderne » qui ne correspond nullement à la conception traditionnelle qu’on avait des sanctuaires sacrés où la simplicité était équivalente de piété et de paix. Tout ce gigantisme ne semble pas avoir été efficace contre le caprice de dame nature. Puisqu’elle a décidé cette année d’augmenter de deux points la température de la canicule traditionnelle.
La Tunisie a été aussi frappée par cette catastrophe qu’on prétend naturelle et qui ne l’est pas forcément. Car il est admis que la hausse de température dans toute la planète est essentiellement due à la pollution et à la fameuse couche d’ozone. Il faut rappeler que le royaume est un grand pollueur, étant un des plus grands producteurs du pétrole. Une punition divine, diront les plus fanatiques… Ou tout simplement la fatalité comme le pensent logiquement la plupart des musulmans.
Le Hajj qui tourne au tragique
La polémique autour du pèlerinage musulman de cette année n’a jamais été autant politisée dans tous les pays musulmans à travers tous les réseaux sociaux que cette année. Plusieurs facteurs, dont la mort de plus d’un millier de pèlerins, ont contribué à ce phénomène. Mais surtout le génocide qui est perpétré par l’État sioniste d’Israël à Gaza en Palestine tuant autour de 40 000 civils, enfants, vieillards, femmes et rasant toute une région occupée par plus de deux millions d’habitants. Du jamais vu dans l’histoire récente de l’humanité.
Sur les réseaux sociaux, devenus la voix des sans voix, l’on ne comprend pas que les Etats musulmans, surtout ceux qui sont en cours de normalisation avec Israël, continuent à envoyer leurs citoyens au Hajj en déployant des moyens financiers énormes. Alors qu’on laisse exterminer des centaines de milliers de Palestiniens à Gaza, par les bombes, par la faim et aussi par le black out organisé par les médias occidentaux sur ce génocide.
Le Hajj, dans la tradition religieuse musulmane, n’est que le cinquième pilier, après la profession de foi, la prière, le jeûne du Ramadan, l’aumône légale (zakat) et encore pour celui qui en a les moyens et la possibilité. Il y a eu même des fatawi, comme celle qu’avait émise Averroes pour exclure cette obligation rituelle pour les musulmans du Maghreb en raison des risques encourus à l’époque pour les pèlerins de se faire assassiner par les brigands qui attaquaient les caravanes ou de mourir de faim ou de fatigue ou de soif.
Ceci était décrété au Moyen-Age. Alors pourquoi pas maintenant puisqu’on peut consulter à l’avance les prévisions météorologiques, températures comprises, par jour et même par heure, quelques semaines à l’avance ? N’a-t-on pas annulé le Hajj en raison de la COVID ?
Il semble que derrière le maintien de ce rituel, il existe des raisons politiques et économiques. Et surtout qu’aucune autorité religieuse crédible n’a osé s’attaquer à cette question qui est d’ordre religieux, mais qui est devenue aussi d’une actualité brûlante.
Par contre, après la catastrophe, qui a notamment touché l’Égypte, avec la perte de plus de 600 citoyens, on a vite fait dans les Etats musulmans touchés par ce phénomène macabre de chercher des boucs émissaires, ministres, hauts responsables, agences de voyages, pour absorber certainement le choc et pour détourner aussi l’attention des populations, de cette mascarade macabre.
C’est un des signes les plus révélateurs de l’état de décadence dans lequel plongent encore les pays musulmans. La Tunisie n’a pas dérogé à la règle, le ministre des Affaires religieuses, à peine a-t-il mis les pieds et entamé un point de presse, pour désigner ce qu’il avait considéré comme « les coupables », a été à son tour limogé.
Il faut rappeler que cet ancien ministre s’était rendu célèbre en envoyant un de nos confrères en prison, pour de supposés délits qu’aucun code de la presse ne mentionne, hormis une lecture tendancieuse du fameux décret. Il voulait dissuader les éventuelles critiques de sa politique « religieuse » en envoyant quelques-uns à l’ombre. Pourtant la loi tunisienne protège non seulement les « dénonciateurs de la corruption », mais le discours officiel qui les encourage. Pas tous les « dénonciateurs » à l’évidence.
Toujours est-il que le limogeage de ce ministre pas très populaire a provoqué un ouf de soulagement, comme si justice avait été rendue. Pourtant le journaliste en question continue à purger sa peine et d’autres continuent à être convoqués par les différentes instances censées appliquer la loi.
La canicule seule a-t-elle eu raison de ce ministre qui s’évertuait tout le temps à porter des costumes et des jebbas aux couleurs tapageuses, comme si pour lui moderniser la religion consistait à changer le vernis. A-t-on réellement besoin, et c’est l’occasion pour le crier, d’un ministère des Cultes ? N’est-il pas temps de réviser et revoir notre vision de la place des religions dans notre société et leurs rapports à l’Etat ? Un grand département appartenant au ministère de l’Intérieur n’est-il pas plus adapté qu’une administration tentaculaire et coûteuse au contribuable ?
Seuls les Etats qui ont des problèmes avec la religion installent des ministères pour les « contrôler » ! Nous pensons que l’Etat tunisien a dépassé ce stade. Puisque de plus en plus l’évolution sociale fait en sorte que la religion fait partie du domaine privé des individus. De toute façon, une réforme des institutions religieuses est devenue plus qu’urgente.
Une tradition préislamique qui devient un spectacle liturgique
Le mot « grand spectacle liturgique » est peut-être celui qui convient le mieux pour décrire le pèlerinage musulman de La Mecque. Presque un spectacle « sons et lumières » le long de la période du Hajj. Sauf qu’il continue à perpétuer des rites ancestraux comme celui du caillassage du diable, rite selon certains historiens qui remonte à très loin dans l’histoire de l’Arabie païenne ; ainsi que celui de la circumambulation (tawef) autour de La Ka’ba et des offrandes.
En réalité il y a une histoire du Hajj imposée par la sunna, tradition à travers l’historiographie officielle sunnite qui a tendance à occulter le passé lointain de l’Arabie. Et il y a l’histoire réelle écrite par les chercheurs et les spécialistes qui, évidemment, désacralise le mythe du Hajj. Toutes les religions ont subi ces doubles lectures. Il y a l’Histoire sacrée et l’Histoire du sacré!
Pour comprendre cette ferveur religieuse qui pousse chaque année plus de deux millions de musulmans à travers le monde à se retrouver pour communier ensemble et pratiquer ces rituels ancestraux, et en dépensant surtout beaucoup d’argent et d’énergie, il faut relire l’histoire, quitte à la revisiter.
L’Islam, en effet, se distingue par ce pèlerinage, non pas pour voire un Pape ou un Rabbin, mais pour vivre des instants magiques, qui semblent inscrits en dehors du temps et de l’espace, dans un sanctuaire où Dieu et le diable se trouvent ensemble dans le même périmètre. Mais où Dieu Tout Puissant et miséricordieux est loué, adoré et supplié (doua’) et où le diable est vilipendé et lapidé.
C’est en l’an 7 de l’Hégire (629 J-.C) que le Prophète de l’Islam, que Dieu l’agrée dans sa miséricorde, a définitivement institué le Hajj, après le fameux traité d’Al Houdaybiya, instauré entre lui et les notables de Qouraysh, non encore acquis à l’Islam. Avant de décéder en l’an 10 de l’Hégire, il a accompli son pèlerinage d’adieu, hajjet al wada’, où il déclara que l’Islam est désormais la religion des musulmans, dont le Hajj n’est qu’un des rites fondateurs.
La tradition musulmane fait remonter la construction de La Ka’ba au prophète Abraham et son fils Ismaël, ancêtre des Arabes. Donc à une date historique non encore définie par les chercheurs mais qui se déroulait dans la nuit du temps. On est donc bien face à un mythe que l’Islam a récupéré. Et surtout un ensemble de rituels païens à l’évidence, que reconnaît la tradition musulmane comme tels et dont tous les historiens musulmans du 4ème siècle rapportent la genèse.
Le sanctuaire de La Ka’ba renfermait d’ailleurs, selon la même tradition, trois divinités féminines, Al Lat, Al Huzza et Manaf, toutes trois filles du dieu Houbal (on remarquera la similitude du nom avec le dieu Baal, phénicien de Carthage). C’est le prophète lui-même qui aurait détruit ces trois statues en proclamant que Dieu est unique et transcendant (la shahada ou profession de foi).
Ainsi débuta le Hajj musulman qui succéda au Hajj païen. Parallèlement à la célébration du culte, les Arabes avaient institué un marché (souk) nommé ‘Ukaz qui est aussi une fête culturelle de la poésie, et les meilleurs poèmes étaient accrochés sur la porte du sanctuaire. Ce souk continua longtemps après l’Islam. On lui doit les fameuses mu’allaqat, fabuleux poèmes censés être de la période préislamique et qui dénotent d’un raffinement intellectuel et artistique qui dément tout ce que prétendait la tradition que les Arabes de La Mecque constituaient une population primitive.
Ce qui est sûr, c’est que dans ces oasis prospères est née une des trois plus grandes religions de l’Histoire humaine. Religion qui continue de faire trembler ses adversaires et les puissances qui lui sont hostiles jusqu’à notre époque moderne.
Nous pouvons aussi affirmer, en passant, que depuis sa création, version islamique, beaucoup de musulmans mouraient en plein pèlerinage. Et même que c’est le souhait de tout musulman orthodoxe que de mourir et d’être enterré en Terre Sainte ! Il semblerait qu’il aille directement au paradis, selon la croyance commune à tous les musulmans. Dieu seul sait !