Dans un effort concerté pour approfondir les liens économiques avec l’Afrique, en partenariat avec le ministère du Commerce et du Développement des exportations, le ministère de l’Économie et de la Planification ainsi que le Centre de promotion des exportations (Cepex), les ambassades d’Allemagne et de France en Tunisie ont uni leurs efforts pour organiser, le 7 mai 2024, l’événement «Élargir les horizons, renforcer les liens économiques vers le continent africain» axé sur l’établissement d’un partenariat tuniso-franco-allemand en direction du continent africain. Une initiative qui témoigne de la volonté de renforcer la position de la Tunisie comme un acteur clé dans l’intégration économique africaine.
Lors du premier panel intitulé «Briser les frontières : l’Afrique s’internationalise», Lazhar Bennour, directeur général de la coopération économique et commerciale au ministère du Commerce et du Développement des exportations et représentant du comité national Zlecaf, a mis en avant les efforts de la Tunisie en vue d’atteindre une intégration économique significative avec le continent africain.
Stratégies de la Tunisie pour l’intégration africaine
M. Bennour a souligné l’importance de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) pour la Tunisie, notant que le projet Appui aux Accords Commerciaux avec l’Afrique (AACA), qui est mandaté par le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ) et mis en œuvre par la GIZ Tunisie en partenariat avec le ministère du Commerce et du Développement des exportations, a généré des retours positifs, reflétant une croissance et une expansion significatives. Il a également présenté plusieurs initiatives majeures:
Corridor africain: un projet tuniso-libyen qui vise à offrir un accès à la Méditerranée aux pays enclavés d’Afrique et qui permet de faire face au surcoût logistique de 30% et aux délais prolongés de transport.
Centre panafricain de commerce numérique: qui vise à réduire la fuite annuelle de 24 milliards de dollars vers les pays du Nord en développant la production locale de produits numériques.
Magasins Zlecaf: une proposition pour la création de magasins dans les capitales africaines pour mettre en valeur les produits africains.
Ces initiatives viendraient renforcer les efforts déjà entrepris par la Tunisie dans sa démarche continue pour renforcer ses liens économiques avec le reste de l’Afrique, comme en témoigne sa récente ratification de l’accord exemptant de TVA les activités du Comesa sur le territoire tunisien. Ce progrès marque un tournant dans les relations économiques régionales de la Tunisie, illustrant son engagement envers l’intégration économique régionale.
La Tunisie comme pilier économique et commercial
M. Bennour a fait état de l’importance du démantèlement tarifaire progressif prévu par la Zlecaf. En effet, les entreprises tunisiennes bénéficient désormais d’un accès préférentiel aux marchés africains, leur permettant d’exporter leurs produits avec des droits de douane réduits ou nuls. Ce facteur de compétitivité majeur a contribué à stimuler les échanges commerciaux et à renforcer la présence de la Tunisie sur la scène économique africaine.
Il a également insisté sur la nécessité pour la Tunisie de se positionner en tant que leader, notamment dans le secteur automobile. Il a souligné l’importance de l’industrialisation automobile en Afrique et de l’engagement de la Tunisie dans l’élaboration de règles d’origine pour les composants automobiles, avec une stratégie claire pour renforcer les chaînes de valeur locales.
M. Bennour a, par ailleurs, mis en avant un aspect essentiel de l’engagement tunisien dans la Zlecaf: sa position de leader dans la délivrance des certificats d’origine. La Tunisie, pionnière en Afrique, a émis 50 certificats vers des pays, à l’instar du Cameroun, permettant non seulement de stimuler les échanges commerciaux sans droits de douane, mais aussi de renforcer la compétitivité des entreprises tunisiennes sur le marché africain.
Leadership régional et collaboration renforcée
Dans le même cadre, le directeur général de la coopération économique et commerciale du ministère du Commerce et du Développement des exportations et représentant du comité national Zlecaf, a insisté sur l’importance d’une coordination efficace avec les organisations régionales africaines. Il a appelé à une collaboration renforcée entre l’Union du Maghreb arabe (UMA) et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa) afin de maximiser les bénéfices de la Zlecaf. Il a appelé, dans ce sens, le secteur privé à s’engager activement dans le plan d’action de la stratégie nationale Zlecaf.
Il a, de même, mis en avant l’importance de la collaboration entre les secteurs public et privé pour maximiser les impacts économiques et atteindre les objectifs ambitieux de la Tunisie en Afrique, tout en appelant à une collaboration étroite avec les partenaires européens pour créer des opportunités mutuellement bénéfiques. La Tunisie se positionne ainsi comme un leader émergent de la Zlecaf et un moteur du commerce intra-africain. Il a, à ce propos, rappelé que pour la Tunisie l’Afrique n’est pas un marché pour ses exportations mais un partenaire stratégique. La Tunisie cherche à mieux se positionner sur les chaines de valeurs africaines pour renforcer l’industrialisation du continent et œuvre à développer une politique d’approvisionnement de l’Afrique pour créer de la valeur ajoutée continentale.
Samir Abdelhafidh, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Économie et de la Planification, chargé des PME : « Pour une approche pragmatique »
Dans quelle mesure un partenariat tripartite entre la Tunisie et ses deux partenaires allemand et français pourrait contribuer à mieux préparer une initiative d’internationalisation des PME tunisiennes à l’échelle de l’Afrique et particulièrement l’Afrique subsaharienne?
Un partenariat « trilatéral » entre la Tunisie et ses deux partenaires allemand et français nous offre de nombreux atouts pouvant contribuer à engager une action d’internationalisation bien réfléchie en Afrique.
Le cadre institutionnel de coopération avec nos deux partenaires est bien rodé aussi bien pour la coopération financière avec l’AFD et le KfW que pour l’assistance technique et l’appui en expertise avec Expertise France, Business France et la GIZ.
De plus, les entreprises allemandes et françaises installées en Tunisie, qui jouent un rôle non négligeable dans le développement économique de la Tunisie, peuvent être considérées, à raison, comme un gisement important pour promouvoir un partenariat tripartite axé sur l’Afrique subsaharienne sur une base gagnant-gagnant (win-win).
Par ailleurs, l’adhésion de la Tunisie à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) et au Comesa (Common Market for Eastern and SouthernAfrica) offre aux PME de droit tunisien de larges opportunités préférentielles au niveau des échanges commerciaux et même de l’investissement.
Il est vrai que l’Afrique est présentée comme étant un marché alléchant en plein essor offrant un vaste potentiel de croissance pour les PME qui cherchent de nouvelles opportunités d’affaires de par la très faible part des échanges commerciaux avec les pays de l’Afrique subsaharienne qui n’en représente qu’environ 3% seulement.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue le fait que nous sommes en train de débattre d’un marché qui n’est pas homogène, la réalité du continent africain est beaucoup plus complexe que l’on croit. Il n’existe pas « un » marché africain, mais plutôt des marchés hétérogènes ayant chacun ses spécificités et ses coutumes.
Toute démarche d’internationalisation requiert une bonne maîtrise des caractéristiques et des dynamiques de ces marchés ciblés. Chaque pays africain présente des réalités économiques, sociales, culturelles et politiques propres à lui.
Toute initiative dans ce sens nécessite, préalablement, un minimum de préparation, d’expertise, des études approfondies afin d’évaluer le potentiel de chaque marché, de s’adapter en fonction des besoins des consommateurs locaux et de s’enquérir du climat des affaires et de l’écosystème de chaque espace.
C’est pour tous ces défis précités que notre ambition de diversification de nos marchés, moyennant l’internationalisation des PME tunisiennes, doit être basée sur une vision à long terme, sur une approche pragmatique, en mettant à profit le capital de coopération avec nos partenaires allemands et français.
En investissant dans cette démarche de partenariat « trilatéral », nous pouvons créer la synergie escomptée et les PME basées en Tunisie pourraient exploiter les opportunités d’assistance et d’expertise que leur offre le cadre de coopération mis en place depuis des décennies entre la Tunisie et ses deux partenaires allemand et français: Qawafel et PEMA ( Promotion des activités d’exportation vers de nouveaux marchés de l’Afrique Subsaharienne)en sont l’exemple de la pertinence de cette approche.
Des initiatives telles que Qawafel et PEMA peuvent aider à créer un environnement propice à l’expansion des entreprises tunisiennes en Afrique et à développer des réseaux d’affaires, les forums de dialogue et les plateformes de collaboration.
En partant des atouts qu’offre le cadre de coopération financière (lignes de crédit pour faciliter aux PME un accès au financement) et d’appui technique (Expertise France et GIZ), des possibilités de partenariat entre les PME de nos 3 pays qui sont installées en Tunisie peuvent être concrétisées à l’échelle africaine.
Des opportunités de partage d’expériences et de meilleures pratiques sont bel et bien présentes entre les PME tunisiennes qui ont réussi à s’établir sur le marché africain (160 sociétés tunisiennes sont établies à Abidjan sous plusieurs formes: plateformes commerciales, showrooms, implantations…) et celles qui aspirent à le faire.
Condition sine qua non pour que cette nouvelle vision de diversification des marchés, axée sur une culture de partenariat, puisse être concrétisée, tout ce processus doit s’appuyer sur une communication étroite, des échanges d’informations réguliers et une coordination permanente entre les instances de coopération. C’est un exercice quotidien de longue haleine qu’on doit mettre en œuvre ensemble.
Anne Guéguen, ambassadrice de France en Tunisie : «La Tunisie dispose d’énormément d’atouts pour être une plateforme de projection vers l’Afrique»
La Tunisie sait être une voix qui compte sur le continent africain. Active au sein de l’Union africaine, elle a par exemple accueilli le sommet de la Francophonie à Djerba en novembre 2022 ou le Sommet Japon-Afrique en août 2022. Cela dit, les équilibres économiques et commerciaux pourraient refléter cette réalité de manière plus claire.
Les échanges de la Tunisie avec l’Afrique subsaharienne sont excédentaires pour la Tunisie, mais restent encore peu développés vis-à-vis de leur immense potentiel. Les 2/3 des exportations tunisiennes – soit 43,7 Md Tnd (13 Md EUR) en 2023 – sont destinées à l’Union européenne, alors que moins de 3% des exportations tunisiennes sont destinées à l’Afrique subsaharienne. La Côte d’Ivoire, principal client de la Tunisie en Afrique subsaharienne, n’est que le 28e client de la Tunisie au niveau mondial en 2022. La Tunisie a pourtant tout à gagner dans le développement de ses échanges avec un marché africain de 1,4 milliard d’habitants en plein essor, compte tenu du dynamisme économique de nombre de pays africains et de leur potentiel très important. L’Afrique subsaharienne peut ainsi devenir un relais de croissance pour l’économie tunisienne.
Nous voyons des initiatives significatives de la Tunisie en faveur d’un rapprochement économique avec le reste du continent africain, que la France serait heureuse d’accompagner. Je pense en particulier à l’adhésion de la Tunisie comme membre observateur de la Cédéao (Communauté économique des pays d’Afrique de l’Ouest) depuis 2017, au Comesa (Marché commun d’Afrique orientale et australe) depuis 2018 et surtout à la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine) en 2020, à même de conforter la Tunisie dans son rôle de plateforme entre l’Europe et le reste du continent africain.
Les bénéfices d’une plus grande intégration économique et commerciale régionale de la Tunisie sont illustrés par plusieurs études. Selon la Banque mondiale, l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires prévues au titre de la Zlecaf permettrait un surplus de croissance de 6% des revenus issus du commerce et du PIB tunisiens d’ici à 2035.
L’Europe en général et la France en particulier peuvent être des partenaires de premier plan pour le resserrement des liens économiques et commerciaux de la Tunisie avec le continent africain. En effet, un certain nombre d’initiatives récentes au niveau européen sont autant d’opportunités pour développer l’intégration économique de la Tunisie en Afrique. Je pense par exemple au programme MEET Africa (Mobilisation européenne pour l’entrepreneuriat en Afrique), projet de développement de l’entrepreneuriat de la diaspora entre l’Europe et l’Afrique mis en œuvre par Expertise France, cofinancé à hauteur de 8,5 MEUR par l’Union européenne et l’AFD.
Je pense aussi à Business France qui a signé avec le Tunisia-Africa Business Council (TABC) une nouvelle convention de partenariat en mars 2023 pour développer la triangulation France-Tunisie-Afrique, notamment vers l’Afrique subsaharienne, et pour œuvrer à l’attraction des investisseurs français et de ceux de la diaspora tunisienne en France vers la Tunisie, tout en organisant des missions et des événements communs en Tunisie, en France et en Afrique. Elle vise également à accompagner plus de 1000 entreprises françaises installées en Tunisie et en Afrique.
Il y a, par ailleurs, le projet Qawafel, une nouvelle étape de notre soutien à une intégration économique régionale fructueuse de la Tunisie en Afrique. En apportant un appui à la projection de startups et PME tunisiennes sur le continent africain, Qawafel a pour objectif global de contribuer à la création d’emplois, au développement économique inclusif de la Tunisie et à son intégration aux marchés du continent africain en appuyant l’internationalisation de ses entreprises sur les marchés prioritaires. D’une durée de 36 mois, financé à hauteur de 3,8 MEUR par l’État français via l’AFD, Qawafel a notamment pour objectif d’apporter un appui aux partenaires stratégiques publics pour améliorer le climat des affaires et mettre en place des mesures de facilitation et d’incitation à l’internationalisation d’une part, et renforcer le dialogue public-privé sur les sujets de l’internationalisation des entreprises tunisiennes vers le continent africain d’autre part.
Il vise, par ailleurs, à sensibiliser et former plus de 300 entreprises aux opportunités que présentent les marchés africains, et à appuyer, financièrement et techniquement, plus de 15 structures d’accompagnement qui, à leur tour, soutiendront une cinquantaine d’entreprises tunisiennes dans leurs démarches d’exportation et/ou d’implantation dans les pays ciblés par le projet, et qui sont la République islamique de Mauritanie, la République du Sénégal, la République démocratique du Congo et la République du Kenya.
Peter Prügel, ambassadeur d’Allemagne en Tunisie : «Envoyer un signal fort»
La France et l’Allemagne, nous voulons envoyer un signal fort avec nos partenaires tunisiens, car nous croyons au développement économique du continent et nous pensons qu’une intégration forte est essentielle pour cela.
Pour les entreprises européennes, la Tunisie s’avère depuis longtemps un partenaire économique fiable. Ce que nous constatons actuellement, c’est qu’un changement s’opère en faveur davantage d’investissements en Tunisie. L’élan avec lequel la Tunisie s’aligne récemment sur le continent africain est perceptible et nous pensons pouvoir accomplir beaucoup de choses ensemble. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire. Et c’est dans ce sens que nous œuvrons depuis un certain temps avec nos partenaires publics tunisiens afin de créer le cadre nécessaire pour réduire les obstacles à une plus grande intégration sur le continent africain et nous sommes impressionnés par tout ce que nos partenaires tunisiens ont déjà atteint.
À la coopération allemande en Tunisie, nous travaillons actuellement sur deux projets sur le commerce avec l’Afrique. Le premier est le projet AACA en collaboration avec le ministère du Commerce et du Développement des exportations depuis 2020 sur les accords commerciaux avec l’Afrique, notamment la Zlecaf. Le second projet PEMA, élaboré avec le Cepex depuis 2018, favorise les exportations vers l’Afrique subsaharienne et en coopération avec des entreprises.
D’ailleurs, nous sommes très satisfaits des résultats obtenus par nos entreprises partenaires. Les consortiums d’exportation ont réalisé des résultats étonnants ces dernières années. Plus de 400 projets d’exportation ont été effectués et de nombreux emplois nouvellement créés. Les consortiums ouvrent la voie à la manière dont la croissance économique sur le continent africain peut être créée grâce à une plus grande intégration.
Rares sont les projets qui obtiennent une telle satisfaction. Il est donc tout à fait logique que nous continuions à soutenir les entreprises à l’avenir. Le contexte exact dans lequel cela se produira ici en Tunisie est encore en discussion. Au total sur le continent, l’Allemagne consacre 79 millions d’euros directement à la Zlecaf et 208 millions d’euros supplémentaires aux projets connexes dans le domaine du commerce. En Tunisie, il existe actuellement 25 projets travaillant dans les domaines du développement économique et du soutien aux entreprises. Nous tenons profondément à ce que nos partenaires tunisiens, dont le ministère du Commerce et du Développement des exportations et le Cepex, restent des partenaires importants de la coopération allemande, aussi et surtout pour une plus grande intégration en Afrique.
Article paru dans L’Economiste maghrébin n°896 du 5 au 19 juin 2024.