En réponse aux « inquiétudes » exprimées par le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, quant au « rapprochement » entre la Tunisie, la Russie, la Chine et l’Iran », la réaction de la Tunisie en Belgique fut énergique. Mais, était-il opportun de s’attaquer personnellement à lui? Alors qu’un simple rappel de l’attachement indéfectible de notre pays à sa souveraineté aurait été suffisant?
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, semble avoir la rancune tenace depuis que Tunis, accusant l’Union européenne d’ingérence dans la souveraineté de la Tunisie, avait refusé de recevoir une délégation d’eurodéputés en septembre 2023.
En effet, lors de la réunion du Conseil européen des Affaires étrangères tenue le 24 juin au Luxembourg, il était prévu que la question des droits de l’Homme en Tunisie soit au menu. Mais, à la dernière minute, c’est finalement les récents développements géopolitiques dans le pays- notamment le sujet du rapprochement supposé entre Tunis, Pékin, Moscou et Téhéran-qui a été évoqué par les 27.
Ainsi, à la surprise de l’auditoire, M. Borrell s’inquiéta du « rapprochement » entre la Tunisie, la Russie, la Chine et l’Iran ». Alors que ce pays maghrébin est « un partenaire important de longue date de l’UE.
Le Haut-représentant a ainsi invité les 27 « à la lumière des derniers développements internes et externes, à procéder à une évaluation collective et éviter certains événements qui conduisent à des rapprochements avec les gouvernements chinois, russe et iranien ». Estimant que la question « mériterait, dans l’avenir, un débat plus sérieux au sein des instances européennes ».
Des Inquiétudes justifiées?
M. Borell a-t-il des raisons de s’inquiéter d’un éventuel rapprochement stratégique entre Tunis et l’axe Pékin-Moscou-Téhéran?
Curieusement, on notera que la question a été récemment relevée par le sérieux quotidien italien La Repubblica. Ainsi, dans un article publié le 19 mai 2024, l’on apprend que l’administration américaine serait préoccupée par les mouvements et la présence russes en Tunisie.
Le média italien ajoute que le chef de l’État, Kaïs Saïed « pourrait, en dépit des efforts de Giorgia Meloni, présidente du conseil ministériel italien, décider de s’ouvrir à la Russie ou évoquer cette hypothèse ». Et ce, dans le but « de faire pression sur l’Occident ».
Le président tunisien, « pourrait évoquer l’adhésion de la Tunisie à la nouvelle coalition du Sud global, que la Russie et la Chine cherchent à créer afin de déstabiliser l’ordre mondial actuel ».
« Or, pour l’Italie, conclut le média italien, cette situation représente un problème direct. La Tunisie est la nation nord-africaine la plus proche de ses côtes, point de départ des embarcations vers la Sicile. La première ministre Meloni s’est personnellement engagée à éviter cette dérive, visitant quatre fois le pays et concluant des accords avec le président Kaïs Saïed, dans le cadre du « Plan Mattei » ».
Une preuve supplémentaire que la Tunisie chercherait à s’ouvrir à d’autres horizons que ceux du Nord? Le président de la République Kaïs Saïed a effectué 31 mai 2024 une visite d’État en Chine, où il fut accueilli avec tous les égards. Et ce, pour participer à la 10ème Conférence ministérielle du Forum de coopération sino-arabe. Avec l’annonce par les présidents tunisien et chinois de l’établissement d’un partenariat « stratégique » entre les deux pays.
Deux semaines plus tôt, l’hôte du palais de Carthage se rendit en Iran pour assister aux funérailles du président iranien Ebrahim Raïssi. Il avait alors été reçu par le Guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei qui qualifia cette visite de « tournant majeur dans les relations entre la Tunisie et l’Iran ». Tout en ajoutant qu’il s’agit d’une « opportunité pour la Tunisie de se rapprocher du monde arabo-musulman, après des années d’autoritarisme et de rupture ».
Enfin, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov atterrissait à Tunis fin 2023 après une précédente visite à Moscou du chef de la diplomatie tunisienne, Nabil Ammar, annonçant le renforcement du partenariat entre les deux pays.
Une réponse cinglante
En réponse aux « préoccupations » du haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission européenne, la réaction des autorités tunisienne ne manquait pas de mordant.
Ainsi, l’Ambassade de Tunisie en Belgique a publié le 25 juin 2024 une déclaration via un post FB pour rappeler que le gouvernement tunisien « exerce sa souveraineté de manière indépendante dans ses relations avec tous ses partenaires ». Tout en critiquant à l’occasion « l’acharnement de l’intéressé, ancien administrateur d’un groupe industriel désormais en fin de contrat professionnel », en affirmant que toutefois, cela « n’altérera pas le partenariat entre la Tunisie et l’Union européenne ».
Ambigüité
A noter que le communiqué de l’ambassade ne révèle pas le nom du « groupe industriel » que Joseph Borell aurait administré dans le passé, ni la nature du « contrat professionnel » qui le lieraient à ce groupe qui opérerait en Tunisie. Il s’agirait dans ce cas d’une accusation de conflit d’intérêts. A moins que le communiqué ne fasse allusion au contrat de « l’intéressé » avec l’UE qui arrive à échéance. Nuance.