En marge de sa visite de 24 heures en Tunisie, le directeur général de l’AFD a tenu à rencontrer les journalistes tunisiens pour échanger les points de vue, comme il le dit. Nous avons profité de l’occasion pour lui poser quelques questions sur sa façon de voir le travail de l’Agence française de développement, sur le FMI et sur les élections françaises et leurs répercussions.
Rémy Rioux, directeur général de l’AFD Finance & marchés, depuis la COP21, l’AFD a pour vocation le développement durable, le climat, la décarbonation, etc. On n’a pas vraiment remarqué cette tendance dans les accords que vous venez de signer.
Les questions du climat, de la décarbonation, c’est ce qui a donné de la taille, aujourd’hui, à l’AFD. Le récit du codéveloppement, de la lutte contre la pauvreté, je le respecte, mais il s’est un peu épuisé. En fait, ceux qui bénéficiaient de ce type de financement n’aiment plus qu’on leur parle ce langage.
Je suis venu à l’AFD en 2016 et je devais m’aligner sur l’Accord de Paris. C’est pour dire qu’actuellement, à l’AFD, le climat est partout, dans toutes nos actions. Chaque fois que nous entamons un projet, que ce soit un projet de transport ou même d’éducation, nous essayons d’optimiser à la fois l’aspect atténuation des émissions de gaz à effet de serre et l’aspect adaptation au changement climatique.
En fait, et pour répondre à votre question, vous ne voyez peut-être pas l’aspect décarbonation ou changement climatique, mais ils sont dans chaque projet. Par exemple, le projet infrastructure pour l’éducation, nous allons le construire avec du photovoltaïque, avec des règles qui incluent les normes environnementales.
En fait, tout ce que nous arrivons à comptabiliser comme de la finance climat, c’est plus de 60 % de ce que fait l’AFD. Maintenant, nous voulons nous mettre sur la frontière d’après. Ainsi, 30 % des projets de finance climat de l’AFD se font maintenant en se fondant sur la nature, c’est-à-dire en utilisant des composants de biodiversité. Nous nous sommes entretenus à ce propos avec la ministre tunisienne de l’Environnement sur des projets d’environnement, de gestion de l’eau et de la baie de Bizerte. Des sujets qui relèvent de la nature et qui sont des sujets d’intérêt ici en Tunisie.
Cela dit, il faut savoir que les projets à connotation climatique, notamment les projets d’énergie renouvelable, seront plutôt des projets privés ou relevant du PPP. En Tunisie, je sais qu’il y a des appels d’offres dans ce sens et je sais aussi que notre filiale Proparco en fera partie et répondra à ces appels d’offres.
L’AFD, c’est aussi une institution financière. Le fait que la Tunisie ne signe pas d’accord avec le FMI, est-ce que cela influence votre politique vis-à-vis de notre pays?
Il a été question de ce sujet lors des discussions avec le chef du gouvernement M. Hachani. Je suis un ancien fonctionnaire du ministère des Finances, j’ai passé dix ans au Trésor public où je m’occupais des affaires financières internationales. De ce fait, on faisait attention à ce que disait le FMI, comme les agences de notation, sur la France.
Je comprends que c’est un sujet délicat. En fait, il faut le prendre comme un signal, une information, une analyse indépendante multilatérale, avec des chiffres qui sont mis à la disposition des acteurs économiques et certifiés par une institution dont la Tunisie, comme tous les pays du monde qui sont membres. C’est vrai que nous avons besoin de ce signal et ce serait faux de dire que le signal que le FMI passe au marché n’a pas de conséquences sur les institutions financières. Après, pour une institution comme l’AFD, cela ne va pas nous inciter à dire que nous allons investir ou non. Souvent, cela veut dire que nous changeons un peu d’instrument financier. Par ailleurs, vous savez comme moi que la Tunisie est un pays qui n’a jamais fait défaut sur sa dette et c’est quelque chose d’extrêmement important, notamment pour le coût de l’argent que nous allons prêter.
Au-delà des projets que vous venez de signer, peut-on dire que cette visite a un sens politique?
Cela a, bien sûr, un sens politique. Les finances publiques, c’est politique.
Une dernière question. La montée de l’extrême droite en France aura-t-elle un impact sur le travail de l’AFD?
On va faire de la politique fiction. Quand le peuple français se prononce, cela a toujours des conséquences. Maintenant, c’est vraiment trop tôt pour dire quel sera le message que le peuple français va nous adresser à tous.
Cela dit, personnellement, en tant que directeur de l’AFD, je pense que la coopération internationale est essentielle pour la France. On l’a vu lors de la Covid-19. Les décisions prises individuellement par les gouvernements ne suffisaient pas. Il fallait en plus de la coopération internationale. Il fallait financer l’innovation pour que tous les pays du monde aient un accès à la thérapie. Pour le climat, c’est pareil. Si chacun fait des actions dans son pays tout seul, sans une coopération internationale, cela ne suffi ra pas.
Le travail qui doit être fait souverainement dans chaque pays n’est pas incompatible avec la coopération internationale. Au contraire. Notre histoire, l’histoire de l’Europe, c’est cette combinaison entre la souveraineté et les liens avec les autres.
Cet entretien est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 898 du 3 au 17 juillet 2024