En haut lieu, la décision semble irrévocable, il faut en finir avec les CDD et les contrats de soustraitance. Il paraît même que le projet de loi est fin prêt. C’est vrai qu’on ne sait pas grand-chose sur ledit projet, mais qu’importe, l’essentiel est que l’Etat sait ce qui est bien pour nous. L’Etat-providence sait, mieux que ces économistes qui crient au désastre, que le salut de la nation passe par le bien-être des travailleurs, par ce sentiment de béatitude que procure le fait d’être un clou dans un mur. Qu’importe si le mur, à force de creuser des trous, s’effrite ou que le clou, à force d’inertie, se rouille. Tout cela, ce n’est que palabres, le plus important, c’est de maintenir cette rhétorique que les moins nantis ont nécessairement réponse à toutes les frustrations. Voilà où nous en sommes, alors qu’en théorie, le débat, le plus intense, devrait tourner ailleurs, au- tour de cette tendance de l’Etat-providence à étatiser, alors qu’on est censé privatiser l’économie, du moins la libérer du joug d’une administration de plus en plus discrétionnaire. C’est vrai que de par la montée du populisme dans le monde, le débat sur la question prend une tournure passionnelle, sauf que les passions, généralement ingrédient principal du discours politique, éloignent de la réalité toute simple. La réalité est que les rhétoriques les plus populistes n’ont strictement aucune chance de résister aux décisions structurelles qui s’imposent à tout le monde. On peut réussir les meilleures récoltes d’olives, le marché décidera de l’enrichissement ou de la faillite de l’armée d’agriculteurs impliqués dans ce secteur. La Tunisie a expérimenté tour à tour le coopérativisme radical, le capitalisme décomplexé et débridé et même un vague système dit mixte. Ce n’est pas pour autant qu’on est sorti de l’auberge. Auberge dans le sens argot du terme.
L’exemple le plus caricatural a été fourni par les gouvernements qui se sont succédé après la révolution. Pour faire bonne figure et se préparer à prendre le pouvoir, ils ont tout simplement commandé un programme économique clé en main. Programme qui n’a servi à rien du tout quand il fallait confronter la réalité du terrain. Les plus critiques, ou les plus sarcastiques, ont même noté que les programmes en question n’avaient pas de différences notables avec celui qui avait été proposé avant la révolution. En réalité, le déséquilibre fonctionne pour tout ce qui relève directement ou indirectement de l’Etat, ce qu’on appelle la fonction publique. Il faut dire que les changements opérés à ce niveau ont été faits essentiellement pour gagner la paix sociale, quitte à enfoncer l’Etat nourricier dans des crédits sans fin ou, dans d’autres cas de figure, la population dans des pénuries sans lendemain. Si nous en sommes là, diront certains, c’est qu’il y a eu comme un malentendu originel au dé- part même du geste révolutionnaire. La liberté conquise s’applique à soi, à l’exclusion de tous les autres. Les autres, on peut même les accuser de tous les maux, d’être des diffamateurs, des cor- rompus ou même des comploteurs. La nomenclature diffère, mais la rhétorique est la même. A propos, on a cru comprendre, pendant un certain temps, que des députés, issus de différents blocs parlementaires, avaient déposé une initiative législative pour amender le décret 54. C’est que, nous disent-ils, ledit article menace la sécurité générale et est devenu préjudiciable pour le processus du 25 juillet. Cela part d’une bonne intention, sauf qu’on a comme une impression que cette initiative n’en est pas une. Le tout n’aura été qu’un effet d’annonce. Un discours qui tient à émouvoir l’auditoire. De la rhétorique, quoi.
Cet article est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 898 du 3 au 17 juillet 2024