Sans surprise ! Les prix repartent légèrement à la hausse, passant de 7,2 à 7,3% d’un mois à l’autre, alors qu’ils ont tendance à se calmer ailleurs. Il est peu probable qu’ils refluent, de si peu que ce soit, au mois de juillet quand le niveau de la consommation est à son point culminant, au moment même où l’appareil productif est le moins sollicité et n’est pas loin de sa zone de confort. Difficile de venir à bout de l’inflation quand le pays, même fracturé et à divers niveaux de consommation, dépense plus qu’il ne se dépense. Le gap est si profond qu’il finit, quel que soit le niveau de la demande, par enclencher un processus inflationniste aux effets désastreux sur de larges franges de la population. La Tunisie d’en bas de l’échelle, qui court désespérément derrière une problématique consommation pour survivre, n’arrête pas de grossir : jusqu’où et jusqu’à quand devrait-elle subir dans sa chair la tyrannie des prix en folie ?
Sur le papier, l’indice des prix a à peine bougé. La hausse est si mince qu’elle paraît insignifiante. Les moins pessimistes y éprouveront même un sentiment de soulagement.
L’ennui est que l’apparence est souvent trompeuse. Le problème est que dans le contexte global qui est le nôtre, cette légère progression n’en est pas moins dévastatrice pour les ménages à faible revenu ou au revenu déjà laminé par l’inflation. La raison est que les prix ont déjà beaucoup grimpé et se situent à un niveau assez élevé. Ils ont explosé en 2023 pour finir par s’approcher de la barre fatidique des 10%, à 9,3%. Encore qu’il ne s’agisse là que d’un indice « moyen », du reste spécifique. L’inflation, qui sévit dans l’alimentation -près de 50% des dépenses des foyers-, est plus durement ressentie. Un terrible tsunami qui fait basculer chaque année dans la pauvreté un nouveau contingent de ce qui reste de la classe moyenne inférieure. Plus d’un Tunisien sur trois vit désormais sous le seuil de pauvreté. La fracture sociale prend des proportions pour le moins alarmantes et inquiétantes. L’ennui est que les décisions et mesures prises à l’effet de juguler l’inflation se sont avérées inopérantes. Et l’on ne voit rien pointer à un horizon rapproché, qui puisse mettre fin à la valse des prix qui s’emballent. Sans doute faut-il remonter aux sources du mal, si l’on veut combattre et éradiquer l’inflation qui s’installe et s’enkyste. Elle est tout à la fois d’ordre structurel et conjoncturel. A ceci près que la hausse des cours du pétrole et des céréales qui pèse à la fois sur les budgets de l’Etat et du contribuable n’est plus d’actualité. On observe même un reflux qui reste à confirmer.
Inflation par la demande pourtant en deçà de ce qu’elle devrait être en raison de la dégradation du pouvoir d’achat ? Insuffisance de l’offre en dépit de la pléthore de capacités de production inemployées, qui se traduit forcément en hausse des prix ?
Inflation par la demande pourtant en deçà de ce qu’elle devrait être en raison de la dégradation du pouvoir d’achat ? Insuffisance de l’offre en dépit de la pléthore de capacités de production inemployées, qui se traduit forcément en hausse des prix ? A quoi s’ajoutent les effets d’anticipation du genre prophétie autoréalisatrice ? Inflation à cause des distorsions dans les circuits de distribution sur lesquels se sont fracassées jusque-là toutes les initiatives gouvernementales ? Inflation par les coûts en raison de la hausse des salaires et d’autres charges peu visibles que subit l’entreprise et qui installe le pays dans une course-poursuite, une spirale infernale prix-salaires au seul effet de compromettre la compétitivité des entreprises ?
L’inflation par excès de la demande alors que l’investissement public est en berne et la classe moyenne laminée, ce ne serait pas le dernier de nos paradoxes. Il en va de même de la hausse des salaires pendant que le chômage explose à plus de 18%. Et tout porte à croire qu’en l’absence de gain de productivité, l’annonce de la hausse en deux temps du SMIG et l’abandon présumé des contrats de travail à durée déterminée (CDD), qui procèdent tous deux de bonnes intentions, porteront l’inflation et le chômage à des niveaux insoutenables.
Que faire pour éteindre les foyers d’incendie inflationniste ? Pour ne pas donner à penser qu’on s’attaque plus aux effets qu’à la cause ? Il faut, à l’évidence, changer de paradigme et de vision, ne plus avoir à faire ce que l’on sait faire et ce qui se fait ailleurs en soumettant l’investissement et l’économie à rude épreuve, sans soulager pour autant le budget des ménages. La BCT, gardien du temple monétaire et garante de la stabilité des prix, dégaine l’arme des taux directeurs pour casser les ressorts de l’inflation. Comme si celle-ci était pour l’essentiel d’origine monétaire ou qu’elle fut provoquée par un excès de demande. La hausse du loyer de l’argent a davantage pénalisé l’investissement et mis en péril des pans entiers de PME fortement endettées à ce jour sous le choc de la pandémie de Covid-19 qu’elle n’a li- mité la propension à consommer de ceux qui le peuvent encore. Il est possible que le durcissement du crédit ait quelque peu freiné la hausse des prix, mais il est tout aussi probable qu’il ait poussé les prix à la hausse en renchérissant les coûts des entreprises. La persistance de la stagflation -récession et hausse des prix- aurait dû nous alerter bien plus tôt sur l’inanité de telles mesures. La BCT ne peut à la fois durcir les conditions d’accès au crédit aux ménages et aux PME et ouvrir en même temps, par voie directe ou détournée, les vannes du financement du déficit budgétaire lié au seul train de vie de l’Etat. Comme si nécessité fait loi. L’endettement public intérieur à des taux exorbitants semble pour la première fois dépasser l’endettement extérieur. Ce mécanisme de financement, qui n’est pas sans rapport avec la planche à billets, est forcément inflationniste.
Une chose est sûre : il faut sortir du piège de la stagflation, en terrassant l’hydre de l’inflation. Le mieux que nous ayons à faire est de briser le cercle vicieux de l’inflation sans quoi on ne peut pas amorcer la décrue du loyer de l’argent pour libérer l’investissement et la croissance.
Une chose est sûre : il faut sortir du piège de la stagflation, en terrassant l’hydre de l’inflation. Le mieux que nous ayons à faire est de briser le cercle vicieux de l’inflation sans quoi on ne peut pas amorcer la décrue du loyer de l’argent pour libérer l’investissement et la croissance. On doit pouvoir casser les ressorts de l’inflation, véritable hold-up dont sont victimes les ménages, les PME et la cohésion sociale. Le pire serait qu’on finisse par s’accommoder de la drogue inflationniste, jusqu’à mourir par overdose. Faute d’une réponse ferme, sur le plan national, l’inflation, si elle n’est pas maitrisée, ouvre la voie à toutes les dérives : corruption, malversations financières, délinquance en tout genre… L’unité du pays et sa cohésion ne résisteront pas à l’ouragan inflationniste. Point besoin de revenir sur les causes de l’inflation ; il en est au moins une à l’origine de tous les maux : l’explosion des prix se nourrit de l’éclipse de l’Etat, du vide qu’il n’a pas su ou pu reconquérir et réaménager. Il y a besoin et nécessité de voir se manifester son autorité à travers contrôle, régulation, supervision, respect des règles de la concurrence, obligation de transparence et sanctions conséquentes suffisamment dissuasives pour les contrevenants. Le marché doit retrouver sa sérénité et son rôle d’allocation des facteurs en économie concurrentielle, et sa capacité d’atténuer les tensions inflationnistes.
L’idéal serait de mettre en œuvre des politiques publiques, des politiques d’offre à l’effet de provoquer un choc de croissance. L’Etat n’a pas vocation à se substituer partout au marché, bien plus efficace qu’il ne l’est lui-même.
Point besoin aussi de se substituer aux producteurs et aux sociétés pour fixer ou bloquer les prix, au risque de provoquer de graves sorties de piste et, au final, une chute de l’offre avec les conséquences que l’on sait. L’idéal serait de mettre en œuvre des politiques publiques, des politiques d’offre à l’effet de provoquer un choc de croissance. L’Etat n’a pas vocation à se substituer partout au marché, bien plus efficace qu’il ne l’est lui-même. Il a en revanche l’obligation de le réguler, de le stimuler, de l’expurger de ses distorsions, d’impulser l’investissement, l’initiative, d’encourager et de promouvoir l’innovation. Il doit faire valoir sa vision, fixer un cap, donner une perspective, améliorer le climat des affaires, alléger le fardeau bureaucratique et mettre en place les mécanismes d’incitation pour les entreprises et de protection pour les individus. S’il y parvient, il libérera l’investisse- ment, l’offre et allumera pour longtemps les feux de la croissance, avec à la clé l’assurance d’éradiquer l’inflation qui n’en finit pas de ronger le tissu social, d’abîmer le paysage économique et d’hypothéquer l’avenir.
Cet édito est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 899 du 17 au 31 juillet 2024