Depuis des siècles, les grandes puissances économiques utilisent la dette publique comme une arme de domination politique des pays les plus faibles, une domination qui a été couronnée par la colonisation, lors de plusieurs épisodes historiques. Ces dernières années, on parle de nouveau de l’usage de la dette à des fins d’hégémonie politique avec la « Debt-trap diplomacy », concept développé par un groupe de chercheurs indiens en 2017 pour qualifier la stratégie des prêts internationaux adoptée par la Chine qui, estiment-ils, cherche à piéger les pays africains dans les méandres de l’insoutenable de la dette, précipitant la perte de leur souveraineté.
Récemment, Bloomberg a déclaré qu’un autre pays du Sud, l’Arabie saoudite, aurait laissé planer la menace de vendre des obligations européennes, si le groupe du G7 décidait de saisir la totalité des 300 milliards de dollars des actifs gelés de la Russie pour aider l’Ukraine. L’avertissement de Riadh explique certainement le changement de cap dans la décision finale des pays de la zone euro, de n’exploiter que les bénéfices générés des actifs russes, de l’ordre de 50 milliards, pour soutenir Kiev; et ceci, malgré les pressions des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Il est vrai que les avoirs saoudiens en euros, qui ne représentent que quelques dizaines de milliards, ne pèsent pas lourd sur les marchés. Mais le déclenchement d’un « effet domino » orchestré notamment par la Chine risquerait de mettre à mal les pays de la zone.
Les relations étroites qu’entretiennent la Russie et l’Arabie saoudite, du fait qu’elles soient toutes les deux membres du groupe des BRICS élargi ou qu’elles soient conjointement à la direction de l’OPEP+, suffiraient sans doute à expliquer la solidarité du Royaume à l’égard du Kremlin. Mais la saisie des avoirs russes risquerait aussi de créer un précédent dangereux pour les fonds colossaux investis par le fonds souverain saoudien SAMA dans les économies occidentales.
L’arme de la dette semble avoir remplacé l’arme du pétrole, devenue obsolète depuis la guerre de Kippour. Paradoxalement, face au drame palestinien, qualifié « d’anéantissement de Gaza » par le diplomate norvégien Jan Egeland, une figure très respectée dans la sphère humanitaire, c’est plutôt « l’arme de la lâcheté » qui a pris le dessus.
Par Lamia Jaidane-Mazigh
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 899 du 17 au 31 juillet 2024