Il arrive au terme de son mandat d’ambassadeur de l’UE à Tunis. Il quittera fin août le pays pour une autre vie, loin du tumulte géo-diplomatico-politique. Marcus Cornaro, cet homme du Nord, autrichien de naissance, aux origines lointaines vénitiennes, est un européen engagé avant la lettre. Il aura été un fervent défenseur et militant de l’Euromed. A la tête de la délégation de l’UE à Tunis, il n’a eu de cesse de vouloir raffermir les liens de coopération et de partenariat, à bien des égards exemplaires. Il était résolu et déterminé à donner sens et corps à la politique de voisinage, qui vise à améliorer les relations avec les pays riverains à l’est et au sud de la Méditerranée.
Tout au long de son mandat marqué par la crise sanitaire et la paralysie de l’économie monde, il s’est employé à faire changer les choses et bouger les lignes de partenariat en matière d’aide, d’appui financier, de soutien à l’économie, aux startuppeurs, et à la gent féminine qui a vocation d’entreprendre aux quatre coins du pays. Marcus Cornaro était sur tous les fronts, s’impliquant autant que faire se peut dans le développement des énergies renouvelables et contribuant à l’émergence ou à la consolidation de nouveaux foyers de la croissance.
Le chemin de la coopération est long et ardu et tout ne peut être fait quand il faut subir la dictature du temps très court à la mesure d’un mandat et du changement. Mais, dira-t-il, l’essentiel a été préservé et l’avenir des relations Tunisie-UE, « nullement affectées par le soutien franc et massif de l’UE envers l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie », plus qu’assuré.
La Tunisie est et demeure un partenaire stratégique de l’Union. Le couple est solide, les malentendus et incompréhensions, s’ils venaient à se produire, sont sans conséquence. « Les relations sont si fortes et si intenses qu’elles créent de fait une véritable interdépendance, loin de toute velléité d’ingérence. En clair, l’interdépendance est tout le contraire de l’ingérence », se défend ou, en tout cas, tient à réaffirmer le représentant de la diplomatie européenne à Tunis. Il prend congé et du pays qu’il tient en très haute estime, et dont il garde de solides amitiés et de sa longue carrière, avec le sentiment d’avoir apporté sa contribution à la consolidation des relations Tunisie-U
Vous avez dit que vous ne voyez plus la coopération entre l’UE et la Tunisie comme un partenariat bilatéral, mais comme « transpondeur » vers l’Afrique ou vers d’autres pays arabes.
En effet, pour nous, le partenariat avec la Tunisie fait partie d’une vision globale de la mondialisation. Comme vous l’avez bien mentionné dans l’un de vos éditos, la mondialisation de la vieille époque n’existe plus. La mondialisation devient plus régionalisée. On parle désormais de friendshoring et de nearshoring et de la façon de tirer avantage de la proximité géographique.
A ce propos, la Tunisie pourrait tirer avantage du nouveau système pan-euro-méditerranéen qu’elle a ratifié l’année dernière et qui va entrer en vigueur en 2025.
En quoi consiste ce nouveau système pan-euro-méditerranéen ?
La convention pan-euro-méditerranéenne (PEM) sur les règles d’origine préférentielles vise à établir des règles d’origine communes et un cumul entre les parties contractantes. Cela permettra, par exemple, au secteur du textile, de trouver des avantages comparatifs parmi les pays maghrébins et d’être sûr que la vision commerciale et d’investissement fonctionne pour la rive sud de la Méditerranée.
L’idée que les pays d’Afrique du Nord, notamment la Tunisie, puissent être le point de passage de l’Europe vers l’Afrique, est-ce qu’elle vous parle ?
Elle me parle, mais je suis réaliste. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, le commerce entre les pays maghrébins ne dépasse pas les 5%.
Il faut savoir que, par le passé, l’Europe a toujours travaillé sur le régime préférentiel régional. Sur ce point, les pays d’Afrique du Nord nous ont critiqués dans le sens que cela les empêche d’avancer sur le plan continental. Entre-temps, cela s’est fait d’une manière embryonnaire avec la ZLECAf (zone de libre-échange continentale africaine) qui a reçu et qui continue à recevoir le soutien technique et financier de l’Union européenne. Sur ce point, nous avons travaillé bilatéralement avec la Tunisie pour finaliser l’offre tunisienne d’entrée dans la ZLECAf.
La ZLECAf reçoit le soutien technique et financier de l’Europe. Est-ce là votre stratégie pour renforcer votre présence dans le continent africain ?
Cela entre dans l’esprit de ce qu’on appelle la «Global Gateway», une stratégie européenne qui vise à développer des liens intelligents, propres et sûrs dans les domaines du numérique, de l’énergie et des transports, et à renforcer les systèmes de santé, d’éducation et de recherche dans le monde entier. C’est un cadre procédural, avec un programme de dons pour assouplir les crédits d’investissements en garantissant les risques politiques ou financiers. C’est comme pour le projet ELMED, qui est au cœur de cette approche de la connectivité et de la «Global Gateway». Le financement d’ELMED, qui est assez costaud, n’aurait pas pu être fait sans cette philosophie de connectivité de «Global Gateway».
«Global Gateway» est une manière de nous moderniser et de sortir du cadre bilatéral pour aller vers une autre vision « plus» .
Surtout que pour l’Afrique, il y a de la concurrence, notamment chinoise. Précisément, à ce propos, comment voyez-vous les relations de la Tunisie avec la Chine?
En ce qui concerne la Chine, il est compréhensible que la Tunisie profite de tout ce qui est coopération, innovation, investissement chinois. En Tunisie, nos intérêts pour un meilleur climat d’affaires convergent, comme d’ailleurs généralement pour le développement du pays. Le futur pont de Bizerte est à ce propos très significatif. Il est financé par la Banque européenne d’investissement avec la BAD, et il sera construit par les Chinois, ayant gagné l’appel d’offres international. L’ironie du sort évidemment veut que les Chinois n’ont pas l’habitude des appels d’offres internationaux.
Dans l’ensemble, je pense que nous sommes plutôt complémentaires. J’ai eu des rencontres avec l’ambassadeur de Chine en Tunisie et nos discussions portaient sur tout ce qui est amélioration du climat des affaires dans le pays. C’est quelque chose qui parle aux Chinois et c’est ce qui explique, quelque part, qu’il n’y a pas beaucoup d’entreprises chinoises en Tunisie.
Cela dit, c’est vrai qu’il y a une certaine sensibilité du côté européen pour ce qui est de la Chine, surtout lorsqu’on parle technologie comme la 5G, mais aussi impact des échanges commerciaux chinois sur la balance des paiements. Faut-il rappeler, à ce propos, que l’UE demeure le premier partenaire commercial de la Tunisie, nettement loin devant la Chine ! En 2023, en termes d’échanges commerciaux, la Tunisie a enregistré un excédent de 2900 millions d’euros avec l’Europe, alors qu’avec la Chine, elle a fait un solde négatif de -2480 millions d’euros. Et seulement 0,1% des exportations tunisiennes est destiné à la Chine, alors que 70,3% sont dirigées vers l’Europe.
Propos recueillis par Hédi Mechri et Mohamed Ali Ben Rejeb
Extrait du grand entretien qui est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 899 du 17 au 31 juillet 2024