Les dernières législatives en France étaient une vraie aubaine. Pour la démocratie française, certes, mais surtout pour l’intelligentsia tunisienne, ou ce qu’il en reste, qui, faute de mieux, a trouvé de quoi s’occuper. Elle qui n’avait plus rien à dire, a retrouvé, par on ne sait quel miracle, la verve et une fibre républicaine et démocratique quelque peu bafouée par les circonstances et le décret 54.
Tant mieux pour elle. Il fallait bien qu’elle trouve de quoi s’occuper. Ce serait même salutaire, par ces temps de marasme, qu’elle réussisse à trouver un soupçon de satisfaction dans la résurrection de la Gauche française. On pouvait même la partager, cette satisfaction, du fait que l’exercice a permis de barrer la route à l’extrême droite. C’est normal, dira-t-on. Ce qui l’est moins, par contre, c’est de la voir se torsionner, histoire de projeter la scène politique française, enracinée dans les traditions démocratiques, sur la scène politique tunisienne, encore grippée par une décennie noire, et le reste. La manœuvre devient même pathétique lorsqu’il s’agit de ceux-là mêmes qui ont tout fait pour saboter le Front populaire dans sa version tunisienne.
La logique voudrait que quand on n’a rien à dire, il vaut mieux se taire ou faire le gros dos. Le bon sens voudrait aussi que quand on se met nettement à côté de la plaque, on entame une autocritique, au moins pour espérer compter dans la balance de l’opinion commune. Il n’en est rien. L’intelligentsia tunisienne, notamment celle dite de Gauche, au nom de la légitimité historique du militantisme, que les nouvelles générations ignorent presque totale- ment, oublie que les titres de gloire donnent occasionnellement des noms de rues, mais pas vraiment du travail pour construire un avenir. « L’illusion est trompeuse, mais la réalité l’est bien davantage », disait Frédéric Dard, San Antonio pour les intimes. Il ne pensait pas mieux dire.
La réalité, on la connait aujourd’hui. Tous ces généraux de Gauche qui promettaient, au lendemain de la révolution, de gagner la guerre, l’ont tous perdue. Ils étaient, comme qui dirait, des divisions blindées de théorie, avec des troupes en carton mâché, armées de pétards mouillés. Cela aura permis d’entre- tenir l’illusion d’un Front uni pendant un certain temps, sauf qu’on ne peut pas gravir l’échelle de l’histoire si on a déjà perdu les barreaux. L’histoire n’avance pas à reculons, mais c’est encore une idée de gauche, rentabilisée par d’autres.
Et en tout état de cause, on ne peut pas répondre aux enjeux de l’histoire qui se fait en s’en tenant aux grilles de lecture d’un passé fantasmé. La Gauche, toutes tendances confondues, en a déjà payé le prix et semble disparaître irrémédiablement juste au moment où ses figures les plus en vue croyaient que la révolution avait été faite sur mesure pour elles. La Gauche s’est toujours considérée du côté du petit peuple, à cette réserve de taille que le peuple en question ne vote pas pour elle. Le constat est amer, encore faut-il repasser par la case départ et tenter de savoir qui est le peuple en question et pourquoi il se réfugie dans sa majorité dans l’abstention ou le retour à des certitudes idéalisées par le désespoir du moment.
Tout cela, il fallait le dire, même s’il est, comme on dit, indécent de tirer sur une ambulance. Et après tout, pour être gauche, il n’y a pas que la Gauche. En termes d’impair, les exemples ne manquent pas. Il suffit de suivre le discours des candidats à la présidentielle qui pullulent un peu partout pour s’en persuader. Ce n’est pas une mauvaise chose qu’il y en ait autant. Se porter candidat est un droit constitutionnel et un signe que la démocratie se porte bien, sauf qu’à les entendre, s’ils parlent bien sûr, on a comme une certitude qu’il y a une crise persistante en termes de communication. L’omniprésence des réseaux sociaux a fait croire que tout un chacun pouvait « fabriquer » l’opinion publique. C’est peut-être vrai ; il n’empêche que c’est vraiment gauche.
Le mot de la fin est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 899 du 17 au 31 juillet 2024