La Libye, riche en ressources naturelles et dotée d’une position stratégique en Méditerranée, demeure embourbée dans une instabilité politique chronique.
Depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, le pays est divisé entre le gouvernement de stabilité nationale (GSN) dirigé par Khalifa Haftar à l’Est, et le gouvernement d’unité nationale (GUN) dirigé par Abdulhamid Dbaiba à l’Ouest.
Cette division géopolitique complique non seulement la situation intérieure de la Libye mais a également des répercussions considérables sur son voisin, la Tunisie.
Une instabilité politique persistante
Le paysage politique libyen reste fragmenté, malgré les efforts internationaux pour instaurer un cessez-le-feu et promouvoir une réconciliation nationale.
Les milices locales, aux loyautés diverses, contrôlent de larges pans du territoire, rendant difficile la gouvernance unifiée.
Cette fragmentation politique est exacerbée par des influences étrangères, chaque camp étant soutenu par différentes puissances régionales.
Le Fonds monétaire international (FMI) a récemment qualifié la Libye d’« État fragile, prisonnier de l’incertitude politique ». Les épisodes de violence se sont certes raréfiés, mais le pays demeure de facto divisé entre l’Est et l’Ouest, ce qui empêche toute stabilité durable et entrave les efforts de reconstruction.
Répercussions économiques et sécuritaires pour la Tunisie
La Tunisie, partageant une longue frontière avec la Libye, est directement affectée par cette instabilité.
L’économie tunisienne souffre particulièrement de l’exclusion de ses entreprises des juteux contrats de reconstruction en Libye, estimés à 1,8 milliard de dollars.
Les entreprises turques et égyptiennes, soutenues par leurs gouvernements respectifs, dominent ces marchés, laissant la Tunisie en marge.
Par ailleurs, la situation sécuritaire à la frontière est préoccupante. La Tunisie doit faire face à un afflux de migrants irréguliers transitant par la Libye, ce qui exerce une pression sur ses ressources déjà limitées.
Cette crise migratoire, exacerbée par la tolérance de passages clandestins par les autorités libyennes de l’ouest, pose des défis humanitaires et sécuritaires majeurs pour la Tunisie.
La question des impayés libyens
La dette libyenne envers la Tunisie, qui s’élève à environ 150 millions de dollars, constitue un autre point de friction entre les deux pays. Cette somme, souvent appelée « dette hospitalière », demeure impayée malgré les promesses du gouvernement d’unité nationale libyen.
L’incapacité du gouvernement tunisien à récupérer ces fonds, dus pour des services rendus par des entreprises tunisiennes, exacerbe les tensions économiques. Cette situation nuit à la confiance mutuelle et complique la coopération future entre la Tunisie et la Libye.
La Tunisie exclue
Pour autant, la Tunisie est exclue du programme de reconstruction en Libye.
Malgré les incertitudes politiques qui pèsent sur la Libye, le pays a lancé un ambitieux programme de reconstruction après les ravages causés par la guerre civile et les inondations de septembre 2023.
Estimé à 1,8 milliard de dollars, ce programme exclut, a priori, les entreprises tunisiennes, privilégiant les sociétés turques et égyptiennes.
Parmi les premières bénéficiaires, la société turque « TGG Construction » a décroché des contrats pour la construction de trois tours à Benghazi, visant à transformer la ville en une grande métropole méditerranéenne.
De leur côté, les entreprises égyptiennes « Arab Contractors » et « Néom » ont obtenu des projets de reconstruction à Derna et Jabal Al Akhdar, deux régions gravement touchées par les inondations.
Cette mise à l’écart des entreprises tunisiennes pourrait être liée à la neutralité que la Tunisie a maintenue dans le conflit inter-libyen, qui oppose le gouvernement de stabilité nationale (GSN) de Khalifa Haftar, basé à l’est du pays, et le gouvernement d’unité nationale (GUN) de Abdulhamid Dbaiba, reconnu internationalement et basé à Tripoli, à l’ouest.
Bien que la Tunisie ait apporté une aide précieuse aux Libyens pendant la crise de 2011, notamment en accueillant plus d’un million de réfugiés, elle est aujourd’hui exclue des opportunités économiques en Libye.
En outre, elle doit faire face à un flux croissant de migrants irréguliers traversant ses frontières depuis la Libye, sans recevoir une aide suffisante pour gérer cette situation.
Besoin d’une nouvelle stratégie
Pour la Tunisie, il devient impératif de réévaluer et de redéfinir sa politique envers la Libye. Une nouvelle approche stratégique pourrait non seulement permettre de tirer parti des richesses libyennes mais aussi contribuer à la stabilisation régionale.
Cette stratégie devrait inclure des efforts diplomatiques renforcés pour récupérer les impayés, une coopération sécuritaire accrue pour gérer les flux migratoires et une politique économique proactive pour intégrer les entreprises tunisiennes dans les projets de reconstruction libyens.
En somme, les incertitudes politiques en Libye représentent à la fois un défi et une opportunité pour la Tunisie. Une réponse stratégique et coordonnée pourrait transformer ces défis en leviers de développement et de stabilisation pour les deux nations.
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Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)