Le sage chinois Lao Tseu disait : « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour. Si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours ». Cette maxime met l’accent sur l’importance de l’autonomie et de la compétence. En Tunisie, cette philosophie peut être appliquée à l’économie en encourageant la formation et le développement des compétences pour créer des emplois durables.
Moez Soussi, professeur en sciences économiques, chercheur universitaire et expert en économie du travail et en développement régional, dresse un état des lieux de l’importance du dialogue économique inclusif pour surmonter la crise actuelle entre autres.
Interview.
Comment l’évolution des indicateurs économiques récents, notamment l’inflation, le taux de change, le dinar, impacte-t-elle le pouvoir d’achat des Tunisiens ?
Moez Soussi : Nous savons tous qu’en Tunisie, depuis la période post-Covid (de 2021 à 2023 et actuellement), le taux d’inflation, mesuré par l’indice général des prix à la consommation, a systématiquement dépassé de plus de trois points de pourcentage le taux d’augmentation des revenus nominaux. En d’autres termes, l’augmentation des prix a toujours été plus rapide que celle des revenus, entraînant ainsi une détérioration du pouvoir d’achat.
Actuellement, l’inflation est de 7,3 % selon les derniers chiffres publiés par l’INS en juin 2024. Bien que nous ayons entamé une période de désinflation depuis mars 2023, où la hausse des prix ralentit, cette tendance n’est pas suffisante pour améliorer le pouvoir d’achat des Tunisiens. Autrement dit, l’effet négatif sur le pouvoir d’achat persiste.
Concernant la valeur du dinar par rapport aux devises internationales, notre monnaie se déprécie légèrement par rapport au dollar et à l’euro, avec un glissement de change d’environ 5-6 % par an. Cette dépréciation entraîne un renchérissement des produits importés et aggrave l’importation de l’inflation. Bien que la contribution de l’inflation importée ne soit pas majeure, elle joue un rôle dans l’augmentation générale des prix.
En outre, la dépréciation du dinar renchérit le coût de la dette extérieure. Étant donné que 90 % de la dette de la Tunisie est publique, une dépréciation du dinar augmente le montant à rembourser en devises étrangères. Ce qui limite les possibilités d’investissement public. Moins d’investissement conduit à une baisse de la production et de la productivité, aggravant par ricochet l’inflation.
Selon vous, que faut-il faire pour stimuler la création d’emplois dans les secteurs publics et privés et s’adapter aux besoins des entreprises ?
Il est crucial de se concentrer sur la croissance économique et l’amélioration de la productivité. Selon la loi d’Okun, pour chaque 1 % d’augmentation de l’emploi, il faut une croissance de 3 % du PIB et une amélioration de 2 % de la productivité.
En Tunisie, un problème majeur concerne le déficit de formation. Les compétences disponibles sur le marché du travail ne correspondent pas aux besoins des entreprises. Environ 83 % du chômage est structurel, avec 50 % de ce chômage dus à une inadéquation de la formation. Les autres facteurs incluent l’âge, le genre et les disparités régionales.
Dans un premier temps, le facteur d’âge prouve que les emplois offerts sont souvent destinés aux personnes plus âgées. Tandis que les jeunes, qui constituent la majorité des demandeurs d’emploi, sont sous-représentés.
Dans un deuxième temps, le facteur de formation a souligné qu’une grande partie du chômage structurel est due à une inadéquation entre les compétences des demandeurs d’emploi et les exigences des postes disponibles. Suivi du facteur de genre, où les femmes, malgré leur faible taux d’activité, rencontrent un taux de chômage beaucoup plus élevé que les hommes.
Enfin, le facteur régional : les disparités régionales ont été exacerbées par les politiques de discrimination positive, avec des taux de chômage plus élevés dans les bassins d’emploi traditionnels comme le Grand Tunis.
Quelle serait l’importance d’un dialogue économique inclusif pour surmonter la crise actuelle ?
Il est impératif de créer un espace de dialogue qui fédère tous les acteurs économiques et sociaux. Les politiques économiques doivent être acceptées et soutenues par tous les partenaires sociaux (patronat, les syndicats et autres unions).
L’absence de dialogue et d’appropriation des réformes peut entraîner des résistances et des conflits. Un partenariat public-privé est essentiel pour produire de la richesse et avancer dans les réformes nécessaires.
Et quels seraient les axes prioritaires, justement, pour établir ce modèle économique développable ?
La gestion de l’eau est essentielle pour l’agriculture et le bien-être des citoyens. Il est urgent d’améliorer l’approvisionnement en ressources hydrauliques, tant pour l’eau potable que pour l’irrigation.
Par ailleurs, le déficit commercial est fortement lié à l’énergie. Il est donc crucial de rattraper le retard en matière de mix énergétique et de travailler sur l’autonomisation énergétique pour réduire la dépendance extérieure.
Ces priorités, si elles sont correctement adressées, peuvent avoir des effets d’entraînement positifs sur l’économie tunisienne.