Le 31 juillet 2024, le Conseil d’administration de la Banque centrale de Tunisie a décidé de maintenir le taux directeur inchangé à 8%.
Cette décision intervient après avoir examiné les développements économiques et financiers, tant au niveau national qu’international, ainsi que l’évolution du secteur bancaire en 2023 et au premier semestre 2024.
Le contexte.
En termes d’inflation, une légère hausse a été constatée en juin 2024, atteignant 7,3% contre 7,2% en mai, principalement due à l’augmentation des prix des produits alimentaires frais. Cependant, l’inflation sous-jacente, excluant les produits alimentaires frais et les produits à prix administrés, a continué de diminuer.
Concernant le secteur extérieur, le déficit courant s’est réduit à -1,4% du PIB au premier semestre 2024, grâce à la diminution du déficit commercial malgré la dégradation de la balance énergétique.
Les recettes touristiques et les revenus des travailleurs tunisiens à l’étranger ont également contribué à cette amélioration.
Le Conseil a exprimé des préoccupations quant au ralentissement des crédits à l’économie, affectant principalement les PME et les particuliers, mais a noté la progression des dépôts bancaires et l’amélioration de la liquidité. Le secteur bancaire a renforcé sa solidité financière, avec un ratio de solvabilité global dépassant 14%, et a continué à améliorer sa capacité à faire face aux risques.
Le Conseil a souligné l’importance de consolider le processus de désinflation et de préserver la stabilité macroéconomique et financière, tout en encourageant l’intégration des normes internationales et des pratiques de finance verte.
Les commentaires
L’analyse critique de ce communiqué met en lumière plusieurs points clés, tant positifs que préoccupants, concernant la situation économique et financière de la Tunisie, ainsi que les actions de la Banque centrale de Tunisie (BCT).
Les points positifs
Le premier point positif, le maintien du taux directeur : le maintien du taux directeur à 8% reflète une volonté de la BCT de poursuivre sa politique monétaire prudente, visant à contrôler l’inflation tout en préservant la stabilité financière. Cette décision est en ligne avec la modération récente de l’inflation sous-jacente, ce qui pourrait indiquer une certaine efficacité des mesures monétaires en place.
Le maintien du taux directeur à 8% reflète une volonté de la BCT de poursuivre sa politique monétaire prudente, visant à contrôler l’inflation tout en préservant la stabilité financière.
Le deuxième point positif, la réduction du déficit courant : la contraction du déficit courant, passant à -1,4% du PIB au premier semestre 2024, est un développement positif. Cette amélioration, attribuée à une réduction du déficit commercial et à l’augmentation des recettes touristiques et des transferts des travailleurs à l’étranger, renforce la position extérieure de la Tunisie.
Le troisième point positif, la solidité financière du secteur bancaire : l’amélioration du ratio de solvabilité global du secteur bancaire, dépassant 14%, montre un renforcement de la résilience des banques tunisiennes face aux risques, ce qui est crucial pour la stabilité financière du pays.
Le quatrième point positif, la mobilisation des dépôts : la progression continue des dépôts bancaires, soutenue par des taux de rémunération de l’épargne attractifs, indique une confiance soutenue des déposants dans le système bancaire tunisien, contribuant à améliorer la liquidité globale.
Les points préoccupants
Le premier point préoccupant, la hausse de l’inflation des produits alimentaires frais : bien que l’inflation sous-jacente ait diminué, la hausse de l’inflation globale à 7,3% en juin 2024, due principalement aux prix des produits alimentaires frais, reste préoccupante. Cela pourrait indiquer des pressions inflationnistes persistantes sur des biens de consommation essentiels, affectant particulièrement les ménages à revenu faible ou moyen.
Bien que l’inflation sous-jacente ait diminué, la hausse de l’inflation globale à 7,3% en juin 2024, due principalement aux prix des produits alimentaires frais, reste préoccupante.
Le deuxième point préoccupant, le ralentissement des crédits à l’économie : le ralentissement des crédits aux PME et aux particuliers est un signal d’alerte. Ce phénomène pourrait refléter une frilosité des banques à prêter dans un contexte économique incertain, ce qui pourrait freiner la croissance économique, en particulier pour les petites entreprises qui dépendent fortement de l’accès au crédit.
Le troisième point préoccupant, la dégradation de la balance énergétique : malgré une réduction du déficit commercial global, la dégradation de la balance énergétique, avec un déficit important, souligne la vulnérabilité de la Tunisie aux fluctuations des prix de l’énergie et à sa dépendance vis-à-vis des importations énergétiques. Cette situation pourrait limiter les bénéfices des améliorations dans d’autres secteurs du commerce extérieur.
Le quatrième point préoccupant, les défis structurels non résolus : le communiqué fait référence à la nécessité d’adapter le cadre prudentiel aux standards internationaux et d’intégrer la finance verte, mais ces initiatives semblent encore en phase de planification.
Les retards dans la mise en œuvre de ces réformes structurelles pourraient compromettre la capacité du secteur bancaire à répondre aux défis futurs, notamment ceux liés au changement climatique.
Enfin, le communiqué de la Banque centrale de Tunisie met en avant plusieurs aspects positifs, notamment en matière de stabilité financière et de réduction du déficit courant. Cependant, il révèle également des défis persistants, notamment une inflation toujours élevée pour certains produits essentiels, un ralentissement préoccupant du crédit, et une balance énergétique déficitaire. Ces éléments soulignent la nécessité pour la Tunisie de poursuivre des réformes structurelles profondes pour assurer une croissance économique durable tout en maîtrisant les risques financiers.
Les perspectives à court et à moyen terme de l’économie tunisienne
L’économie tunisienne se trouve à un tournant critique, marqué par des évolutions positives mais aussi par des défis structurels persistants. Le récent communiqué de la Banque centrale de Tunisie met en lumière des éléments clés qui définiront les perspectives économiques à court et moyen terme du pays.
Les éléments positifs : stabilité financière et réduction du déficit courant
À court terme, la Tunisie bénéficie de plusieurs facteurs favorables
Le maintien du taux directeur à 8% par la BCT indique une politique monétaire prudente, visant à contenir l’inflation tout en maintenant la stabilité financière. Cette décision est d’autant plus importante que l’inflation sous-jacente, excluant les produits alimentaires frais et les produits à prix administrés, a montré des signes de modération.
De plus, la réduction significative du déficit courant, qui est passé à -1,4% du PIB au premier semestre 2024, est un signe encourageant. Cette amélioration est en grande partie due à une réduction du déficit commercial et à une augmentation des recettes touristiques et des transferts des travailleurs tunisiens à l’étranger.
Ces éléments renforcent la position extérieure de la Tunisie, améliorant ainsi sa résilience face aux chocs économiques externes.
La solidité financière du secteur bancaire, avec un ratio de solvabilité global dépassant 14%, constitue un autre atout.
Les efforts pour renforcer les dépôts bancaires, soutenus par des taux de rémunération attractifs, ont également contribué à une meilleure liquidité, offrant un coussin de sécurité contre d’éventuelles perturbations financières.
Ces éléments renforcent la position extérieure de la Tunisie, améliorant ainsi sa résilience face aux chocs économiques externes. La solidité financière du secteur bancaire, avec un ratio de solvabilité global dépassant 14%, constitue un autre atout.
Les défis persistants : inflation alimentaire et ralentissement du crédit
Cependant, à moyen terme, des défis importants subsistent.
L’inflation, bien que modérée dans certains secteurs, reste élevée pour les produits alimentaires frais, atteignant 7,3% en juin 2024. Cette situation pèse lourdement sur les ménages tunisiens, en particulier ceux à revenu faible ou moyen, et pourrait limiter la consommation domestique, un moteur clé de la croissance économique.
Le ralentissement des crédits à l’économie, notamment pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les particuliers, est également préoccupant. Ce phénomène pourrait être un indicateur de frilosité des banques face à un environnement économique incertain.
À long terme, ce manque de crédit pourrait freiner l’investissement et l’innovation, limitant ainsi les perspectives de croissance économique.
En outre, la dégradation continue de la balance énergétique, avec un déficit important, souligne la vulnérabilité de la Tunisie face aux fluctuations des prix de l’énergie. Cette situation est exacerbée par la dépendance du pays aux importations énergétiques, ce qui pourrait annuler les bénéfices des améliorations observées dans d’autres secteurs du commerce extérieur.
Les réformes structurelles : une nécessité urgente
Pour assurer une croissance économique durable, la Tunisie devra impérativement accélérer la mise en œuvre de réformes structurelles.
Le communiqué de la BCT fait état de la nécessité d’adapter le cadre prudentiel aux standards internationaux et d’intégrer la finance verte.
Toutefois, ces initiatives semblent encore en phase de planification, ce qui risque de retarder leur impact positif sur l’économie.
L’intégration de la dimension environnementale dans la gouvernance et les pratiques de financement bancaire est cruciale pour faire face aux défis du changement climatique.
Sans des mesures proactives, la Tunisie pourrait se retrouver mal préparée à affronter les conséquences économiques de la crise climatique, ce qui affecterait la stabilité à long terme du pays.
En définitive, la Tunisie navigue entre opportunités et défis
Les perspectives économiques de la Tunisie à court et moyen terme sont donc partagées entre des opportunités de stabilisation financière et des défis structurels persistants. Si la réduction du déficit courant et la solidité financière des banques offrent une certaine stabilité, l’inflation élevée et le ralentissement du crédit posent des risques pour la croissance future.
La clé du succès résidera dans la capacité de la Tunisie à mettre en œuvre des réformes structurelles en temps opportun, tout en maintenant une politique monétaire prudente.
Seule une approche intégrée et proactive permettra de relever les défis actuels tout en saisissant les opportunités pour assurer une croissance économique durable et inclusive.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)