En Tunisie, le débat entre rigueur et austérité est plus pertinent que jamais. Alors que le pays continue de faire face à des défis économiques majeurs, la distinction entre ces deux approches pourrait bien déterminer son avenir.
Comme le disait un économiste : « Si l’austérité est un mal, la rigueur est une vertu ». Mais qu’en est-il vraiment dans le contexte actuel tunisien ?
Entre croissance et austérité : trouver le juste équilibre
La rigueur, en théorie, se positionne entre les mesures favorisant la croissance et celles relevant de l’austérité. Elle combine des éléments des deux extrémités du spectre économique, par exemple en proposant une réduction des cotisations sociales pour les entreprises, compensée par une diminution des dépenses publiques.
Cependant, dans la pratique, cette approche peut s’avérer plus complexe. Le gouvernement tunisien est confronté à une réalité économique difficile. Depuis plusieurs années, la Tunisie est sous pression pour réformer ses finances publiques, tout en tentant de stimuler une croissance économique anémique. Les discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) ont souvent mis en avant la nécessité de réduire les dépenses publiques, y compris les subventions sur les produits de base, pour assainir les finances publiques. Cependant, ces mesures d’austérité risquent d’accentuer les tensions sociales, déjà exacerbées par un taux de chômage élevé et une inflation galopante.
Une gestion rigoureuse, mais à quel prix ?
Il y a quelques années, les dirigeants tunisiens évitaient de parler ouvertement d’austérité, préférant utiliser des termes comme « gestion rigoureuse ». Cette approche, visant à réduire l’endettement tout en évitant les coupes drastiques dans les prestations sociales, ressemble à un exercice d’équilibriste. Mais dans un pays où les inégalités sont croissantes et où la pauvreté reste une réalité pour une large partie de la population, la frontière entre rigueur et austérité devient floue.
En Tunisie, la rigueur a souvent été associée à des politiques de réduction des déficits budgétaires sans pour autant sacrifier complètement les filets de sécurité sociale. Cependant, l’efficacité de cette approche reste discutée.
Si la rigueur vise à maintenir un équilibre budgétaire tout en permettant une certaine relance économique, il est important de se demander si cela est vraiment réalisable dans le contexte tunisien, où les marges de manœuvre sont limitées.
La Tunisie à la croisée des chemins
Face à une crise économique persistante, deux options s’offrent à la Tunisie : l’austérité ou la relance économique par l’endettement. Traditionnellement, le débat entre ces deux approches recoupe l’axe politique, avec une « droite » plus encline à l’austérité et une « gauche » favorable à la relance par la dépense publique.
Mais en Tunisie, ce clivage est de moins en moins marqué. Les réformes structurelles exigées par le FMI, par exemple, préconisent des coupes dans les subventions et une réforme de la fonction publique, mesures qui sont perçues comme austères par une partie de la population. Cependant, ces réformes sont souvent présentées comme indispensables pour stabiliser l’économie tunisienne et restaurer la confiance des investisseurs internationaux.
La contrainte budgétaire et les défis de l’austérité
La Tunisie, tout comme d’autres pays de la région, se trouve dans une situation où le choix de l’endettement est de plus en plus limité. Les partenaires internationaux, y compris l’Union européenne, surveillent de près les déficits publics tunisiens, exigeant une gestion budgétaire stricte.
Pour autant, la Tunisie n’a pas encore adopté une politique d’austérité comparable à celle des pays européens comme la Grèce ou l’Espagne, qui ont été contraints de mettre en œuvre des réformes économiques profondes et douloureuses pour répondre aux exigences de leurs créanciers.
La Tunisie a plutôt opté pour une politique qui pourrait être qualifiée de « rigueur mesurée ».
Cette approche tente de concilier la nécessité de réduire le déficit public avec la volonté de ne pas asphyxier l’économie. Cependant, les résultats sont mitigés. L’économie tunisienne reste fragile, avec une croissance lente, un taux de chômage élevé, et une inflation qui pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des Tunisiens.
Vers une stratégie de « ri-lance » pour la Tunisie ?
Comme dans d’autres pays, la solution pour la Tunisie pourrait résider dans un dosage subtil entre rigueur et relance, une approche parfois qualifiée de « ri-lance ». Cela impliquerait de mettre en œuvre des réformes économiques pour stabiliser les finances publiques, tout en investissant dans des secteurs clés pour stimuler la croissance et réduire le chômage.
Cependant, ce chemin est étroit et semé d’embûches. Les défis pour la Tunisie sont nombreux : comment réduire les dépenses publiques sans provoquer de nouvelles tensions sociales ? Comment encourager l’investissement dans un climat d’incertitude économique ? Et surtout, comment relancer une économie tout en respectant les engagements internationaux de réduction des déficits ?
En définitive, la Tunisie est à un moment critique de son histoire économique.
Le choix entre rigueur et austérité, ou plutôt entre rigueur et relance, n’est pas simplement une question de sémantique, mais une décision qui aura des conséquences profondes pour l’avenir du pays.
Les pouvoirs publics tunisiens devront faire preuve de clairvoyance et de courage pour naviguer dans ces eaux troubles, tout en gardant à l’esprit l’importance de préserver la cohésion sociale et de soutenir les plus vulnérables dans cette période de transition économique.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)