Il y a soixante-dix-neuf ans, le 6 août 1945 à 8h15 du matin, une bombe nucléaire à base d’uranium fut lancée sur la ville japonaise d’Hiroshima. Trois jours plus tard, le 9 août à 11h02 du matin, une autre bombe, à base de plutonium cette fois, fut lancée sur la ville de Nagasaki.
Les deux bombes de destruction massive avaient massivement détruit les deux villes japonaises, provoqué la mort instantanée de quelque 200 000 personnes et condamné plusieurs dizaines de milliers d’autres à une mort lente précédée de souffrances insoutenables.
Le principal responsable, en tant que décideur, de cette destruction massive de vies humaines est le président américain Harry Truman. Face au cataclysme que sa décision d’utiliser l’« arme absolue » avait provoqué, il était normal que Truman cherchât des raisons pour se justifier face à son peuple, face à la communauté internationale et face à sa conscience.
Son argument était que les deux bombes avaient permis de sauver « 500 000 » soldats américains qui auraient perdu la vie si l’invasion de l’île japonaise de Kyushu avait eu lieu comme c’était prévu en décembre 1945.
Mais Truman avait donné l’impression qu’il avait agi aussi par esprit de vengeance en faisant cette réponse à un homme d’Église qui critiquait sa décision: « Personne n’est plus troublé que moi par l’utilisation de la bombe atomique, mais je suis profondément troublé par l’attaque injustifiée par les Japonais contre Pearl Harbour et le massacre de nos prisonniers de guerre. Le seul langage qu’ils semblent comprendre est celui que nous avons utilisé en les bombardant ».
Ces deux arguments sont peu convaincants. Commençons par le second par lequel Truman a dévoilé son désir de vengeance. Le 7 décembre 1941, les Japonais étaient en guerre contre les États-Unis. Ce jour-là, ils avaient attaqué par surprise la base navale américaine de Pearl Harbour dans l’île de Hawaï, détruisant plusieurs navires US et tuant plusieurs soldats. Pearl Harbour était une cible militaire et, dans les conflits armés, ce genre d’attaque est banal et ne constitue pas un crime de guerre.
En revanche, les attaques américaines sur le sol japonais avaient pris pour cibles essentiellement les concentrations de civils. Tokyo, qui était déjà une mégapole, avait subi des bombardements intensifs engendrant de larges destructions et la mort de centaines de milliers d’habitants sous les décombres.
Puis vinrent les deux bombes atomiques qui avaient pris pour cibles aussi les concentrations de populations civiles. La vengeance n’a pas de sens dans ces conditions parce qu’aucune loi, aucune règle morale, aucune logique ne permet de se venger contre des centaines de milliers de civils d’une simple attaque contre une cible militaire en temps de guerre.
L’argument consistant à épargner la vie d’un demi-million de soldats américains n’est pas plus convaincant. L’idée d’abréger la guerre en rasant deux villes de plusieurs centaines de milliers d’habitants ne tient pas la route parce que le Japon était à bout de forces, se savait défait et cherchait un arrêt des hostilités dans un cadre qui ne fût pas trop humiliant et surtout qui ne s’attaquât pas à ce qu’il avait de plus sacré : l’institution impériale.
Le « jusqu’au-boutisme » de certains généraux japonais, dont le général Hideki Tojo, s’expliquait plus par l’exigence des alliés d’une « capitulation inconditionnelle » que par le « patriotisme excessif » ou le « fanatisme militaire » qu’on leur attribuait.
Les généraux japonais étaient terrorisés à l’idée d’une destruction de l’institution impériale, du jugement et peut-être même l’exécution de l’empereur Hiro-Hito. C’était une terreur religieuse si l’on peut dire, car, pour les Japonais, Hiro-Hito n’est pas d’essence humaine, mais divine. Il a une relation parentale avec le dieu Soleil, relation certifiée pour ainsi dire par le principal symbole du Japon : le drapeau.
Pour des intellectuels américains, comme G.E.M. Anscombe, « c’est l’insistance sur la capitulation inconditionnelle qui est à l’origine de tout le mal ». En d’autres termes, si les États-Unis avaient donné l’assurance au Japon que son empereur ne serait pas jugé et condamné, les soldats n’auraient eu aucune raison d’adopter le comportement suicidaire de l’été 1945. Mais il faut se rendre à l’évidence que le lancement de deux bombes atomiques sur le Japon en l’espace de trois jours avait d’autres raisons inavouables.
Le lobby des scientifiques et des militaires, pour des raisons évidentes, ne voulait pas rater l’occasion pour tester ses bombes en grandeur nature et sur des cibles réelles. Il avait poussé dans cette direction et avait réussi à arracher le feu vert à Truman. Le 6 août 1945, une bombe à base d’uranium était lancée sur Hiroshima, et le 9 une bombe à base de plutonium sur Nagasaki. Les effets dévastateurs sur les êtres humains, les animaux, les infrastructures et les bâtiments étaient observés à la loupe et soumis à une étude comparative pour savoir si l’uranium est plus « efficace » que le plutonium ou le contraire…
Une autre raison avancée par les historiens est d’ordre géopolitique. Les troupes soviétiques, qui avaient participé à l’écrasement de l’Allemagne nazie, avaient soumis une bonne partie de l’Europe de l’Est à l’occupation. Staline avait ensuite entrepris un mouvement de troupes en direction de l’Extrême-Orient, afin d’être là au moment de la capitulation du Japon et de partager le gâteau avec les Américains.
Pour ceux-ci, il était de la plus haute importance que le Japon capitulât avant l’arrivée des troupes soviétiques afin d’éviter sa partition entre un Japon du nord communiste et un autre du sud capitaliste, comme ce fut le cas entre l’est et l’ouest de l’Allemagne.
Soixante-dix-neuf ans après, la majorité des Américains ignorent toujours les vraies raisons et s’accrochent à l’idée fallacieuse que les deux bombes avaient sauvé des centaines de milliers de vies américaines. L’un des derniers sondages d’opinion, commandé par l’université du Connecticut, montre que 61% des Américains approuvent le largage des deux bombes sur Hiroshima et Nagasaki…