L’information concerne quelques centaines de milliers de Tunisiens. Il s’agit de l’augmentation de 7% du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) dans le secteur privé pour les travailleurs actifs à partir du 1er juillet 2024, avec effet rétroactif au 1er mai 2024. Une seconde augmentation de 7,5% est prévue à partir du 1er janvier 2025. Mieux encore, cette augmentation entraînera automatiquement une augmentation des pensions de retraite dans le secteur privé, avec les mêmes conditions et dans les mêmes dates.
Il le fallait bien, le SMIG en Tunisie est l’un des plus bas dans le monde. Tant mieux pour nous tous, sauf qu’il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’il est illusoire d’aligner les chiffres des «améliorations » salariales, quand les gains obtenus sont très rapidement rattrapés par les surenchères commerciales et la valse des étiquettes. Le couffin de la ménagère et le portefeuille du contribuable résument assez bien ce réel incontournable, et tous les chiffres abscons des courbes n’y changent pas grand-chose. Quand la tomate est hors de prix, il est prévisible que le commun des consommateurs se mette à voir rouge. Le même rouge de son compte en banque.
On sait depuis toujours que la réalité a la peau beaucoup plus dure que toutes les fictions. Les administrations chargées des équilibres financiers généraux le savent très bien. Elles savent qu’il ne suffit pas de préparer les meilleures formules pour redonner du jus à l’entreprise nationale. La descente aux enfers de l’économie nationale biaise les meilleurs calculs et additionne les déboires. Les chiffres qu’on nous distribue à volonté sur les rentrées en devises des TRE, du tourisme ou de la vente de l’huile d’olive ne sont là que pour amuser la galerie. Les caisses de l’Etat en savent quelque chose. C’est l’Institut national de la statistique qui nous le dit. Ce qu’on ne dit pas, par contre, c’est qu’avec presque zéro pour cent de croissance pour le deuxième trimestre consécutif, on peut techniquement parler de récession.
A l’opposé, les statistiques de l’institut en question continuent de faire le décompte des départs de jeunes diplômés et de compétences avérées à l’étranger. Le chiffre dépasse les dizaines de milliers, ceux des Tunisiens qui trouvent que les chances de réussite se réduisent tellement chez nous que la première occasion d’aller voir ailleurs est forcément la bonne. L’attrait du mieux-être, en particulier financier, joue bien entendu un rôle crucial. Il n’en demeure pas moins que les avancées démocratiques posent désormais question quant à la dimension économique du bien-être individuel. Et comme il faut bien ajouter au nombre tous ceux qui optent pour les départs clandestins et périlleux, on se rend compte que les chiffres peuvent se lire à l’envers.
Il y aura toutefois un chiffre qu’il faudra lire à l’endroit. Le chiffre 900, qui est le nombre des parutions de l’Economiste Maghrébin, et il y a de quoi s’en targuer. Il fallait le faire et continuer à le faire, sachant que les sentiers n’étaient pas toujours pavés de bonnes intentions. De la pensée unique au décret 54, on ne chiffre plus les obstacles que les médias, notamment la presse écrite, ont dû traverser. Ajouter à cela le manque de liquidités, réussir à se tenir à flot est, en soi, un exploit.
En journalisme tout particulièrement, la qualité n’amène plus les foules. Ce n’est pas propre à la Tunisie, mais c’est probablement encore plus insidieux dans une démocratie encore très fragile. Et c’est peut-être pour cela qu’il faut résister. Il faut bien qu’il y ait des repères au moment où se fabriquent des modèles de prêt-à-penser ! Et là, on ne chiffre plus les cas.
Ce mot de la fin est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n 900 du 31 juillet au 28 août 2024