La bureaucratie, la technocratie et, dans une certaine mesure, la « tuniso-cratie » prennent lentement conscience de l’urgence extrême de la situation socioéconomique du pays. Alors que les débats se sont éternisés pendant de nombreux mois sur ce que le gouvernement ne devait pas, ni ne pouvait entreprendre, ils s’orientent aujourd’hui vers des solutions possibles pour pallier les maux endémiques de la Tunisie. Il a fallu que la crise économique s’aggrave pour que les autorités accélèrent leur réponse apathique vers un mécanisme de sauvetage plus conséquent, évoquant des chiffres qui pourraient atteindre des niveaux sans précédent dans l’histoire moderne du pays.
Les principaux acteurs économiques tunisiens, y compris les partenaires internationaux, se résignent donc lentement – mais sûrement, semble-t-il – à des concessions substantielles, signe qu’ils comprennent enfin que la survie économique de la Tunisie dépend d’une réforme profonde et d’une plus grande intégration régionale.
À cet égard, les récentes « mises à l’écart » au sein des cercles dirigeants, bien que mal accueillies par une partie de la société civile, pourraient en réalité être salutaires, car elles marquent une rupture avec l’immobilisme qui caractérisait la gestion du pays. Cela montre également le renoncement des tenants de la ligne dure qui refusait tout compromis, y compris avec les institutions financières internationales comme le FMI, pourtant essentielles pour éviter l’effondrement.
En fait, le ton de plus en plus critique à l’égard de ces « dirigeants » laissait présager de leur incapacité à convaincre les autorités internationales, ce qui a conduit à une prise de conscience tardive mais nécessaire. La reconnaissance récente par certaines figures politiques influentes que la Tunisie ne pourrait pas se passer de l’aide extérieure a été perçue comme une admission tacite de la gravité de la situation.
« Cela montre également le renoncement des tenants de la ligne dure qui refusait tout compromis, y compris avec les institutions financières internationales comme le FMI, pourtant essentielles pour éviter l’effondrement ».
N’est-il pourtant pas déplorable que ce soit sous la menace d’une « faillite » nationale que cette reconnaissance émerge, illustrant une prise de conscience tardive que la Tunisie ne serait que la première victime d’une vague de crise qui pourrait toucher d’autres pays en difficulté si des mesures drastiques ne sont pas prises immédiatement ?
Pour autant, les autorités tunisiennes devront passer par un chemin semé d’embûches, notamment celui des ratifications parlementaires et de l’acceptation populaire des mesures d’austérité nécessaires pour stabiliser l’économie. C’est ainsi que l’ARP votera bientôt sur l’élargissement des prérogatives de certaines institutions financières tunisiennes, en vue de secourir les banques et de mettre en place un authentique mécanisme de stabilisation. De même, elle devra se prononcer sur des plans d’aide successifs, non seulement pour les secteurs sinistrés, tels que le tourisme et l’agriculture, mais aussi pour les zones marginalisées du pays, qui nécessiteront chacune un vote séparé après de multiples débats.
« Comment expliquer à l’élite dirigeante tunisienne qu’elle se fourvoie en s’entêtant dans un dogme d’austérité obsolète qui risque de précipiter le pays dans une spirale récessive? »
Des étapes similaires seront nécessaires dans l’ensemble du processus décisionnel, avec un risque de blocage à chaque niveau, notamment en raison de la méfiance croissante envers les institutions et les partis politiques. Autrement dit, même si les dirigeants tunisiens s’entendent et s’accordent enfin sur des réformes substantielles, l’incertitude régnera toujours quant à l’acceptation et à la mise en œuvre de ces mesures. Comment s’étonner, dans un tel contexte trouble, que la politique économique et sociale tunisienne soit systématiquement et éternellement à la traîne, semblant rater non pas une, mais deux ou trois vagues de réformes nécessaires pour éviter la catastrophe ?
En outre, la problématique majeure des exportations tunisiennes vers l’Europe et d’autres régions du monde persiste, alors même que le pays subit des pressions pour adopter une rigueur budgétaire généralisée, au lieu de plaider pour un rétablissement de la croissance via une relance de la demande. En effet, comment des entreprises tunisiennes, souvent fortement endettées, pourraient-elles espérer investir et créer des emplois dans une conjoncture aussi défavorable ? Comment lutter à armes égales sur les marchés internationaux alors que les seules exportations semblent pouvoir tirer le pays de son marasme, mais sans possibilité d’ajuster la monnaie pour promouvoir ces exportations ?
Enfin, comment expliquer à l’élite dirigeante tunisienne qu’elle se fourvoie en s’entêtant dans un dogme d’austérité obsolète qui risque de précipiter le pays dans une spirale récessive?
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
d’Economie Financière (IAEF-ONG)