Dans moins de deux mois, le pays sera définitivement fixé sur son avenir politique. Tout laisse à penser que le système politique actuel va se renforcer. En attendant la liste définitive des candidats à la magistrature suprême, que seule l’ISIE peut annoncer, et en raison de la tension politique qui est montée d’un cran, suite à la décision du tribunal d’interdire à vie à au moins cinq candidats potentiels d’être éligibles, décision que les différentes oppositions considèrent comme abusive mais qui fera date dans l’histoire déjà tourmentée de notre système judiciaire, il existe de moins en moins de suspense dans les résultats des prochaines élections. A moins d’un rebondissement de dernière minute. En politique, rappelons-nous, tout est possible.
L’élection présidentielle et après ?
La future élection présidentielle risque-t-elles de constituer un non-événement ? Ce risque est bel et bien réel, car un événement ne peut être considéré comme tel que s’il est le fruit d’une tension extrême entre candidats concurrents et que les joutes verbales et les campagnes médiatiques arrivent à faire bouger les lignes et créer des enjeux électoraux et politiques. Or, même si la campagne électorale n’a pas encore officiellement commencé, les réseaux sociaux se sont mis en branle pour aborder, non pas les questions cruciales relatives à l’avenir du pays, mais pour provoquer une guerre verbale sur les procédures et les lois mises en vigueur, particulièrement par l’Instance supérieure, chargée de conduire le processus qui s’est même octroyée le droit de contrôler les médias et les sanctionner si besoin est, en portant plainte selon l’article 54, devenu trop célèbre pour le présenter.
Ce n’est pas la première fois que la Tunisie assiste à des élections présidentielles sans enjeux, depuis l’Indépendance en dehors de celles de 2014. Pour des raisons différentes, les différents systèmes politiques faisaient en sorte que les gagnants soient connus d’avance, comme aussi par exemple les élections législatives de 2011. Tous les analystes savaient que l’Islam politique allait l’emporter par les urnes, en raison de la masse colossale d’argent qui a circulé et corrompu d’abord les électeurs et ensuite les élus. On connait la suite.
C’est vrai qu’il y avait une multitude de partis politiques créés de toute pièce, alors que les destouriens étaient exclus, par une loi scélérate, de participer au scrutin, pour aboutir à un système politique bâtard, qui n’est ni présidentiel ni parlementaire, et dont le principal patron et dirigeant n’avait aucun poste institutionnel comme en Iran. Actuellement on assiste à un retour en force d’un système présidentialiste, qui a réussi à concentrer tous les pouvoirs aux mains d’un seul homme, le président de la République, comme d’ailleurs le stipule la Constitution de 2022.
Une fois encore, la Tunisie risque de se trouver dans la même situation, ce qui signifie qu’elle n’est pas encore prête à instaurer une démocratie libérale, ce que confirme une multitude de faits et d’événements qui se sont produit ces quatorze dernières années. Le désintérêt par rapport à la chose politique n’en est en réalité qu’un signe, que dire des élections… L’on sait par expérience, que ce taux correspond approximativement au pacquage électoral du président de la République. D’où la possibilité de pronostiquer sur les résultants, chose que nous nous gardons de faire évidemment. Mais contrairement à certains, nous ne pensons pas que les choses continueront toujours comme ça.
Une victoire à la Pyrrhus, mais…
Pyrrhus est un roi grec ayant vécu au troisième siècle avant Jésus et ayant vaincu les Romains, sauf que le tribut de sa victoire fut trop coûteuse, ce qui lui a valu la ruine et la perte de son royaume. Au cas où la prochaine élection présidentielle n’arriverait pas à créer un sursaut électoral, une victoire peut s’apparenter à une victoire à la Pyrrhus. Car la situation politique risque de se dégrader, mais c’est surtout la situation économique qui menace de se détériorer rapidement, ce qui aura par conséquence un impact immédiat sur la situation sociale et la stabilité en général, ceci malgré les récentes augmentations du SMIG décidées par le président de la République. Car le pouvoir d’achat continue à se dégrader, et l’inflation augmenter substantiellement. Trop endettée, le pays continue malgré tout à payer ses dettes à temps, ce qui pénalise le gouvernement qui ne peut que mener une politique d’austérité et supprimer, quoique d’une façon détournée, les subventions aux matières de base. Il continue cependant à s’endetter encore plus, sans que pour autant il y ait une reprise nette de la croissance. On est loin du cercle vertueux, et l’on n’est sauvé que par l’apport des Tunisiens de l’étranger et du tourisme essentiellement.
Or partout dans le monde et quel que soit le système politique, seule une union des différentes forces et organisations sociales et politiques pour faire face à la crise est en mesure de juguler la situation en faisant « patienter » les citoyens, et en appliquant une politique d’austérité impopulaire, forcément. Or tout pousse à croire, qu’un tel programme est actuellement impossible, vu la situation politique caractérisée par une polarisation autour des extrêmes.
Le mot d’ordre lancé par le président de la République, à propos d’une « guerre de libération nationale » et la nécessaire lutte sans merci contre « les traîtres et les agents de l’étranger », ne fait qu’exacerber le conflit et ne laisse prévoir aucun compromis à l’horizon. Il avait même exhorté la directrice de la Radio nationale à aller dans ce sens, sans préciser comment. Le risque est grand donc que cette tension se prolonge après la présidentielle et la déclaration des résultats finaux.
Le pays est-il encore en mesure de supporter un telle division, alors qu’il a logiquement besoin de toutes ses forces pour remonter la pente ? Comme pour le Seigneur, les voies de la politique deviennent impénétrables !
Une situation internationale et régionale confuse
Le mois d’octobre, avec le déroulement des présidentielles américaines, sera décisif. Alors que les sondages désignaient Trump, vainqueur, contre Biden, voilà que la démission forcée de ce dernier de la course et l’émergence de K. Harris semble renverser la situation, qui devient plus confuse, notamment concernant la politique des affaires extérieures, sur au moins les deux questions clefs de l’Ukraine et de la guerre de Gaza. L’arrivée d’une démocrate aux affaires va nous ramener aux années Obama, où la doctrine était d’imposer la démocratie à l’américaine. Le dernier entretien de Harris avec KS il y a plus de deux ans, apparaissait à l’époque comme une ingérence dans nos affaires intérieures et qui fut suivi par plusieurs déclarations du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken. Ce qui avait à l’époque provoqué une réaction ferme des autorités tunisiennes. Mais jusqu’à l’investiture du nouveau président US, il ne faut pas s’attendre à des réactions, l’administration américaine, comme on le sait, serait occupée à réorganiser son département des Affaires étrangères.
Idem pour la France, ce partenaire de premier plan, politique et économique, et qui traverse une crise et une instabilité politiques jamais connues. Ce qui est sûr, c’est que la gauche sera aux affaires et le ministre des Affaires étrangères en sera issu, à notre avis. L’époque Macron est définitivement révolue et notre diplomatie doit savoir s’adapter à la nouvelle donne. C’est vrai que la diplomatie française subit des coups durs, notamment la dernière crise qu’on peut qualifier de grave avec l’Algérie, après des déclarations surprenantes du président français sur le Sahara Occidental. A moins de vouloir ouvrir tous les fronts à la fois, déjà que la France est en retrait stratégique dans l’Afrique subsaharienne et il ne lui reste à vrai dire que la Tunisie avec qui elle n’est pas en difficulté réellement. Il suffirait de savoir réchauffer ces relations.
Mais notre allié le plus proche, pour des raisons qu’on a souvent analysées, c’est bien l’Italie et surtout l’actuelle Première ministre, Georgina Meloni, qui déploie des trésors de savoir-faire diplomatique pour nous convaincre de bien garder ses frontières. Ce que la Tunisie officiellement refuse, mais pratiquement elle agit pour tenter de stopper l’immigration sauvage subsaharienne, ce qui est légitime et presque une demande populaire. La position qu’occupe l’Italie dans l’exécutif de l’Union européenne peut s’avérer utile pour négocier davantage plus de soutien financier et moins d’ingérence dans nos affaires intérieures.
Rappelons aussi que nous assistons à la montée des partis de l’extrême droite dans le Parlement de Strasbourg, ce qui aura un impact sur la politique européenne vis-à-vis des pays du sud de la Méditerranée.
Attendons la réaction de cette Union à l’élection présidentielle pour savoir à quoi s’en tenir. Elle ne tardera pas de tomber, surtout après l’annonce des résultats finaux.
Il est donc clair qu’il ne suffit pas pour quiconque de gagner les élections, il faudrait aussi se préparer à l’après scrutin. Tout dépendra des choix des programmes et des hommes. La Tunisie en a vu d’autres.