L’Institut National de la Statistique (INS) a récemment dévoilé les chiffres de l’inflation pour le mois de juillet 2024, indiquant une légère baisse à 7%, contre 7,3% en juin. Un communiqué qui est à l’origine de débats houleux.
Bien que cette évolution puisse sembler encourageante, une analyse critique plus approfondie est nécessaire pour comprendre les mécanismes sous-jacents et les implications pour l’économie tunisienne.
Cette baisse reflète-t-elle un véritable redressement économique ou s’agit-il simplement d’un répit temporaire dans un contexte d’incertitudes persistantes ?
Un repli modeste mais non négligeable
La diminution du taux d’inflation à 7% en juillet 2024, contre 7,3% en juin, peut être perçue comme un signe de stabilisation. Ce recul est attribué à une décélération du rythme d’augmentation des prix entre ces deux mois par rapport à la même période de l’année précédente.
Toutefois, cette baisse, bien que bienvenue, ne doit pas occulter le fait que le niveau d’inflation reste élevé, ce qui continue de peser sur le pouvoir d’achat des ménages tunisiens.
Il est déterminant de noter que la simple réduction du taux d’inflation ne se traduit pas automatiquement par une amélioration des conditions économiques. En effet, une inflation élevée peut maintenir des pressions inflationnistes, particulièrement dans certains secteurs essentiels, rendant la situation difficile pour de nombreuses familles tunisiennes.
Une dynamique sectorielle contrastée
L’inflation globale masque des dynamiques structurelles contrastées entre les différents groupes de produits, d’où il devient essentiel d’examiner ces évolutions de plus près.
Le ralentissement de la hausse des prix des produits alimentaires, avec une augmentation de 9,4% en juillet contre 10,1% en juin, a indéniablement contribué à la baisse de l’inflation globale. Cependant, cette modération reste relative, car une inflation alimentaire de 9,4% est encore préoccupante, surtout dans un pays où les ménages consacrent une part significative de leur budget à l’alimentation.
D’autre part, certains secteurs, comme celui des loisirs et de la culture, ont enregistré une accélération de l’inflation, passant de 5,4% en juin à 5,7% en juillet. Cette augmentation indique une pression croissante sur les budgets des ménages dans des domaines non essentiels, ce qui pourrait avoir des répercussions sur leur capacité à maintenir leur niveau de vie.
La pression alarmante sur les produits de base
Les hausses marquées des prix des produits alimentaires de base sont particulièrement préoccupantes. Par exemple, les prix des viandes ovines ont grimpé de 24%, ceux des huiles alimentaires de 21,8%, et ceux des poissons frais de 12,5%. Ces augmentations rendent ces produits de plus en plus inaccessibles pour une large part de la population, exacerbant ainsi les inégalités sociales et économiques.
Ces hausses révèlent une tendance inquiétante : les produits essentiels, qui sont au cœur des dépenses des ménages, deviennent de plus en plus chers, créant un fossé croissant entre les différents segments de la population.
Inflation généralisée dans les produits manufacturés et les services
L’inflation ne se limite pas aux produits alimentaires. Les prix des produits manufacturés ont augmenté de 6,8% et ceux des services de 5,1% en glissement annuel. Cette tendance se manifeste notamment par la hausse des prix des vêtements et des chaussures (+9,6%) ainsi que des produits d’entretien courant du foyer (+8,4%).
Cette inflation généralisée affecte directement le pouvoir d’achat des ménages, réduisant leur capacité à consommer, ce qui pourrait avoir des répercussions négatives sur l’économie globale, notamment en termes de demande intérieure.
Un répit éphémère pour l’inflation sous-jacente ?
Le repli de l’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires et énergie) à 6,5% en juillet, contre 6,8% en juin, pourrait indiquer une légère amélioration. Cependant, cette baisse pourrait s’avérer insuffisante pour compenser l’impact global de l’inflation sur le niveau de vie des ménages.
Il est important de se demander si cette diminution est due à des facteurs temporaires ou à des ajustements administratifs, plutôt qu’à une véritable amélioration des fondamentaux économiques. De plus, la hausse de 7,8% des prix des produits libres, par rapport à une augmentation de 4,2% pour les produits encadrés, montre les limites de l’intervention de l’État dans le contrôle des prix face aux dynamiques inflationnistes du marché.
Des contributions sectorielles disparates à l’inflation
Le secteur des produits manufacturés et celui des services ont apporté les plus fortes contributions à l’inflation globale, avec respectivement 2,6% et 1,8%. Cette répartition illustre le caractère multisectoriel des pressions inflationnistes, qui touchent plusieurs pans de l’économie tunisienne, ne se limitant pas uniquement aux produits alimentaires.
Vers une stabilisation ou une nouvelle flambée ?
Malgré le léger repli du taux d’inflation en juillet 2024, les pressions inflationnistes restent persistantes dans plusieurs secteurs clés. Les augmentations récurrentes des prix des produits alimentaires, des produits manufacturés, et des services laissent entrevoir des difficultés économiques pour les ménages tunisiens.
Les autorités monétaires et fiscales devront redoubler de vigilance pour contenir l’inflation tout en veillant à ne pas compromettre la croissance économique. Des mesures appropriées, telles que des réformes structurelles visant à renforcer la production locale et à réduire la dépendance aux importations, seront essentielles pour stabiliser l’économie tunisienne.
En définitive, le recul de l’inflation à 7% en juillet 2024 offre un répit modeste mais ne saurait masquer les défis persistants auxquels est confrontée l’économie tunisienne.
La pression sur les ménages reste forte, et une approche prudente et concertée est nécessaire pour stabiliser l’économie et protéger le pouvoir d’achat des Tunisiens.
Seul un effort coordonné entre les différents acteurs économiques et politiques pourra permettre de surmonter les défis à venir et de créer les conditions d’une reprise durable.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)