Il n’est pas surprenant que l’immobilier en Tunisie, autrefois relativement stable, ait récemment connu une volatilité accrue.
Ce phénomène découle directement de l’intégration progressive du système bancaire et financier national dans l’économie globale, couplée à une certaine dérégulation et à l’apparition de nouvelles pratiques financières.
Dès lors, les flux de capitaux étrangers ont augmenté, entraînant une volatilité accrue sur le marché immobilier tunisien. Ce marché a subi un changement structurel dans son interaction avec l’économie, rendant les chocs immobiliers plus fréquents et proportionnels à la sophistication croissante du système financier local.
Les épisodes contemporains de booms immobiliers en Tunisie sont souvent précédés ou accompagnés de phases d’euphorie spéculative. Inversement, les crises économiques récentes sont fréquemment déclenchées par l’implosion de bulles immobilières.
Il est maintenant bien établi que la relation de cause à effet entre les prix de l’immobilier et la consommation des ménages tunisiens est devenue centrale : à mesure que les prix de l’immobilier augmentent, la consommation suit, et vice versa.
L’impact multiplicateur de l’immobilier sur l’activité économique et la croissance en Tunisie est particulièrement évident, surtout lorsque les ménages perçoivent une hausse de leur richesse à travers la valorisation de leurs biens.
Par exemple, une augmentation des prix immobiliers de 1 % pourrait, dans le contexte tunisien, entraîner une amélioration proportionnelle de l’économie locale. La structure actuelle de l’économie tunisienne, de plus en plus intégrée aux dynamiques mondiales, suggère que l’immobilier a un impact encore plus prononcé sur l’ensemble de l’économie, avec des effets secondaires significatifs. Ainsi, une baisse des prix immobiliers pourrait avoir des répercussions encore plus sévères que celles d’une chute des marchés boursiers.
Les entreprises situées dans des régions où l’immobilier flambe sont contraintes d’emprunter moins et à des taux plus élevés, réduisant ainsi leur capacité d’investissement.
Suite à l’effondrement de certaines bulles immobilières (1965-69, 1976-78, 1989-92, 2006-08), les autorités tunisiennes ont cherché à stabiliser le marché à travers diverses politiques de soutien. Cependant, la nature même de ces interventions montre que toute augmentation des prix de l’immobilier est souvent amplifiée par une chaîne de crédits, qui, une fois renversée, peut causer des effets domino sur l’ensemble de l’économie.
Par ailleurs, la hausse des prix immobiliers en Tunisie tend à se conjuguer avec une diminution des crédits accordés par les banques aux entreprises, qui se trouvent en plus confrontées à des taux d’intérêt plus élevés, surtout en période de bulle immobilière. Cette situation crée une anomalie où le secteur immobilier, bénéficiant d’une abondance de liquidités, se développe au détriment des secteurs productifs de l’économie, qui peinent à obtenir des financements nécessaires à leur expansion.
Il est également observé que les régions en Tunisie où le marché immobilier est le moins dynamique sont souvent celles où l’activité économique est la plus florissante. Les entreprises situées dans des régions où l’immobilier flambe sont contraintes d’emprunter moins et à des taux plus élevés, réduisant ainsi leur capacité d’investissement. Cette dynamique est aggravée par les politiques publiques qui, en soutenant activement le marché immobilier, compromettent l’accès au crédit pour les autres secteurs productifs. À long terme, cela pousse les banques à réduire les crédits aux entreprises pour se concentrer davantage sur les prêts immobiliers.
En examinant de près l’effondrement immobilier de 2007 dans des contextes similaires, il apparaît clairement que les ménages tunisiens les plus modestes seraient les plus touchés par une telle crise. Ceux qui ont les moyens les plus limités sont les moins capables d’absorber de tels chocs
Aujourd’hui, l’impact du marché immobilier sur les fondamentaux économiques tunisiens est considérable. Comme dans d’autres pays, la propriété immobilière constitue la principale source de richesse pour de nombreux ménages tunisiens.
Ainsi, une dépréciation des prix immobiliers entraînerait inévitablement des conséquences négatives pour l’ensemble des acteurs économiques, pas seulement pour les propriétaires. À l’inverse, une hausse des prix immobiliers peut jouer un rôle crucial dans la stabilisation économique, comme cela a été observé dans d’autres contextes internationaux lors de crises financières.
En examinant de près l’effondrement immobilier de 2007 dans des contextes similaires, il apparaît clairement que les ménages tunisiens les plus modestes seraient les plus touchés par une telle crise. Ceux qui ont les moyens les plus limités sont les moins capables d’absorber de tels chocs, et seraient parmi les premiers à réduire leur consommation. Ce phénomène aurait des répercussions profondes sur la croissance économique du pays.
Alors que l’immobilier représente une part relativement faible du patrimoine des ménages les plus riches en Tunisie, il peut constituer jusqu’à 80 % voire plus des avoirs des ménages les moins aisés, les rendant extrêmement vulnérables à toute chute éventuelle du marché. Ces ménages sont d’autant plus fragilisés qu’ils dépendent presque exclusivement du crédit pour accéder à la propriété, contrairement aux plus riches qui n’ont pas besoin de s’endetter. Ce manque de protection face à un système économique qui exacerbe les inégalités et qui gonfle les bulles spéculatives pose un risque majeur pour la stabilité économique et sociale du pays.
Alors que l’immobilier représente une part relativement faible du patrimoine des ménages les plus riches en Tunisie, il peut constituer jusqu’à 80 % voire plus des avoirs des ménages les moins aisés, les rendant extrêmement vulnérables à toute chute éventuelle du marché.
En fin de compte, ce sont les plus démunis qui souffrent le plus dans ces dynamiques : une perte significative dans l’immobilier pourrait être dévastatrice pour une famille modeste, bien plus que pour les ménages aisés.
Ainsi, l’immobilier, loin de favoriser une croissance réelle et soutenue, peut agir comme un véritable parasite de l’économie productive tunisienne.
Nous y reviendrons.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)