Au fil des décennies, la Chine aura avancé en catimini ses pions pour contrôler les réserves et la production des terres rares, les métaux stratégiques pour les industries de pointe. Au grand dam des pays occidentaux qui commencent à s’en inquiéter sérieusement. La récente décision de l’UE d’imposer des droits de douane sur les voitures électriques chinoises et la réaction foudroyante de Pékin en est la preuve.
Dans la guerre commerciale qui oppose l’Empire de Milieu au monde occidental, tous les coups sont permis pour mettre la main sur les sources stratégiques et détenir ainsi le monopole en matière d’exploitation et de production des terres rares.
Levier géopolitique
En effet, si la Chine ne recèle que 50 % des réserves mondiales connues en terres rares, elle en contrôle néanmoins 97,3 % de la production dans le monde et utilise par conséquent cette position dominante comme levier géopolitique. Et ce, en menaçant de restreindre l’exportation de terres rares. Ce qui pourrait perturber les chaînes d’approvisionnement mondiales.
En réponse aux tensions commerciales engendrées par la mainmise chinoise sur ces produits stratégiques, les pays occidentaux cherchent donc à diversifier leurs sources d’approvisionnement et à développer des alternatives. Mais ces efforts nécessitent du temps et des investissements considérables.
Quid des terres rares?
Il convient de rappeler que dans le jargon scientifique, l’appellation « terres rares » désigne un groupe de 17 éléments essentiels dans la fabrication de technologies de pointe.
Ces éléments sont largement utilisés dans les technologies « fines » telles que les aimants permanents, les écrans LCD, les lampes fluorescentes, les catalyseurs, les batteries rechargeables, les turbines d’éoliennes et d’autres applications dans les secteurs médical, scientifique et de l’aérospatiale.
Sur le plan militaire, les éléments des terres rares jouent un rôle crucial dans de nombreuses applications militaires. A l’instar des systèmes de guidage des missiles, les radars, les systèmes de communication et les moteurs électriques des avions militaires, la détection sous-marine. Ou encore les céramiques spéciales et les verres pour les systèmes de communication par fibre optique, essentiels pour les communications sécurisées sur le champ de bataille.
A noter à ce propos qu’une dizaine de pays produisent des terres rares dans le monde. Toutefois, la Chine contrôle le marché avec une production qui s’est élevée à 120 000 tonnes en 2018 (71 % de la production mondiale). C’est beaucoup plus que l’Australie (20 000 tonnes) et les États-Unis (15 000 tonnes), respectivement deuxième et troisième pays producteur.
Mesures et contre mesures
Et c’est dans ce contexte de défiance réciproque entre les deux blocs, et en réponse à l’Union européenne qui vient d’imposer des droits de douane sur les voitures électriques chinoises sous prétexte de « concurrence déloyale », que Pékin annonça une nouvelle restriction susceptible d’impacter significativement l’industrie occidentale.
L’antimoine : une arme stratégique
En effet, à compter du 15 septembre prochain, et afin de « protéger les intérêts nationaux et la sécurité » du pays, l’exportation d’antimoine depuis la Chine sera soumise à une autorisation gouvernementale préalable.
Traduction : derrière cette formulation diplomatique se cache un enjeu considérable. En effet, l’antimoine, métal rare aux propriétés uniques dont la Chine assure près de la moitié de la production mondiale, est très recherché dans de nombreux secteurs industriels de pointe. Et notamment dans la production de matériaux ignifuges, de batteries, de panneaux solaires et trouve même des applications dans l’industrie de l’armement
Ainsi, en limitant l’accès à cette ressource stratégique à ses concurrents occidentaux, Pékin se dote d’un nouveau moyen de pression sur ses concurrents occidentaux. Tout en préservant à long terme ses propres réserves pour son développement industriel futur.
Or, la restriction de ce précieux métal n’est pas un acte isolé : en 2023, Pékin avait déjà mis en place des contrôles analogues sur les exportations de graphite, de gallium et de germanium. A savoir des matériaux indispensables pour l’industrie des semi-conducteurs et des énergies renouvelables.
De toute évidence, ces restrictions auront un impact direct sur des pans entiers des secteurs industriels en Occident et particulièrement aux Etats-Unis, de l’électronique à l’automobile en passant par l’aérospatiale. Les entreprises dépendantes de ces matériaux rares seront automatiquement confrontées à des difficultés d’approvisionnement ou à une augmentation significative des coûts. Ce qui pourrait affecter leur compétitivité sur le marché mondial. Et c’est le but recherché par Pékin.
Le futur se joue aujourd’hui
Au final, la guerre froide entre le géant chinois- actuellement la deuxième puissance économique du monde et qui pourrait d’après la Banque mondiale devenir la première puissance économique de la planète en dépassant les États-Unis entre 2020 et 2030- et les pays occidentaux, pose la complexe problématique des interdépendances économiques mondiales ainsi que les défis posés par la concentration des ressources stratégiques. Ainsi, la diversification des sources d’approvisionnement, le développement de technologies de recyclage plus efficaces et la recherche de matériaux alternatifs figureront dans les priorités des puissances industrielles dans les décennies à venir. L’enjeu est de taille.