Tous les signes et informations en provenance des institutions concernées par l’élection présidentielle et aussi des candidats et autres partis politiques prouvent que nous allons vers une impasse politique. Au-delà des polémiques politiques et juridiques, suscitées par ce scrutin, une chose est sûre, le citoyen Lambda ne se sent nullement concerné, du moins jusqu’à maintenant; alors que la nature du rendez-vous devrait logiquement susciter son enthousiasme, du moins sa curiosité. Pour être sûr de cette réalité, il n’y a qu’à tendre l’oreille dans les salons de thé, les cafés et autres bars-restaurants en Tunisie. On parle et on jacte sur tout sauf sur cette échéance, comme si le peuple tunisien a décidé d’effacer les élections de sa mémoire.
Curieux peuple et surtout curieuse élite qui, cela se constate sur les réseaux sociaux, tournent le dos à ses promesses ultérieures de faire de la Tunisie une nation moderne, prospère et démocratique.
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La faute à l’élite « révolutionnaire »
Cette élite s’inscrit maintenant aux abonnés absents. C’est son discours dont on nous a abreuvés durant plus d’une décennie d’euphorie « révolutionnaire », qui nous semble le principal responsable de cette catastrophe politique. On avait alors menti à outrance, promis monts et merveilles, accusé à tout bout de champ les responsables de l’ancien régime et surtout décrété que nous étions dans un processus irréversible d’évolution vers une démocratie qui ferait jalouser les nations les plus avancées dans ce domaine. Rappelons-nous seulement le fameux comité qui devait instaurer l’ordre révolutionnaire dirigée par un ancien notable qui n’a jamais de sa vie prononcé ou « rêvé » d’une révolution et soutenu par un Quarteron de l’Islam Politique qui ne rêvait que d’instaurer le Califat et quelques révolutionnaires de circonstance pour valider ce choix.
On connaît la suite, une assemblée dite constituante et une constitution importée d’outre atlantique, dite de Feldman, qui a failli provoquer une guerre civile. Mais le réveil fût encore plus douloureux, un pays en faillite, des centaines de milliers de hauts cadres qui fuient le pays et surtout le terrorisme qui était le corollaire de la « révolution », et une perte nette de souveraineté avec un destruction systématique de l’Etat et des acquis de l’indépendance.
Or rien, dans l’histoire ancienne et récente de la Tunisie, ainsi que dans la composition sociale de notre peuple ne nous disposait à brûler les étapes et à décréter, que nous sommes aptes à instaurer un modèle démocratique. C’est uniquement la propagande étrangère, relayée par ses agents locaux et des centaines de prétendues ONG, qui nous a fait croire à ce mensonge antihistorique. On confondait à l’évidence le rêve et l’utopie, légitimes avec l’anarchie et la destruction de l’Etat. La Tunisie de 2011 était loin d’être prête à ce » grand bond en avant », mais elle a fait, malgré elle, un bond dans le vide qui l’a ramenée des décennies en arrière. Le déroulement des évènements ultérieurs l’a prouvé. Alors on s’accuse mutuellement, souvent avec une violence verbale inouïe, de ce ratage que nous considérons comme historique, et qui vient s’ajouter à d’autres ratages, économique, social et même sur le modèle de société.
Or sans vouloir noyer le poisson, la responsabilité des élites, toutes obédiences idéologiques confondues, est collective. Nous n’avons jamais cessé de le dire, depuis cette année fatidique de 2011. On ne peut jamais construire du solide sur un mensonge, la supposée « révolution », car tout est parti de là.
Le système politique actuel, tant honni par ses adversaires du moment et ses alliés d’hier, n’est que l’aboutissement logique de tout un processus qui a abouti à cette situation totale de blocage structurel et dangereux, et qui a engendré une classe politique incapable de se projeter dans un avenir à travers des programmes politiques et économiques sérieux et capables de sortir le pays de la crise endémique.
Rejeter la responsabilité de cette situation désespérante sur un seul parti politique où un seul homme fusse-t-il le Président de la République est de la pure démagogie politicienne. Alors que le pays a plus que jamais besoin d’un débat serein et rationnel pour trouver une issue à la crise.
De même rejeter la responsabilité sur les « parties qui servent des visées de puissances étrangères » non seulement est improductif, mais l’expérience, même tunisienne a prouvé que cette vision a des limites et ne favorise nullement l’établissement d’une réflexion sur les origines et la causes directes et indirectes qui nous ont amenés à cette situation. Ces invectives, de part et d’autre ne font qu’exacerber les tensions et mener à une confrontation, qui est loin de répondre au besoin du pays à une stabilité toujours menacée
A deux mois du scrutin, indépendamment des griefs juridiques et procéduraux qui ont certainement permis d’éliminer certaines compétences parmi les candidats potentiels, et non pas tous, et qui ont emmené d’autres en prison, et alors que les esprits s’échauffent, nous ne pouvons qu’appeler à dépasser les clivages actuels, soient-t-ils importants, pour porter le débat sur ce qui peut sauver la nation. Car à notre avis, nous allons directement non pas seulement vers une crise politique aigue, ce qui est logique, mais vers un conflit qui risque d’éveiller les vieux démons de la violence sous toutes ses formes, y compris le retour du terrorisme. Les conflits politiques partisans ne doivent pas nous faire oublier l’intérêt supérieur de la Nation dont la sauvegarde de sa souveraineté.
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Un environnement géopolitique instable et dangereux
Les régions du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne vont connaître des bouleversements géostratégiques. Le Mali, le Tchad, le Niger, le Burkina-Faso et le Soudan, ont déjà changé d’alliances et se sont tournés vers la Russie et la Chine. Les Américains et les Français déménagent leurs bases militaires dans l’urgence, ainsi que leurs influences, au profit d’une avancée russe militaire via Wagner interposée et chinoise sur le plan économique. Les revers franco-américains dans cette zone sont spectaculaires.
La Libye semble être le prochain champ d’affrontements entre les puissances et l’on craint un retour prochain de la guerre civile. Les troupes et forces militaires des deux camps se préparent et tout se passe comme si le conflit d’Ukraine va connaître un glissement géographique vers cette région. Nous sommes donc à la veille d’une guerre généralisée et cela se passe à notre frontière sud à quelques kilomètres de nos villes frontalières. Le terrorisme trouvera dans cette guerre l’occasion de faire son retour. Des aéroports militaires contrôlés par les USA ou la Turquie, reçoivent quotidiennement de nouveaux renforts. Dans l’Est de la Libye, Les troupes Wagner occupent de plus en plus le terrain, ainsi que les milices du Général Hafter. Les Russes ont désormais accès, via les ports de la Libye à la mer chaude et s’installent progressivement. Certaines officines mal intentionnées ont même accusé la Tunisie de prêter l’aéroport de Djerba au transport des troupes des mercenaires russes. Ce qu’ont démenti formellement les autorités tunisiennes.
L’arrivée d’un haut responsable américain chargé de traiter le conflit en Libye, et sa déclaration après sa rencontre avec un haut responsable tunisien assurant que la Tunisie sera associée à la recherche d’une solution politique dans ce pays ne sont pas forcément rassurantes. Et ce, malgré la position tunisienne affirmée que la solution est entre les mains des seuls libyens, sans ingérence étrangère.
Quelques jours après, un site officiel américain annonce l’accord des USA pour vendre un nombre important de bateaux rapides hautement efficaces pour renforcer la défense de nos côtes et certainement pas seulement pour empêcher l’immigration clandestine par mer vers l’Italie. Les sommes engagées (plus de 400 milliards de millimes) prouvent l’importance de cet armement pour assurer notre sécurité. A l’évidence, les autorités tunisiennes sont conscientes des menaces qui risquent de nous venir d’une Libye en guerre civile. Mais la classe politique, dont le pouvoir et l’opposition, regarde ailleurs et se soucie plus du sefsari de l’avocate qui croupit en prison pour avoir insinué que la Tunisie n’est pas aussi bien qu’on l’imagine. Nos médias sont devenus des poubelles des faits divers, transformés en buzz et donc en argent. Triste situation car il n’y a pas que l’article 54 qui est à blâmer.
Et maintenant, que faire? Il est certain que les choses deviendront plus claires après le 6 octobre prochain. Non pas qu’on s’attende à des surprises du côté des résultats électoraux, mais justement parce qu’on les connaît d’avance sans avoir besoin de recourir aux sondages d’opinions. Ce qui est sûr, c’est que nous entrons dans une nouvelle étape et que les choses n’iront pas forcément vers le meilleur.