Abdellatif Mekki et Mondher Zenaïdi, qui ont été intégrés à la liste des candidats à la course présidentielle par décision du Tribunal administratif, le seront-ils automatiquement? C’est sans compter avec le président de l’ISIE qui affirme que son institution, tout en prenant en considération le verdict du Tribunal administratif, « se réserve le droit d’émettre une décision finale liée à la publication de la liste finale des candidats à la présidentielle du 6 octobre 2024 ». La bataille juridique entre les deux institutions s’annonce brutale.
Qui l’eût cru? A la surprise générale, et alors que la présidentielle du 6 octobre aura perdu tout intérêt aux yeux d’un grand nombre de Tunisiens, les derniers verdicts du Tribunal administratif redonnent quelques couleurs à ce scrutin décisif pour l’avenir de notre pays.
Ainsi, dans une décision historique prise le 27 août 2024, l’assemblée plénière juridictionnelle relevant du Tribunal administratif accepta le recours déposé par Abdellatif Mekki, ancien responsable et dissident d’Ennahdha et secrétaire général du parti « Amal wa Injaz »; ouvrant ainsi la voie à la réintégration dans la course à la présidentielle d’un quatrième candidat. Et ce, contre l’avis de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE). Celle-ci avait rejeté auparavant sa candidature ainsi que celle de treize autres postulants. Et ce, sous prétexte de nombre insuffisant de parrainages, de manque de garanties financières, ou encore de non-respect des critères de nationalité.
Mondher Zenaïdi réintégré dans la course
Rebelote. La vénérable institution a annoncé, jeudi 29 août, la réadmission dans la course à la présidentielle du 6 octobre de Mondher Zenaïdi (73 ans). Et ce, en défiant pour la deuxième fois consécutive l’ISIE qui avait rejeté sa candidature.
Le Tribunal administratif « a décidé d’accepter sur la forme et le fond le recours en appel déposé par Mondher Zenaïdi et d’annuler la décision initiale de l’Instance supérieure indépendante pour les élections ». C’est ce qu’a indiqué le porte-parole dudit tribunal, Fayçal Bouguerra, jeudi 29 août 2024, sur les ondes de Mosaïque FM. Tout en ajoutant que cette décision « est définitive et ne souffre pas d’appel ».
A ses yeux, le retour de plusieurs candidats dans la course électorale est désormais « une réalité judiciaire ».
Ainsi, Mondher Zenaïdi rejoint le président sortant, Kaïs Saïed, qui brigue un deuxième mandat; ainsi qu’Abdellatif Mekki, Ayachi Zammel et Zouhair Maghzaoui dans la liste des candidats officiels à la présidentielle.
Par contre, le verdict à propos de la candidature de Imed Daïmi n’a pas encore été prononcé. En effet, il a été reporté au vendredi 30 août. Alors que les deux recours déposés par les deux candidats à la présidentielle, en l’occurrence Abir Moussi et Béchir Aouani, ont été rejetés par le TA « pour vice de forme ».
Une bataille titanesque
Jusqu’ici, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que le Tribunal administratif (TA) et l’Instance supérieure indépendante pour les élections, deux éminentes juridictions, se disputent la primauté de dire la loi. Ainsi, la première assure que ses verdicts sont définitifs, irrévocables et sans appel. Tandis que la seconde estime qu’elle est la seule institution qui supervise l’ensemble du processus électoral. Par conséquent, seul son conseil serait habilité à prendre les décisions définitives s’agissant des candidatures à la course présidentielle « en se référant aux décisions du Tribunal administratif ».
L’instance électorale cherche-t-elle à se hisser au rang de la plus haute instance en matière de droit administratif? Et ce, en interprétant les jugements rendus par cette dernière?
« Le dernier mot revient au Tribunal administratif », a martelé la présidente de l’Union des magistrats administratifs, Refka Mbarki, dans une publication FB du 29 août 2024. Tout en estimant qu’avancer le contraire était « absurde ».
Or, en l’absence de la Cour institutionnelle qui aurait tranché ce conflit d’ordre juridique, l’ISIE ne s’est pas avouée vaincue. Son président, Farouk Bouasker, vient de souligner que le conseil de l’instance prendra sa décision concernant la liste définitive des candidats à la présidentielle « en se référant aux décisions du Tribunal administratif et aux verdicts émis par la justice judiciaire (laquelle a condamné certains candidats à ne plus se présenter pendant dix ans pour falsification de parrainages, NDLR).
Le conseil de l’ISIE, ajoutait M. Bouaskar, jeudi 29 août sur les ondes de Mosaïque FM, « examinera la validité et les justifications de ces décisions, avant de se conformer à la loi et à la Constitution ». Et ce souligner que l’ISIE « est le seul garant du bon déroulement des élections ». Sachant que l’instance devrait annoncer la liste définitive des candidats à la présidentielle le 3 septembre prochain.
Décalage
A noter que la position intransigeante prise par le président de l’ISIE est en totale contradiction avec celle de son porte-parole, Mohamed Tlili Mansri. Ce dernier avait déclaré, lundi 26 août, sur les ondes de la Radio nationale – soit avant le prononcé des jugements -, que les verdicts émis dans les appels déposés par les prétendants à la présidentielle contre les décisions de rejet de recours émis par le Tribunal administratif dans la cadre de l’élection présidentielle « seront définitifs et ne pourront faire l’objet d’aucune forme de recours, même en cassation ». Ajoutant que suite à l’annonce du dernier verdict, le conseil de l’ISIE se réunira pour annoncer la liste définitive des candidats à la présidentielle.
« L’assemblée générale du Tribunal administratif est le dernier degré […] Les jugements qu’elle prononcera ne peuvent faire l’objet d’un recours […] Le conseil de l’instance adoptera, directement et après la prononciation du dernier jugement, les résultats finaux de la liste des candidats acceptés ». C’est clair et net et ne tolère aucune interprétation.
Alors, en attendant que le président de l’ISIE et son porte-parole accordent leur violon, qui faudra-t-il prendre au sérieux?