On avait à choisir dans l’urgence entre les injonctions du FMI et leur cortège funeste d’austérité et d’aggravation de la fracture sociale et une politique volontariste frappée du sceau du souverainisme, du « compter sur nous-mêmes », pour relancer l’économie, sauvegarder la paix et la cohésion sociales ou ce qu’il en reste. Au final, nous avons eu l’austérité portée à incandescence et une montagne de dettes à des conditions abominables, tout en nous imposant à nous-mêmes la pire thérapie de cheval du FMI, sans souscrire au moindre accord qui eût soulagé nos finances publiques et tempéré nos peines.
L’honneur est certes sauf, du moins au niveau de la rhétorique anti-FMI. On ne peut pas en dire autant de l’économie nationale et de notre modèle social, mis à rude épreuve ; ils sortent en lambeaux. Les dégâts sont énormes, incommensurables. L’économie s’enfonce pour la 2ème année consécutive dans la récession : 0.4% en 2023 et à peine 1% à l’issue du 1er semestre 2024. Ce qui n’est pas de bon augure, étant entendu que la 2ème partie de l’année coûte plus qu’elle n’apporte à l’économie en termes de croissance, en raison de la débauche des dépenses de consommation sans réelle implication conséquente dans la sphère productive.
Feu, sabre en l’air, sur le FMI, vieille relique de l’hégémonie occidentale, du reste pas si innocent qu’il voudrait le faire croire ? Soit. Mais qu’avons-nous gagné qui aurait justifié un tel raidissement doctrinal, sauf à faire valoir l’honneur de subir avec dignité les affres des pénuries et des files d’attente ? On a eu l’austérité et une guerre qui n’en finit pas contre « les architectes » du chaos et les maîtres spéculateurs.
Le chômage se propage et s’incruste sans réelle perspective de relance économique. Il est vain d’espérer le contenir et encore moins l’éradiquer à moins de 6 à 7% de croissance.
Le constat est lourd d’inquiétudes : croissance en berne, investissement en chute libre, épargne à son plus bas historique, une inflation qui ne faiblit pas et n’est pas à l’abri de nouvelles explosions. Le chômage se propage et s’incruste sans réelle perspective de relance économique. Il est vain d’espérer le contenir et encore moins l’éradiquer à moins de 6 à 7% de croissance. L’endettement extérieur, seule note positive – nécessité fait loi – est en repli, fût-ce au prix d’un recul des investissements et de la croissance. Le service de la dette extérieure est à son plus haut niveau avant d’amorcer, l’année prochaine, sa décrue ; il asphyxie l’économie en la privant d’air, de liquidités et d’opportunités d’investissement.
Point besoin d’être grand clerc pour signifier la décrépitude de l’économie nationale. Le désastre annoncé se lit dans l’énorme décalage entre le taux de croissance du PIB et celui du service de la dette extérieure, faisant apparaître une inversion de la courbe de transfert de revenus avec le reste du monde. Le remboursement de la dette est beaucoup plus élevé que la création de richesse, sans que ce gap soit compensé comme par le passé par de nouveaux emprunts extérieurs, contenus cette année dans des limites très étroites.
Cette crainte est d’autant plus fondée que les performances de l’économie sont en deçà de la croissance démographique, faisant ainsi reculer le revenu national par habitant.
A charge pour le nouveau gouvernement Kamel Maddouri de ne ménager aucun effort pour remettre en marche la machine économique et rompre au plus vite ce cercle vicieux d’appauvrissement du pays et de désertification industrielle. Sans quoi, la cohésion sociale finira par se fracasser contre le mur de la récession qui semble s’installer dans la durée. Cette crainte est d’autant plus fondée que les performances de l’économie sont en deçà de la croissance démographique, faisant ainsi reculer le revenu national par habitant. Illustration on ne peut plus réelle de la dégradation du niveau de vie de la population, notamment celle la plus exposée au chômage et à la précarité de la vie.
Ce déficit pèsera lourd dans la balance quand sonnera l’heure de la reprise, ne serait-ce que pour offrir une perspective aux jeunes, sans quoi on leur aura volé leur rêve et confisqué leur propre avenir.
Le nouveau chef du gouvernement hérite d’une économie exsangue, abîmée pendant plus d’une décennie par une dérive « des continents », par la tectonique des plaques à résonance politique. Le pays a plus d’une fois et de manière quasi régulière vacillé sous le choc des luttes pour le pouvoir. Qui ont largement impacté notre croissance potentielle et porté atteinte à la résilience de l’économie nationale. Ces séismes politiques, accompagnés de répliques ininterrompues, ont marginalisé l’économie, jetée ainsi au rebut et tombée en déshérence. On n’ose plus décrire l’état de délabrement des services publics si nécessaires dans tout projet de développement économique. Les ports, les écoles, les hôpitaux, l’université, l’infrastructure, les moyens logistiques vont à vau-l’eau.
L’Etat, soumis à d’énormes contraintes budgétaires en dépit d’un budget prolifique – près de 50% du PIB a sacrifié les investissements d’avenir pour s’acquitter des salaires de ses fonctionnaires, du service de la dette et des dé- penses de subvention. Il ne pouvait faire autrement, à moins d’engager dans l’urgence et la douleur des réformes dont personne ne voulait, alors même qu’elles sont inévitables.
La consommation a pris le dessus sur l’investissement. Le présent, du reste sans éclat, a triomphé des exigences du futur. La sanction est immédiate : un énorme déficit en matière d’investissement d’avenir dans l’enseignement, la recherche, les infrastructures économiques et sociales, dans les technologies émergentes, la transition écologique et énergétique. Ce déficit pèsera lourd dans la balance quand sonnera l’heure de la reprise, ne serait-ce que pour offrir une perspective aux jeunes, sans quoi on leur aura volé leur rêve et confisqué leur propre avenir.
Le nouveau chef du gouvernement aura fort à faire et n’aura pas assez de l’engagement plein et entier de l’ensemble des forces productives pour briser le cercle pervers de l’endettement, de la désindustrialisation et de notre décrochage. Sa réussite dépend de sa capacité d’engager les nécessaires réformes, de soulager l’économie de la mainmise des circuits informels, de libérer l’investissement et la croissance des griffes d’une bureaucratie envahissante, de repenser le rôle d’un Etat devenu si obèse qu’il se condamne à l’immobilisme. D’un mot, d’élever le niveau d’efficacité globale de l’économie en obstruant les voies d’eau qui menacent de faire couler le bateau.
Ce serait se tromper que de croire que l’économie nationale, même rétrogradée, loin derrière les économies de la région alors qu’elle faisait, il y a si peu de temps, la course en tête, manque de ressources ou de moyens pour revenir dans la compétition et retrouver la place qui doit être la sienne. Le pays n’a jamais disposé d’autant de moyens matériels et humains. Reste à valoriser et à transformer notre potentiel de développement en améliorant le climat des affaires, en restaurant la confiance et en construisant les voies d’apaisement.
L’économie se conçoit dans la durée, via une vision claire et lointaine, mais le temps de l’économie est court. D’où un impérieux besoin de visibilité d’autant plus fort à mesure que l’économie monte en régime et accélère l’allure. Sortir de la récession ? Oui bien sûr. Il n’y a aucune fatalité à la crise pour un pays qui a une longue tradition en matière de croissance et de développement. Il faut simplement de la sérénité, de la confiance, un consensus ou, à défaut, un consentement des partenaires sociaux pour vaincre la récession et envisager l’avenir avec plus d’assurance. Il y a besoin, il y a nécessité d’envoyer un signal à cet effet, de donner un gage de cette volonté d’apaisement et de construire la confiance, les mécanismes d’un véritable dialogue social et d’un pacte de stabilité et de croissance. C’est maintenant qu’il faut en faire la démonstration, à l’occasion de l’élection présidentielle. Pour que tout devienne possible.
Cet édito est disponible dans le mag de l’Economiste Maghrébin n°901 du 28 août au 11 septembre 2024