Nos barrages, tous genres confondus, affichent actuellement un taux de remplissage de moins de 25% de leur capacité. Un des taux des plus bas qu’ait connu le pays depuis des décennies. La situation est grave et ne peut en aucun cas être ignorée des pouvoirs publics. Comme dans une guerre, la mobilisation générale s’impose. L’ennemi, « la soif », est à nos portes ! S’il y a une guerre à mener, elle n’est en aucun cas une guerre de libération nationale, qui a déjà été gagnée, mais contre l’ennemi « soif ». Il y a urgence !
Au second siècle après J.C, une grave sécheresse avait frappé le pays de l’Ifriqiya romaine (Carthage). L’empereur romain Adrien (117- 138), avait ordonné la construction du temple des eaux à Zaghouan, dédié à Neptune, dieu des eaux vives et des sources dans la mythologie romaine, avec une chambre sacrée où se déroulaient les rites de l’adoration des eaux. Un grand bassin fut construit pour collecter les eaux des sources de la montagne de Zaghouan. Plus tard, un aqueduc (hanaya) de 132 km fut construit en pierre de taille pour acheminer l’eau de Zaghouan jusqu’à Carthage. Les vestiges de cette œuvre grandiose existent encore et sont visibles sur la route de cette ville qu’ont choisie ensuite les Andalous pour s’y installer. Carthage fut sauvé de la soif pour longtemps. Maintenant, Carthage subit aussi les coupures régulières de l’eau, comme toutes les villes et tous les villages tunisiens, et elle risque d’avoir soif. Adrien, pourtant, n’était pas Tunisien, mais les Romains, ces bâtisseurs et fondateurs d’une des plus grandes civilisations, avaient le sens de l’intérêt public. Ils ont construit sur nos terres des temples, des théâtres, des palais, des bains, et surtout, ils avaient fait de notre pays le grenier de Rome. Deux mille ans plus tard, la Tunisie, héritière de Carthage, continue d’importer du blé et risque de manquer d’eau potable. Ce n’est ni la faute de l’actuel gouvernement ni celle de l’actuel pouvoir politique. C’est le résultat de longues années d’absence d’une vraie politique des eaux, alors que l’on savait depuis au moins quatre décennies qu’on finirait par épuiser toutes nos ressources, toutes nos sources et qu’on allait rester à la merci d’une nature dont les cycles sont gravement perturbés par la pollution et la fameuse couche d’ozone. On n’a pas d’autres choix que de mener cette guerre contre la sécheresse cyclique et surtout d’instaurer définitivement une politique de l’eau, s’agissant surtout de nos choix agricoles. Un débat national s’impose, loin des manipulations politiciennes.
Économiser ou mourir de soif !
Un bon signe, le nouveau Premier ministre Kamel Maddouri, a inauguré sa gouvernance par un Conseil ministériel sur l’eau. Tous les ministères et départements ont participé à l’élaboration d’un programme qui vise à faire face à ce véritable challenge ! Sauf qu’on manque d’informations sur les mesures concrètes pour économiser l’eau qui reste dans nos barrages. Il est vrai aussi que la saison des pluies s’annonce prometteuse, mais les caprices de la nature sont imprévisibles. Il faut donc établir des scénarios, B et C, au cas où dame nature décide de perturber les cycles. Nous ne sommes pas le seul pays victime de ces caprices. L’Espagne, l’Italie, le Maroc, l’Algérie et même l’Allemagne ont été frappés par une sécheresse inhabituelle. Mais à quelque chose parfois, malheur est bon, car nos ventes en huile d’olive ont battu des records, l’Italie et l’Espagne manquant d’huile d’olive à cause de la sécheresse. La nôtre a pu être écoulée en grandes quantités sur le marché international. Plus de 4000 milliards de recette. Sauf que cela ne résout pas le problème de fond, car notre agriculture continue de dépendre des intempéries. Il n’y a qu’un seul moyen : bien gérer nos ressources en eau et surtout, multiplier les stations de dessalement de l’eau de mer. D’autres pays ont suivi cette voie qui semble porteuse. D’autres techniques existent, comme les pluies artificielles pratiquées en Chine, mais tout dépendra des coûts. Mais le meilleur moyen, sûr et efficace, reste une politique basée sur l’économie de nos ressources, en imposant, s’il le faut, une législation draconienne contre les abus. Pourquoi ne pas taxer conséquemment les propriétaires des piscines, particulièrement les hôtels, ou les obliger à utiliser l’eau de mer ou des puits ? L’eau en Tunisie, denrée qui relativement ne coûte pas cher, doit être revalorisée. Il ne sert à rien de faire des coupures d’eau anarchiques. Il faut encourager l’utilisation des fasqiyas et des majens, dont la construction est devenue extrêmement chère en raison de la flambée des prix du ciment et des autres matières (il faut 6000D en moyenne) et imposer, dans les bâtiments publics, la construction dans les sous-sols ou les terrasses, de grandes citernes de récupération de l’eau de pluie. A travers leur longue histoire avec l’eau, les Tunisiens ont une tradition en matière d’économie et de gestion. N’oublions pas que le sud du pays a toujours vécu et survécu à la sécheresse, grâce à une gestion rigoureuse de ce qu’offre la nature en eau potable. Nous savons bien que dans certaines régions, le degré de salinité des eaux des puits atteint en moyenne 6 g /l.
L’eau potable dans les régions désertiques était une denrée rare et les femmes faisaient chaque jour plusieurs kilomètres pour ramener l’eau dans des gargoulettes pour faire leur cuisine ou pour se laver. Il n’y avait point d’eau en bouteilles à l’époque et encore moins de robinets. L’eau desservie jusqu’à une date récente dans le sud-est était saumâtre et avoisinait le taux de 4 g/l de sel. Grâce aux stations de dessalement de l’eau de mer, le problème est en cours de résolution et l’on a une eau à 1g de sel/l, comme à Djerba. Une grande campagne de sensibilisation pourrait encourager les Tunisiens à renouer avec leurs traditions ancestrales, sacralisant cette source de vie et l’économisant comme il se doit.
Sacrée eau et eau sacrée
Sacrée eau, qui donne lieu à des polémiques politiques qui ne font que nous éloigner de la véritable solution du problème. Mais l’eau est aussi sacrée ! Dans le Coran, on y lit : « Avec l’eau, nous avons créé toute chose vivante ! » La science a confirmé cette vérité divine, mais comme on a tendance maintenant à privilégier les rites cultuels à l’essence spirituelle, on gaspille énormément d’eau dans les mosquées pour ce qui est considéré comme une préparation à la prière, les ablutions. Essayez d’entrer dans une mosquée un vendredi et vous comprendrez le grand gâchis ! Un gaspillage systématique est organisé inconsciemment avant chaque prière. La « midha », grand lavabo collectif où l’on fait la toilette rituelle et obligatoire, est devenue un lieu de gaspillage de cette « source de vie » citée dans le livre saint. Quel paradoxe ! Cela en dit long sur notre compréhension de l’Islam. Pourtant, rien ne prouve que du temps de la construction de la première mos- quée du prophète, à Médine, on y avait construit une midha, puisque l’eau était une donnée tellement rare que l’Islam a autorisé ses adeptes à se purifier en utilisant une petite pierre naturelle ou tout simplement un peu de sable. Il s’agissait au départ d’un geste symbolique de purification spirituelle. On appelle cela « al tayammum » ! D’ailleurs, en Arabie saoudite, selon la doctrine wahhabite, les croyants peuvent faire leur prière en étant chaussés de leurs bottes, de leurs sandales, de leurs chaussures et ne sont jamais obligés de passer par la fameuse midha (du mot « woudhou », toilette pré-prière qui ne se fait pas nécessairement avec de l’eau).
La Tunisie romaine pratiquait un rituel sacré dédié à l’eau dans les temples de Neptune. On peut trouver son équivalent dans le Coran. Ainsi, la prière de l’istisqaa – on prie Dieu de nous envoyer de la pluie – prouve que selon la doctrine musulmane, l’eau est un don divin, donc sacrée ! Alors, la gaspiller n’est-il pas un péché majeur ? C’est comme le pain, qu’on ne doit pas jeter. Beaucoup de nos compatriotes le ramassent autour des poubelles, avant de lui appliquer un baiser, considérant que c’est un don de Dieu, « ni3met rabbi ». Pourquoi pas l’eau ?
Cet article est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 901 du 28 août au 11 septembre 2024