ZOOM 2 – TUNISIE- Déficits et dettes en Tunisie, une équation complexe à résoudre
Avec la nomination d’un nouveau chef de gouvernement, la préparation du budget 2025 pour la Tunisie entre dans une phase cruciale. Cependant, les défis budgétaires et financiers demeurent inquiétants.
Les récentes analyses publiées par le ministère des Finances soulignent que, sans changement de cap, les finances publiques du pays risquent de devenir insoutenables.
Le problème ne se limite plus uniquement à la dette publique, mais englobe aussi les déficits, les dépenses publiques, et les sources de financement à moyen terme.
Le déficit public en dérapage
Le déficit public de la Tunisie, déjà alarmant en 2024, pourrait s’aggraver si les mesures adéquates ne sont pas prises. D’après les projections actuelles, ce déficit pourrait atteindre des niveaux plus élevés d’ici 2027, en partie en raison de la hausse des charges d’intérêts de la dette publique, de l’inflation des dépenses de subvention et de la stagnation des recettes fiscales. Le ratio de la dette publique, déjà supérieur à 90 % du PIB, est en train de s’alourdir dangereusement avec l’accumulation des déficits.
Les faits stylisés de la contrainte budgétaire tunisienne :
Le tableau ci-dessus, que présente le ministère des Finances, offre un aperçu des tendances clés en matière de déficit budgétaire, de pression fiscale et d’endettement public en Tunisie entre 2021 et 2024. Voici une analyse détaillée des éléments qui ressortent, accompagnée des perspectives économiques pour le pays.
L’évolution du déficit budgétaire
– Tendances : le déficit budgétaire en valeur nominale continue d’augmenter, passant de -10 265 MDT en 2021 à -11 515 MDT prévu dans la Loi de Finances 2024 (LF2024). Toutefois, en pourcentage du PIB, on observe une tendance à la baisse, de -7,9 % en 2021 à -6,6 % prévu en 2024.
– Analyse : cette légère réduction en pourcentage du PIB traduit un effort pour contenir le déficit malgré une hausse des dépenses publiques. L’amélioration relative du déficit budgétaire par rapport au PIB peut être attribuée à une tentative d’optimisation des recettes fiscales et à un contrôle progressif des dépenses, mais la pression sur les finances publiques reste forte.
– Perspectives : le gouvernement semble s’engager vers une réduction du déficit en pourcentage du PIB, mais l’ampleur des déficits reste préoccupante. Surtout si les revenus de l’État n’augmentent pas de manière substantielle. Une consolidation budgétaire plus marquée sera nécessaire pour réduire les risques macroéconomiques et stabiliser les finances publiques.
La pression fiscale
– Tendances : la pression fiscale a augmenté de manière continue, passant de 23,3 % du PIB en 2021 à 25,1 % projeté en 2024. Cette hausse reflète les efforts du gouvernement pour améliorer la collecte des recettes fiscales.
– Analyse : l’augmentation de la pression fiscale est souvent une mesure adoptée dans le cadre des réformes visant à réduire les déficits budgétaires. Toutefois, une hausse continue de la pression fiscale peut avoir des effets négatifs sur la consommation privée et l’investissement. Ce qui pourrait freiner la croissance économique à moyen terme.
– Perspectives : si la pression fiscale continue à croître, il sera important de veiller à ce que la structure fiscale soit juste et ne décourage pas l’investissement. Des réformes fiscales plus équilibrées seront essentielles pour soutenir la croissance économique tout en garantissant une augmentation des recettes publiques.
L’encours de la dette publique
– Tendances : la dette publique en valeur nominale connaît une progression constante, passant de 104 298 MDT en 2021 à 139 976 MDT prévu en 2024. En revanche, en pourcentage du PIB, la dette reste stable autour de 79,8 %.
– Analyse : bien que le ratio dette/PIB reste stable, le niveau élevé de la dette publique est préoccupant car il reflète une dépendance accrue aux emprunts pour financer le budget. Le maintien du ratio autour de 80 % du PIB indique une stagnation dans les efforts de réduction de la dette par rapport à la richesse nationale produite.
– Perspectives : à court terme, la stabilité du ratio dette/PIB pourrait donner un certain répit au gouvernement. Cependant, à long terme, l’accumulation continue de la dette en termes nominaux pourrait poser des risques si le coût du service de la dette augmente ou si le pays fait face à des chocs externes (hausse des taux d’intérêt mondiaux, baisse des financements extérieurs). Des réformes structurelles, notamment pour améliorer l’efficacité des dépenses publiques et renforcer les exportations, seront cruciales pour éviter un piège d’endettement.
Les perspectives générales de l’économie tunisienne
L’économie tunisienne semble évoluer dans un contexte difficile, marqué par des déficits budgétaires persistants et une dette publique élevée.
Les marges de manœuvre fiscales se réduisent et la hausse de la pression fiscale montre une dépendance croissante des recettes intérieures pour financer les dépenses.
La stabilisation de la dette en pourcentage du PIB est un signe positif, mais elle ne suffit pas à dissiper les risques liés à la vulnérabilité des finances publiques.
Pour améliorer durablement les perspectives économiques, la Tunisie devra non seulement maintenir la discipline budgétaire mais également renforcer les réformes économiques structurelles. Ces réformes devraient inclure l’optimisation des dépenses publiques, la promotion de l’investissement productif, et l’amélioration du climat des affaires pour stimuler la croissance à long terme.
La coordination avec les partenaires internationaux, comme le FMI, reste primordiale pour mettre en œuvre des réformes d’envergure visant à stabiliser l’économie.
Enfin, à court terme, la situation économique dépendra largement de la capacité du pays à maîtriser l’inflation, à mobiliser des ressources extérieures à des conditions favorables et à restaurer la confiance des investisseurs.
Pour autant, dans ce contexte difficile, quelques signes positifs se distinguent. Le ralentissement de l’inflation à 6,7 % en août 2024 est une avancée importante. Toutefois, cette amélioration ne suffit pas à dissiper les pressions budgétaires qui continuent de peser sur les finances publiques.
L’illusion de la croissance économique comme solution
Espérer que la croissance économique suffira à combler les déficits budgétaires relève d’une illusion. Pour 2025, la Tunisie espère une croissance du PIB autour de 2 %. Cependant, cette prévision reste fragile, notamment face aux faibles investissements, aux difficultés des entreprises et à la demande intérieure réelle atone. La croissance potentielle entre 2025 et 2027 pourrait difficilement dépasser 2 % par an, un rythme insuffisant pour générer des recettes fiscales capables de réduire substantiellement le déficit.
La Tunisie ne peut donc pas compter uniquement sur la croissance pour redresser ses finances publiques. D’autres leviers, plus structurels, doivent être activés.
Des objectifs budgétaires irréalistes à court terme
Le gouvernement tunisien a réitéré son objectif de tirer vers bas, en termes nominaux et en termes relatifs, conformément aux engagements pris avec les bailleurs de fonds internationaux. Cependant, cet objectif apparaît peu réaliste sans réformes profondes.
Plutôt que de persister dans cette voie ambitieuse mais impraticable, il serait judicieux de négocier avec les partenaires internationaux un étalement des ajustements sur une période plus longue, en évitant ainsi une politique d’austérité brutale.
Dans le cadre des réformes « exigées » par le FMI, la Tunisie devra faire preuve de flexibilité et d’ingéniosité, en équilibrant rigueur budgétaire et stimulation économique. La capacité à convaincre les bailleurs de fonds internationaux, dont le FMI, sera déterminante pour obtenir des délais plus raisonnables dans l’assainissement budgétaire.
Réduire les dépenses publiques et augmenter les recettes fiscales
Pour stabiliser les finances publiques, la Tunisie devra combiner la réduction des dépenses et l’augmentation des recettes fiscales. Les dépenses publiques incompressibles telles que le service de la dette, la transition énergétique et les subventions à l’énergie pèsent lourdement sur le budget. À cela s’ajoutent les besoins accrus dans les secteurs prioritaires comme l’éducation, la santé et l’emploi.
Un ajustement du cadre fiscal est donc inévitable. Cela pourrait inclure une contribution exceptionnelle sur les entreprises bénéficiant de rentes, une révision de certaines exemptions fiscales, ainsi qu’une augmentation modérée de la TVA sur certains produits. Toutefois, chaque mesure devra être évaluée à l’aune de son impact économique et social, afin de ne pas aggraver la précarité des ménages tunisiens.
Les contraintes des marchés financiers
Enfin, il est crucial de comprendre que la contrainte budgétaire qui pèse sur la Tunisie ne vient pas seulement des institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale, mais aussi des marchés financiers et des agences de notation. Ces derniers continuent d’observer attentivement les indicateurs macroéconomiques tunisiens, et toute dérive budgétaire pourrait entraîner une dégradation de la note souveraine du pays, augmentant ainsi le coût de financement de la dette.
À l’avenir, la Tunisie devra non seulement respecter ses engagements budgétaires, mais aussi veiller à maintenir la confiance des investisseurs internationaux. L’enjeu est double : éviter l’asphyxie économique tout en garantissant une trajectoire budgétaire soutenable.
En définitive, la Tunisie se trouve dans une situation économique complexe où le déficit public et la dette posent des défis de taille.
Le nouveau gouvernement, en pleine préparation du budget 2025, devra prendre des décisions courageuses pour stabiliser les finances publiques, tout en évitant les pièges d’une austérité excessive.
Une approche équilibrée, alliant réduction des dépenses et augmentation des recettes, est indispensable pour restaurer la confiance des marchés et assurer la viabilité de l’économie tunisienne aussi bien à court qu’à moyen termes.
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A suivre.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)